TikTok : Le droit d’auteur peine à faire valoir ses droits

Vous n’avez pu l’ignorer, forcément ce nom vous dit quelque chose : “TikTok”. Cette application chinoise lancée en 2016,  permet aux utilisateurs de créer de courtes vidéos, environ 3 à 60  secondes, accompagnées d’une musique. Elle est devenue depuis l’application principale de partage de clips, avec un chiffre d’affaires de près de 200 millions de dollars en 2019. Et sa communauté n’a cessé de croître, surtout depuis le premier confinement. Cette plateforme s’est rapidement démarquée de Facebook ou Instagram grâce au format court de ses contenus, ce qu’il l’a placée en première position des plateformes de découverte de musique, devant Youtube. Mises en scène chorégraphiques, d’animaux, de cuisine…l’engouement pour la création est là! TikTok est devenu LE réseau social privilégié de la dernière génération, avec au compteur 500 millions d’utilisateurs mensuels réguliers, passant près d’une heure par jour en moyenne sur l’application. 

Pour les amateurs (n’ayez pas honte!), il vous est sûrement arrivé de vous dire “tiens, cette musique est sympa”, en regardant une vidéo TikTok. En effet, ce réseau de partage a permis à de nombreux artistes de gagner en visibilité auprès d’une vaste communauté. Certains ont pu promouvoir leur dernière chanson (“Savage love” de Jason Derulo), lancer leur carrière musicale (Bosh avec “Djomb”), ou encore revoir leur titre dans le top des ventes tel que “Dreams” de Fleetwood Mac, 43 ans après sa sortie. La mode TikTok bénéficie à beaucoup d’artistes, cependant qui dit contenu musical dit droit d’auteur, et là TikTok est dans le viseur, car le respect du droit d’auteur autour des vidéos musicales laisse parfois à désirer. Deux points peuvent être analysés : la protection des musiques et la protection des chorégraphies.

 

 

 

La protection des musiques sur TikTok

TikTok est aujourd’hui un acteur indéniable dans l’industrie musicale, tant son influence est grande.  Ceci au point que des maisons de disques et sociétés de productions adaptent leurs modèles économiques et marketing, en rémunérant des influenceurs pour faire la promotion de titres musicaux sur leur compte. Le problème du point de vue de notre matière, est que les droits d’auteur attenants aux musiques ne sont pas toujours respectés. Rappelons le, l’auteur jouit d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous sur son oeuvre, “du seul fait de sa création” (article L111-1 CPI), c’est-à-dire sans qu’une formalité de dépôt ne soit obligatoire comme c’est le cas en droit des brevets ou en droit des marques. Ainsi, quiconque qui souhaite exploiter, reproduire, ou encore diffuser une œuvre, doit en principe avoir obtenu l’autorisation de son titulaire. Dans l’industrie musicale, cette autorisation se manifeste souvent par la conclusion d’un contrat de licence exclusive, qui permet à un éditeur de phonogramme d’exploiter la musique d’un producteur contre une rémunération. 

Le problème ici, est que pendant longtemps, plus de 50% des musiques diffusées à travers les vidéos TikTok n’étaient pas exploitées dans le cadre d’un contrat de licence. La musique étant au cœur de la plateforme, les droits d’auteur sont pourtant nécessaires à sa pérennité. Par conséquent, de nombreux labels et sociétés de protection des contenus musicaux ont menacé d’engager une action en justice à l’encontre de TikTok, dont ils réclamaient le versement de royalties. Sans le versement de cette contrepartie, la firme chinoise outrepassait les droits d’auteur, lorsqu’elle permettait à ses utilisateurs de choisir des chansons pour leurs clips personnels. Aux Etats Unis, des accords ont déjà été signés avec la firme et plusieurs sociétés d’exploitations d’œuvres musicales (Universal, Warner), pour une exploitation légale au sein de la plateforme par ses utilisateurs. En France, la SACEM a elle-même récemment sollicité l’application, pour définir les conditions d’utilisation des contenus musicaux. 

TikTok n’est pas le seul réseau de contenu à faire l’objet d’un contentieux au titre des droits d’auteur. La plateforme Twitch a fait l’objet en 2020 d’une vague de réclamations pour les musiques présentes dans les contenus publiés.  De nombreux streamers ont ainsi été sanctionnés pour violation du Digital millennium Copyright Act (DMCA).  De même, Spotify en 2016, a été sanctionné à verser une vingtaine de millions de dollars au titre des redevances impayées concernant les droits d’auteur.

Pour tenter de se soustraire à cette contrepartie financière, l’exception de courte citation a pu être invoquée.  Cette exception est-elle efficace? La réponse est non. Le format court des vidéos de TikTok ne suffit pas à se prévaloir de l’exception de courte citation prévue par le Code de la propriété intellectuelle. L’article L122-5 dispose que lorsqu’une œuvre a été publiée, l’auteur ne peut interdire les “courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique, ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées”. Cette exception ne peut jouer que si certaines conditions cumulatives sont réunies : si la citation comporte le nom de l’auteur et la source, si la reproduction est identique et non modifiée, si la citation est partielle et courte, et si cette dernière est justifiée par un l’un des motifs (critique, polémique, pédagogique, scientifique, d’information). La diffusion du contenu musical sur TikTok n’est justifiée par aucun de ces critères, donc l’exception de courte de citation ne peut jouer.

