Le 6 avril dernier s’est tenu le colloque « Bon anniversaire à la loi de 1957 », organisé à l’initiative et sous la direction scientifique du Professeur Alexandra Bensamoun, soutenu par la Sacem Université, le CERDI, l’AFPIDA et la RIDA. Des professeurs de droit renommés ont abordé les problématiques du droit d’auteur liées au passé, au présent et au futur de la loi n°57-298 du 11 mars 1957.
Regard juridique sur l’évolution du droit d’auteur
Alexandra Bensamoun, professeur de droit privé, Université de Rennes 1
Le droit d’auteur est un droit historique et personnaliste, un « droit qui a les pieds sur terre et la tête dans les nuages ». Au passé, la loi de 1957 est un texte qui appelle à un droit vivant. Ses rédacteurs ont utilisé des techniques législatives souples (notions-cadres, définitions abstraites, technique de l’exemple), permettant un dialogue entre le législateur et le juge dans la réalisation de l’œuvre normative. Au présent, on peut constater que la physionomie générale du droit d’auteur est stable depuis cette loi fondatrice et que ses principes fondateurs sont toujours en œuvre. Pour autant, trois tendances peuvent être se dégagées : une européanisation, une modification des équilibres internes et une forte contextualisation. Au futur, le droit d’auteur est destiné à embrasser de nouveaux défis. En particulier, les problématiques liées au partage de la valeur et à l’intelligence artificielle concentrent toute l’attention.
Première séance, présidée par Jean Lapousterle, professeur de droit privé, Université Paris-Sud/Paris-Saclay, co-directeur du CERDI
La nature du droit d’auteur
André Lucas, professeur émérite de droit privé, Université de Nantes
Le droit d’auteur est un droit permanent. Le principe est une propriété. Cette propriété est singulière et sa spécificité tient à deux caractéristiques : son caractère immatériel et son caractère personnel. Au fil du temps, cette propriété s’est amoindrie en raison de l’affaiblissement de l’exclusivité qui tient elle-même à l’affaiblissement de la dimension de droit naturel, jus naturalis, du droit d’auteur. En parallèle, le concept de balance des intérêts, d’origine allemande, a gagné de la place. Au-delà de la question de la nature juridique du droit d’auteur, c’est la place de l’auteur dans le dispositif légal et dans la société qui est en cause.
Le droit moral
Pierre-Yves Gautier, professeur de droit privé, Université Paris 2 Panthéon-Assas
La question essentielle qui se pose est de savoir si le droit moral est en péril. La mise en balance des intérêts, d’origine allemande, est plutôt ancienne. Une atteinte à l’intégrité de l’œuvre, au droit moral de l’auteur, est caractérisée. Mais un autre droit fondamental entre en scène, tel que la liberté de création ou d’expression. Le juge, alors confronté à « deux droits d’égale valeur », expression devenue commune en jurisprudence, va devoir décider lequel doit prévaloir. Dans chaque cas d’atteinte au droit moral, la solution juridique issue de la mise en balance est très incertaine. En revanche, le contrôle effectué par la Cour de cassation sur cette mise en balance est assez important et le juge du fond doit « tremper sa plume » pour justifier sa décision.
Le droit de communication au public
Pierre Sirinelli, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, co-directeur du CERDI
En son article 27, la loi de 1957 a repris le concept flou de droit de représentation pour l’adapter à de nombreuses hypothèses. Ce dernier a été modifié par la loi n°85-660 du 3 juillet 1985. L’objectif de cette modification était d’étendre encore davantage le champ d’application de ce droit. La jurisprudence française applique deux conditions cumulatives pour la mise en œuvre de ce droit, à savoir un acte matériel de représentation et un public. La jurisprudence européenne a dégagé seize critères contestables qui doivent être envisagés tantôt individuellement, tantôt en interaction les uns avec les autres. Cette jurisprudence est source d’insécurité juridique et complexifie grandement l’application du droit de communication au public.
Les exceptions au droit d’auteur
Valérie-Laure Benabou, professeur de droit privé, Université d’Aix-Marseille
La loi de 1957 fournit très peu de matière quant aux exceptions. Seul son article 41 les aborde sous forme de liste et en tant que creux du droit exclusif accordé à l’auteur. En réalité, les exceptions sont également une alternative au droit exclusif. Ainsi, la rémunération pour copie privée est-elle une source importante de revenus pour les auteurs. Toutefois, rien dans la loi ou dans la directive 2001/29 du 22 mai 2001 ne permet de déterminer ce qu’est une exception au sens du droit d’auteur. Toute restriction au droit exclusif est-elle nécessairement une exception ? La licence légale, l’épuisement des droits, la gestion collective obligatoire, le triple test doivent-ils être qualifiés d’exception au sens du droit d’auteur ?
