Bonsoir,
Les brèves du 3 janvier au 9 janvier 2022 par le Collectif sont désormais disponibles.
Très bonne lecture.
Un froid juridico-numérique entre l’UE et les États-Unis : quelle perspective pour les flux de données ?
Source : Alexandre Lallemand/Unsplash.
Alors que le RGPD est entré en application depuis mai 2018, la Cour de Justice de l’Union européenne avait décidé dans un arrêt de juillet 2020, d’invalider l’accord « Privacy Shield » de 2016. Cet accord encadrait les transferts de données européennes vers les États-Unis. Or, ce dernier remplaçait déjà un autre accord — « Safe Harbor » —, lui-même invalidé en 2015 par la Cour. Elle avait décidé d’adopter une telle position à cause des lois américaines de surveillance qui ne permettent pas de garantir la sécurité des données européennes.
En principe, le transfert de données à caractère personnel des européens est possible à condition que les pays aient un même niveau de protection que l’Union européenne. Or, les États-Unis n’ont pas du tout un niveau de protection équivalent au nôtre. Ces dernier n’ont pas décidé de faire un retour en arrière — malgré l’affaire Snowden de 2013 — puisque le pays a décidé d’aller plus loin en matière de restriction de la vie privée et de protection des données personnelles en adoptant le Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act en 2018 qui autorise l’accès aux données des opérateurs de télécommunication et des fournisseurs de services cloud par les autorités.
Au début du second semestre de l’année 2021, il semblait se profiler une nouvelle négociation entre les autorités européennes et américaines permettant d’obtenir potentiellement un troisième accord sur les transferts de données à caractère personnel. L’enjeu des discussions étant de convaincre les États-Unis de mettre en place une procédure pour qu’un citoyen européen puisse contester efficacement les mesures de surveillance américaines. En définitif, l’objectif est d’empêcher une interruption du transfert de données tout en assurant un respect de la législation européenne face à la législation américaine.
Mais à l’heure actuelle, aucun accord n’a encore été trouvé pour permettre le transfert de données européennes vers le pays de « Big Brother is watching you ». Or, une telle absence semble commencer à inquiéter tout un secteur comme le rapporte le journal l’usine digitale, notamment parce que « la signature d’un texte nécessite que les Etats-Unis revoient leur législation sur la surveillance. Un sujet particulièrement sensible outre-Atlantique.» Des solutions temporaires ont été mises en place pour protéger les acteurs en question ; en effet, la Cour de justice de l’UE a accordé des exceptions et un délai pour préserver les transferts, tandis que la Commission européenne fournit des contrats prêts à l’emploi pour maintenir les échanges entre les États-Unis et l’UE.
Récemment Meta estimait être en droit de continuer à transférer les données des européens aux États-Unis assurant que les États-Unis protègent suffisamment les données personnelles des européens. Le média américain Politico a analysé l’argumentaire juridique de l’entreprise et a rapporté que Meta fait un parallèle avec l’accord de l’UE sur les flux de données avec le Royaume-Uni et avance également qu’il y a très peu de requêtes faites par les agences américaines pour accéder à des données personnelles détenue par le groupe. Il est peu probable qu’un tel argumentaire puisse convaincre la Cour de justice de l’UE qui adopte en matière de vie privée et de protection des données à caractère personnel une position stricte.
Il est certain qu’un nouvel accord est indispensable, mais encore faut-il que l’UE ne plie pas devant Big Brother et sa législation. En tout cas, il faut se réjouir que le dossier soit dans le haut de la pile. L’UE semble décidée à ne plus être en retard sur ces questions.
Anthony THOREL
Sources :
https://siecledigital.fr/2021/10/04/donnees-ue-us-trade-and-technology-council/
Chine : expérimentation d’une intelligence artificielle pour remplacer les procureurs
Source : Extern it
Allant plus loin que le Data Just adopté après un avis de la CNIL de 2020 qui est un algorithme chargé d’extraire et d’exploiter les données contenues dans les décisions de justice portant sur l’indemnisation des préjudices corporels, le quotidien hongkongais South China Morning Post a annoncé que des scientifiques chinois auraient développé une intelligence artificielle susceptible de remplacer le procureur. Avec l’objectif qui est de réduire la charge de travail des procureurs et d’améliorer la rapidité de traitement des affaires, les algorithmes prennent une place importante et dangereuse dans la justice. Le Parquet populaire de Shanghai Pudong expérimente actuellement un programme capable de remplacer le procureur dans certaines de ses attributions. L’intelligence artificielle pourrait identifier une infraction, rédiger un réquisitoire et suggérer une sentence. Le recours à l’intelligence artificielle par les procureurs chinois n’est pas inédit car ils utilisaient déjà le « système 206 » pour évaluer « la force des preuves, les conditions d’une arrestation et le degré de dangerosité d’un suspect pour le public ».
