Une protection juridique pour le « smiley » ?

Un rond jaune, deux points noirs pour les yeux et un demi-cercle pour la bouche : tout le monde le connait, c’est le fameux « Smiley » ! Mais d’où vient-il ?

Et surtout, à qui appartient-il ?

 

Qui a inventé le « smiley » ?

 L’origine du « smiley » est bien souvent contestée. Mais c’est surement au graphiste et directeur d’agence publicitaire américain, Harvey R. Ball, que l’on doit cette petite figure jaune. Il l’a en effet dessinée en décembre 1963 pour une compagnie d’assurance qui cherchait une création de nature à donner le sourire aux consommateurs. Pari réussi puisqu’il connu un grand succès. Cependant, aucune protection sur cette figure n’a été recherchée ni par le dessinateur, ni par la compagnie d’assurance.

Cette petite bouille jaune s’est ensuite internationalisée, et s’est notamment popularisée avec l’essor d’Internet, faisant aujourd’hui office de ponctuation dans les discussions instantanées.

Face à ce succès, beaucoup ont cherché à s’attribuer des droits sur le « smiley ».

 

Une protection du « smiley » par un brevet ?

 En 2008, un entrepreneur Russe, Oleg Teterin, avait tenté de déposer un brevet en Russie pour protéger le « smiley ». Il souhaitait ainsi que les entreprises utilisant ce signe pour des usages commerciaux s’acquittent d’une contribution. Cependant, sa tentative a échoué.

D’autres entreprises comme Microsoft, Nokia, ou encore Apple ont aussi cherché à déposer un brevet pour protéger le « smiley », mais en s’appuyant sur des procédés techniques permettant d’afficher les « smileys » sur les écrans. Par exemple, Apple dispose d’un brevet sur son système Emoji permettant d’utiliser les émoticônes pendant un appel vidéo et d’en afficher en dessinant des signes à l’écran.

Mais la bataille de l’appropriation du smiley fut encore plus rude sur le terrain des marques.

 

Quelle protection du « smiley » par le droit des marques ?

 C’est un français, Franklin Loufrani, journaliste, qui avait utilisé le « smiley » au sein de ses articles dans le cadre d’une opération « prenez le temps de sourire », qui a pris le soin de déposer le « smiley » comme marque française auprès de l’INPI. C’est aujourd’hui son fils, Nicolas Loufrani, qui dirige l’immense entreprise Smiley World, depuis Londres.

Aujourd’hui, le logo jaune et le nom « smiley » sont déposés pour une quarantaine de produits différents dans plus de 70 pays.

Ce succès a poussé les titulaires à défendre leurs droits, et de nombreux juges ont eu à connaitre de prétendus actes de contrefaçon.

Souvent, les défendeurs avaient soutenu que ces marques constituées de symboles n’étaient pas distinctives, et donc contraires à l’article L.711-2 du Code de la Propriété intellectuelle. Mais les juges, dans plusieurs affaires, ont souligné que les « smileys » n’étaient ni génériques, ni descriptifs pour les divers produits visés par les marques en cause, ainsi, la marque échappait aux vices liés au caractère descriptif ou générique des signes[1].

S’est aussi posée la question de la déchéance pour dégénérescence d’une marque. En effet, l’article L.714-6, a) du Code de la Propriété intellectuelle dispose « qu’encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service ». Mais, le titulaire ne sera déchu que si la dégénérescence peut lui être imputée, c’est à dire s’il n’a pas défendu sa marque [2]. ().

Ainsi, même si ce signe a pu devenir usuel, il n’a pas pu l’être pour une catégorie précise de produits ou de services. Il se pourrait donc que le « smiley » soit aujourd’hui perçu comme un symbole de bonne humeur, un signe universel, et qu’il serait ainsi de nature à exclure toute contrefaçon[3].

 

… Et les « émojis »?

 Nicolas Loufrani, gérant actuel de la société Smiley World, dans une interview par Boris Manenti, datée d’octobre 2017, précise qu’il n’a jamais touché de droits pour les « smileys » utilisés sur les outils de discussions en ligne. En effet, il a été convenu que l’usage sur internet se devait d’être gratuit, et que leur modèle économique reposait sur la vente de produits dérivés du « smiley ».

Il ajoute aussi qu’il ne faut pas confondre les « smiley » et les « emojis » ! En effet, ces derniers ont copié le « smiley » mais ces petits personnages abordent une approchent bien plus réaliste et ne sont pas des visages représentant forcément une émotion. Les « emojis » et les « smileys » ont bien une racine commune mais restent des signes différents.

Aujourd’hui, le « smiley » semble être un mode de ponctuation à part entière, comme un nouveau mode de communication universel. Mais finalement, n’appauvrit-il pas notre langage ? Une approche qui a de quoi moins nous faire sourire…

DUNE GERIN

 

[1] En ce sens :  TGI Créteil, 2 mars 2004  : Propr. industr. 2004, comm. 61, obs. P. Tréfigny ; CA Paris, 23 mars 2007, n° 05/04295

[2] CA Paris, 22 juin 2005, n°04/09761

[3] LE GOFFIC Caroline et MASSOT Pierre, « Quelle protection pour le smiley ? » Etude de droit des marques, Propriété industrielle n° 2, Février 2014, étude 4.

 

Sources :

MasterIPIT