Un logiciel achète de l’ecstasy sur le web. Qui est responsable du délit ?

         En 2014, dans le cadre d’un projet qui pourrait paraître assez fou selon certains, ou inconscient, voire dangereux selon d’autres, un collectif d’artistes suisses, le duo Mediengruppe Bitnik, décide de programmer un logiciel qui effectuera des achats autonomes et aléatoires sur le darknet (des réseaux privés virtuels auxquels n’a accès qu’un nombre limité de personnes et sur lesquels se trouve pléthore de biens ou de services plus ou moins répressibles). L’objectif était ainsi de « lâcher » le logiciel, baptisé « random darknet shopper » (ou « acheteur aléatoire du darknet » dans une version francisée) sur ces réseaux, principalement via Tor, de lui octroyer un budget de 100 dollars de Bitcoins (une monnaie numérique) par semaine et de le laisser commander des articles. Le projet final se concrétisait à travers une exposition regroupant tous les achats livrés : « The Darknet : From Memes to Onionland ».

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En octobre 2014, le collectif suisse reçoit 10 cachets d’ecstasy. Si les précédents achats (notamment, des paquets de cigarettes, des jeans de contrefaçon) avaient pu être présentés au sein de la galerie, les artistes se voient néanmoins confisquer la drogue et l’ordinateur sur lequel était installé le logiciel. Ils sont également contraints par les autorités de cesser l’exposition.

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La justice suisse a toutefois décidé de ne pas poursuivre le collectif en raison de l’intérêt public que poursuivait leur projet. Il dénoncerait en effet ce que cache l’anonymat du Darknet, les dangers qui peuvent s’y trouver et la facilité déconcertante de se procurer des biens ou services illégaux.

L’affaire date d’il y a plus de deux ans, mais la question entourant la responsabilité de l’achat de la drogue, et plus généralement celle de la responsabilité des intelligences artificielles, continue de faire débat. Un logiciel informatique qui a pris la décision de commettre un délit (sans connaître pour autant le caractère répressible de son acte) peut-il être considéré comme responsable ? En l’espèce, l’acte est matérialisé puisque la drogue a été achetée. Pour autant, il n’y avait aucune validation humaine. Le robot avait-il l’intention d’agir de telle manière ? Peut-on même parler d’intention concernant un logiciel ? Il semblerait en effet que ce choix du robot, cet achat en l’occurrence, bien qu’aléatoire et autonome, soit la résultante de la programmation effectuée par les artistes. Le duo estimait, en outre, être pleinement responsable des actes du logiciel car il en était le propriétaire, et par analogie, celui de la drogue également. Toutefois, grâce aux avancées technologiques et aux progrès récents dans le domaine de l’intelligence artificielle, les robots deviennent de plus en plus indépendants. Cette autonomie entraîne ainsi une série d’interrogations éthiques, juridiques, philosophiques et sociétales sans précédent, et surtout sans réponse précise.

Azéline Boucher

1ère année Master IP/IT


Sources :

MasterIPIT

Un commentaire

  1. Concision, clarté, simplicité sur un sujet passionnant, nous avons hâte de vous relire.
    Où en sont les discussions éthiques et juridiques au niveau international ? Une législation à l’échelle mondiale sera t’elle bientôt nécessaire ?

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