Ce programme a pu être testé de 2015 à 2020, il aurait traité 17 000 dossiers et pourrait connaître 8 des crimes et délits les plus courants à Shanghai dont la fraude à la carte bancaire, les jeux d’argent illégaux, la conduite dangereuse ou les agressions physiques. Les scientifiques avancent que l’algorithme pourra prochainement traiter des crimes et délits plus complexes. Pour procéder à cette reconnaissance, le programme analyse le texte du procès-verbal et conclut à la nécessité ou non du dépôt d’une plainte selon un millier de caractéristiques. Le professeur Shi Yong chargé du projet soutient que : « Le système peut remplacer un procureur dans sa prise de décisions dans une certaine mesure ».
Cette innovation engendre de nombreux doutes et critiques comme l’exprime un procureur anonyme de Guandzhou : « Il y aura toujours un risque d’erreur. Qui assumera la responsabilité lorsque ça arrivera ? Le procureur, la machine ou le concepteur de l’algorithme ? ». Pourtant, les scientifiques estiment que cette intelligence artificielle peut porter une accusation avec une précision de près de 97%. Cette volonté de remplacer un membre du corps juridictionnel n’est pas inédite puisque l’Estonie expérimente le remplacement d’un juge par un programme dans le cadre de délits mineurs. Le développement de l’intelligence artificielle dans le milieu de la justice emporte des dangers dus à une justice prédictive : chaque décision de justice entraîne de lourdes conséquences qui ne peuvent laisser place au doute, à l’erreur. La garantie de bonne justice repose entre autres sur la prise en compte par le juge de nuances humaines qu’un algorithme ne saurait reconnaître.
Clarisse MERDY
Sources :
https://www.justice.fr/donnees-personnelles/datajust
https://siecledigital.fr/2022/01/04/chine-une-intelligence-artificielle-pour-aider-la-justice/
La Chine suspend la délivrance des licences de jeux vidéo : une mise en danger de l’industrie du jeux vidéo chinoise
Source : Pixabay
Le monde du jeux vidéo retient son souffle, cela fait 5 mois consécutifs, à savoir depuis juillet 2021, que l’Administration nationale de la presse et des publications (NPPA), l’organisme chinois qui octroie les licences de jeux vidéo, ne délivre plus la moindre licence de jeux vidéo. Pourquoi ce gel des licences impacte-t- il autant l’industrie du jeu vidéo chinois ?
La réponse en est relativement simple, pour pouvoir débloquer le niveau de la commercialisation d’un jeu vidéo, les entreprises doivent obtenir une licence afin d’obtenir le droit de vendre le jeu sur le territoire national et sans la délivrance de cette licence, la commercialisation sur le marché est impossible. De cette impossible commercialisation sont perceptibles les enjeux principaux de ce gel des licences qui sont le gain manqué d’une part et la perte économique du fait des investissements engendrés pour le développement du jeu sans espoir de rentabilisation d’autre part.
Les entreprises ont alors dû se protéger de cet effet économique indésirable. Si, certaines ont eu les moyens d’amortir ces pertes tel que la société Tencent Holdings et Netease, qui tentent de se tourner davantage vers le marché étranger afin de pouvoir continuer à développer leur activité. Toutes n’ont pas les mêmes possibilités, la société ByteDance et Baidu ont dû recourir au licenciement d’un certain nombre d’employés. Toutefois, la conséquence la plus visible à ce jour est la fermeture de près de 14 000 studios pour lesquels ce gel des licences constituait un obstacle insurmontable et dont la partie a été interrompue par le pouvoir chinois.
En effet, le pouvoir chinois décidant de ce gel des licences, ne semble pas prendre en considération ces impacts aussi néfastes soient-ils. Cela peut se constater d’une part car il ne s’agit pas du premier essai du pouvoir chinois puisqu’en 2018 avait eu lieu, à ce jour, la plus longue suspension de nouvelles licences de jeux vidéo, cette dernière avait durée 9 mois. Aujourd’hui, les entreprises demeurent dans l’attente du dégel et subissent une insécurité quant à la durée de cette suspension, durée qui ne manquera pas d’entraîner de nouvelles fermetures et licenciements. D’autre part, aucune explication officielle n’a été apportée à cet arrêt dans l’octroi des licences de jeux vidéo, néanmoins, cette manœuvre intervient quelques mois après que le Président Chinois XI Jinping se soit saisi de la question de la dépendance des jeunes aux jeux vidéo.