Seconde séance, présidée par Victor Nabhan, professeur honoraire de droit, Université de Nottingham (Angleterre), ancien président de l’ALAI
Les contrats
Christophe Caron, professeur de droit privé, Université Paris-Est Créteil, Avocat à la Cour
La loi de 1957 est très présente en matière contractuelle et fournit l’essentiel des principes qui régissent toujours le droit positif. Le droit contractuel d’auteur a échappé à une harmonisation générale du droit de l’Union européenne. Il n’y a pas de consécration légale de la licence en droit d’auteur alors qu’elle est très utilisée en pratique, notamment en matière de logiciels. La loi de 1957 protège l’auteur, partie faible du contrat, contre lui-même. En réalité, on constate que de nombreux contrats du droit d’auteur sont des contrats d’adhésion. Concernant le contrat d’édition, les fondements actuels sont les mêmes qu’en 1957, adaptés au numérique. En 2018, la lettre et l’esprit de la loi de 1957 se retrouvent donc dans le droit positif.
La propriété artistique
Tristan Azzi, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La propriété artistique constitue un droit spécial qui déroge au droit d’auteur général. En la matière, il y a une confusion entre l’œuvre immatérielle et son support. D’une part, le support original est souvent unique ou en nombre limité pour les œuvres d’art. D’autre part, l’œuvre d’art tire souvent sa valeur de son support, contrairement aux autres types d’œuvres. La loi de 1957 constitue le socle sur lequel repose la propriété artistique. Une interprétation était nécessaire et a été réalisée par la jurisprudence. Ainsi, les objets protégés et les droits octroyés au titre de la propriété artistique ont été précisés. Certaines corrections ont également été apportées à cette loi. Les objets protégés, la teneur des droits patrimoniaux et les exceptions ont été modifiés.
L’action en contrefaçon : la cessation
Agnès Lucas-Schloetter, enseignant-chercheur HDR, Université Ludwig-Maximilian (Munich)
L’action en contrefaçon se distingue de l’action en revendication en raison de l’absence de rivalité dans l’usage des biens incorporels, et de l’action en responsabilité civile en ce que les sanctions sont différentes. Ainsi, l’action en contrefaçon a une nature hybride et une double fonction « réivindicatoire » et « réparatoire ». Il existe une summa divisio entre les sanctions de la contrefaçon : cessation et réparation. La cessation de la contrefaçon n’est pas cantonnée aux procédures provisoires et se distingue de la réparation en nature en ce qu’elle n’est pas subordonnée à la constatation d’une faute du défendeur. Elle présente également un caractère objectif puisque cette mesure s’impose au juge, une fois la contrefaçon constatée.
L’action en contrefaçon : la réparation
Célia Zolynski, professeur de droit privé, Université de Versailles Saint-Quentin/Paris-Saclay
Aujourd’hui, l’intérêt porté pour le sujet de la réparation de la contrefaçon est croissant : déploiement des nouveaux usages, nouvelles pratiques, caractère lucratif et peu risqué de la contrefaçon. Le législateur s’est alors trouvé dans la nécessité de répondre à deux injonctions : renforcer les outils de lutte contre la contrefaçon, notamment dans l’environnement numérique et transposer le droit de l’Union européenne, ce qui a fait naître la question de l’articulation entre transposition du droit de l’Union européenne et préservation de la cohérence de notre droit interne. La réparation est une expression de la spécificité de l’action en contrefaçon. La méthode de la réparation par équivalent et le mode de calcul des dommages-intérêts démontrent cette spécificité.
Regard étranger sur l’évolution du droit d’auteur français
Antoon Quaedvlieg, professeur de droit privé, Université de Nijmegen (Amsterdam)
La loi de 1957 ne pose pas de limite aux exceptions du droit d’auteur, prévues à l’article 41. Peut-on rechercher des limitations implicites ? Concernant la sphère privée, la limitation implicite prévue pour cette exception est la communication au public. La deuxième règle implicite énonce que la sphère publique est libre. Ainsi, les revues de presse et la diffusion des informations d’actualité sont libres. Ces types d’usage ont pour trait commun de ne pas viser à se substituer à la consommation même de l’œuvre ou au marché pour lequel l’œuvre a été conçue. La troisième règle implicite concerne les œuvres transformatives, qui ne sont admises qu’en présence d’une parodie, d’un pastiche ou d’une caricature.
Les différents exposés cités seront publiés en détail au sein de la Revue internationale du droit d’auteur (RIDA) d’avril 2018. Il est important de remercier la Sacem et le professeur Alexandra Bensamoun pour l’organisation de ce colloque de grande qualité, qui a réuni plus de 300 personnes.
Marine BUAT