 

 

 

Quelles sont les solutions pour le droit d’auteur mises en place par TikTok ?  Face aux menaces des labels, et pour préserver la dynamique créative, TikTok a mis en place un catalogue musical dans lequel les utilisateurs peuvent choisir des titres libres de droit, c’est-à-dire autorisés pour un usage commercial sur ce réseau. La plateforme a également instauré des règles strictes à l’encontre des marques, leurs interdisant d’utiliser les musiques non libres de droit. Désormais, ces dernières doivent également obtenir la licence adéquate. En tant qu’ hébergeur, TikTok a l’obligation en application de l’article 6 de la LCEN, d’opérer un contrôle et une surveillance lorsque le contenu publié sur sa plateforme fait l’objet d’un signalement, en raison de son caractère illicite. En cas de violation du droit d’auteur, les uploaders peuvent ainsi se voir sanctionnés de diverses manières, par la suppression ou le blocage de leurs vidéos, voire la suppression de leur compte directement. Le risque d’être repéré par TikTok et les ayants-droits (et d’être sanctionné), est d’autant plus grand que la vidéo litigieuse rencontre du succès, estimé au nombre de vues. Enfin, de nombreux outils ont été développés en parallèle ces dernières années, pour garantir la légalité des contenus diffusés sur les réseaux de partages: le fingerprinting, l’analyse d’image, le hashing, le recours aux métadonnées, ou encore l’intelligence artificielle.  

 

La protection des chorégraphies  

Au-delà de l’aspect musical, Tiktok est surtout réputé pour les nombreuses danses proposées par ses utilisateurs. Certaines font tellement le buzz qu’elles se retrouvent ensuite dans le jeu vidéo Fortnite!  Ce dernier a lui-même connu son lot de succès fin 2017 avec le “Floss”, ce mouvement de danse qui consistait à balancer ses bras devant puis derrière son corps.

Face à ces courtes chorégraphies, c’est naturellement que la question du droit d’auteur des créateurs peut se poser.  En effet, sous condition d’originalité toujours, l’article L112-2 4° du Code de la propriété intellectuelle, dispose que sont considérées comme des oeuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur, “les oeuvres chorégraphiques (…) dont la mise en oeuvre est fixée par écrit ou autrement”. Comme pour l’exploitation des phonogrammes, l’auteur de la chorégraphie est également le seul à pouvoir autoriser (ou refuser) un tiers à exploiter ou diffuser sa création, en raison des droits d’auteur dont il est titulaire (droits patrimoniaux et droit moraux), comprenant notamment le droit au respect de son nom.  Ainsi, si l’auteur démontre que sa chorégraphie est originale (qu’elle reflète l’empreinte de la personnalité de son auteur), elle est en principe protégée. L’auteur peut alors faire le choix d’autoriser un tiers à faire usage de sa chorégraphie. Cependant, les chorégraphies TikTok ne sont pas soumises au droit d’auteur. Personne ne peut être poursuivi en contrefaçon pour avoir reproduit sans autorisation la chorégraphie d’un utilisateur. Il est tout à fait possible de s’approprier des mouvements originaux et de les reproduire. Sur ce point, le raisonnement inverse aurait été étonnant, en ce que TikTok est une plateforme qui repose essentiellement sur la copie. 

Ainsi, il n’est pas question d’une protection par la propriété intellectuelle des danses TikTok, mais davantage d’une reconnaissance du travail créatif des auteurs. La dimension est alors éthique : permettre aux créateurs, connus ou non, de profiter de la reconnaissance de la communauté. Cette problématique a été soulevée fin 2019, lorsqu’une chorégraphie a fait le tour de TikTok, le “Renegade”, reprise par plusieurs utilisateurs dont des personnalités publiques telles que Kourtney Kardashian ou Millie Bobby Brown. Grâce au hashtag #Renegade, la plateforme a recensé au total 1 milliard de vues. Cependant, la créatrice de ce mouvement qui s’est révélée par la suite être une adolescente de 14 ans,  n’a retiré aucune reconnaissance de son succès en raison de l’absence de son accréditation. Profonde déception de son côté, que l’on peut comprendre aisément. Au-delà de l’aspect éthique, l’absence d’accréditation du créateur peut conduire à le priver d’opportunités professionnelles et commerciales, qui peuvent pourtant affluer très vite dans le cas contraire. Haley Sharpe, une jeune fille de 16 ans, a pu intégrer une série dédiée à la danse grâce à la publication sur son compte TikTok d’une chorégraphie sur la musique “Say So”. Pour lutter contre ce qui s’apparente à du plagiat, la firme asiatique a alors mis en place le hashtag #DC pour “Dance Credit”.  La démarche est bonne, cependant le hashtag n’est apposé qu’au bon vouloir des inscrits, et les diffusions des vidéos TikTok ne sont pas publiées par ordre chronologique, mais par ordre de popularité. On ne peut ainsi espérer qu’une chose, que les célébrités se prêtent davantage au jeu du Dance cred afin de faire rayonner les créateurs des danses qu’elles reproduisent! 

 

Audrey Nicolle 

Sources

  • Cours d’introduction à la propriété intellectuelle du Professeur Jean Lapousterle
  • Cours de propriété littéraire et artistique de Madame Pauline Léger 
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/TikTok
  • https://www.ladn.eu/media-mutants/reseaux-sociaux/sur-tiktok-createurs-originaux-danses-virales/
  • Article 6, I, 7° de la loi Loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN)

 

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