Le gel des licences apparaît alors comme la première étape d’un processus puisqu’une mesure importante a été prise peu de temps après, en août 2021 visant à limiter le temps de jeu à 3 heures par semaine pour les joueurs mineurs. Il apparaît alors que le jeux vidéo pris en tant qu’objet culturel est strictement encadré par le pouvoir chinois car « en Chine, le maintien au pouvoir du parti est central. Les nouvelles technologies, les jeux vidéo et internet, tout ce qui peut véhiculer des informations, doivent donc être repris en main. » selon Mary-Françoise Renard, professeur à l’université Clermont-Auvergne et responsable de l’Institut de recherches sur l’économie de la Chine (IDREC).
Clémence RODRIGUEZ
Sources :
https://www.presse-citron.net/la-chine-risque-t-elle-de-mettre-en-danger-lindustrie-du-jeu-video/
https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/en-chine-l-industrie-du-jeu-video-de-plus-en-plus-malmenee-par-les-autorites-n173827.html
https://www.franceculture.fr/numerique/limite-du-temps-de-jeux-video-en-chine-une-mesure-de-sante-publique-tres-politique
L’algorithme Data Just validé par le Conseil d’Etat
Source : Usine Digitale
Saisi par plusieurs associations, telles que AFP France handicap et la Quadrature du Net, le Conseil d’Etat est venu rejeter leur demande et ainsi valider l’algorithme Data Just dans une décision du 30 décembre 2021.
Ce projet de créer un algorithme d’évaluation des préjudices corporels n’est pas nouveau. En effet, le 7 novembre 2019, la CNIL a été saisie d’une demande d’avis concernant un projet de décret relatif à la mise en place d’un traitement spécialisé des données à caractère personnel nommé Data Just. Dans un avis en date du 9 janvier 2020, la CNIL n’émet aucune opposition. Cela est notamment dû au fait que la finalité poursuivie par Data Just est de permettre une meilleure administration de la justice.
C’est ainsi que, par un décret du 27 mars 2020, Data Just est créé. Le but est de mettre en place un outil apportant une aide aux victimes de dommages corporels dans l’évaluation de leurs préjudices. « Le traitement autorisé par ce décret vise à développer un algorithme, chargé d’extraire de manière automatique et d’exploiter les données contenues dans les décisions de justice portant sur l’indemnisation des préjudices corporels », a déclaré le ministère de la justice sur son site internet. Il s’agit donc pour un algorithme de recenser les montants demandés et offerts par les parties aux instances, les évaluations proposées dans le cadre des litiges, ainsi que les montants alloués aux victimes par les juridictions, permettant de créer un référentiel indicatif d’indemnisation à destination des victimes de dommages corporels mais également à destination des juges afin de les aider dans leurs décisions. Le ministère de la justice a précisé que, si après à une période d’expérimentation de deux ans, soit jusqu’au 27 mars 2022, cette expérience se révélait concluante, il souhaitait « mettre en place un outil pérenne de mise à disposition des résultats au public ».
Cependant, cette expérimentation n’est pas sans soulever diverses questions. En effet, cette intelligence artificielle vient collecter des données à caractère sensible. Et c’est sur ce point que les associations ont saisi le Conseil d’Etat. Car, même si certaines informations sont occultées, d’autres restent accessibles. C’est le cas notamment des noms et prénoms des personnes physiques mentionnés dans les décisions de justice, d’autres éléments d’identification des personnes (date de naissance, lien de parenté, etc), des données et informations relatives aux préjudices subis, et bien d’autres. Toutefois, le décret du 27 mars 2020 a indiqué que ces informations ne seraient conservées que les deux années suivant sa publication. Y est également précisé qu’il sera interdit de sélectionner « une catégorie particulière de personnes à partir de ces seules données ».
En outre, l’association la Quadrature du Net vient définir Data Just comme « un obscur algorithme d’aide à la décision en matière d’indemnisation de préjudices corporels ». Elle va même plus loin, et accuse l’Etat que, « sous couvert d’expérimentation, [il] s’affranchit des lois qui protègent les données personnelles et la vie privée ».
Cependant, malgré la tentative de ces associations de dénoncer le caractère dangereux de cet algorithme, le Conseil d’Etat a validé l’utilisation de Data Just. Il a retenu que « le traitement autorisé par le décret attaqué répond à une nécessité justifiée par des motifs d’intérêt public important ». Il a également jugé que ce traitement des données était « nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public au sens de l’article 6 du Règlement général sur la protection des données », car il ne faut pas oublier que le traitement Data Just doit être soumis au règlement de protection des données personnelles et à la loi Informatique et libertés.
Il ne reste plus qu’à attendre le 27 mars 2022 pour connaître les effets de cette expérimentation.
Loriane LAVILLE
Sources :
https://www.justice.fr/donnees-personnelles/datajust
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041763675
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041763675
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-12-30/440376