Bonjour à tous,
Les brèves du 27 février au 5 mars 2023 sont désormais disponibles.
Nous remercions Lynn Mbongo et Héléna Kichenin pour leur contribution !
En vous souhaitant une bonne lecture et une bonne semaine,
Le Collectif
IA et Copyright : le sort des images créées par une IA
Décision du 23 février 2023, affaire « Zarya of the dawn »
L’intelligence artificielle (IA) ne cesse d’interroger les législations internationales. Les juges sont de plus en plus amenés à dessiner les contours de cette notion et sa portée quant à la propriété littéraire et artistique. C’est ainsi que l’Office du droit d’auteur des Etats-Unis a été amené à se poser la question de l’étendue des droits de l’auteur d’une bande dessinée dont les images avaient été réalisées par Midjourney, une IA conçue pour générer des images à partir d’un texte.
Midjourney : une IA particulière
La question qui se posait dans le cas d’espèce était assez atypique, car les images réalisées par l’IA s’inspiraient d’un texte écrit par l’auteur de la bande dessinée, Kris Kashtanova. Celle-ci avait fait valoir devant l’Office américain l’argument selon lequel les images étaient « l’expression directe de sa créativité ». C’était notamment la raison pour laquelle elle n’avait pas déclaré dans un premier temps que les images provenaient d’une IA.
Cependant, l’Office du droit d’auteur en a décidé autrement. Il a considéré que l’auteur pouvait être protégé par le Copyright pour les parties du livre qu’elle avait elle-même écrites et arrangées, mais pas pour les images produites par Midjourney. Il était donc question de protéger seulement les choix créatifs directs de l’auteur incluant les sélections et arrangements effectués quant à l’écrit et aux éléments visuels de l’œuvre.
L’Office américain du droit d’auteur a notamment jugé que Kris Kashtanova ne pouvait pas se prévaloir de la protection sur les images créées par l’IA, car c’était bien Midjourney qui était le « mastermind » derrière celles-ci. En effet, le choix de l’image par l’IA n’était pas prédictible par ses utilisateurs, rendant l’IA différent des autres outils utilisés pour la création de la bande dessinée.
La question de l’exigence d’une intervention humaine
Cette solution semble donner des précisions et interroger sur la notion d’exigence d’une intervention humaine par rapport à l’IA et ses limites en droit français. L’auteur de la bande dessinée n’avait selon ses dires pas seulement généré des images, elle aurait « édité et arrangé l’art généré par l’IA ». En ce sens, on aurait pu considérer qu’une personne humaine avait eu recours à l’assistance d’une machine pour créer, l’assimilant ainsi au terme de création assistée par ordinateur (CAO). Dans ce cas, il aurait été possible de reconnaître une protection pour les images originales créées, car il y aurait eu « assistance à l’œuvre humaine » et non pas création propre à une IA, dont les images n’auraient pas pu prétendre à une certaine originalité.
La décision de l’Office peut donc interroger sur l’absence de protection du droit d’auteur de ces images. Il n’est pas sans importance de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que l’autorité américaine considère que seules des œuvres originales créées par des personnes physiques puissent prétendre à une protection (affaire Feist Publications c. Rural Telephone Service Company, Inc. 499 U.S. 340 (1991))
L’hypothèse d’une assistance d’une IA dans la création d’une bande dessinée pour générer des images issues de textes relevant de l’empreinte de la personnalité d’un auteur semble par conséquent être écartée. Cette assistance représenterait davantage la création d’une œuvre à part entière assez éloignée des choix créatifs humains et qui serait plutôt dépendante du choix imprévisible de l’IA « mastermind ».
Le rôle compromis de l’office américaine
La décision de l’Office est éclairante en ce qu’elle rappelle la nécessité d’un examen précis des faits pour décider d’accorder ou non une protection pour les œuvres des intelligences artificielles.
Cependant, il faut rappeler qu’initialement, l’Office avait décidé d’accorder la protection pour l’œuvre entière après enregistrement le 15 septembre 2022. L’auteur n’avait effectivement pas précisé que les images avaient été réalisées par une IA. Ce n’est qu’après avoir pris connaissance par le biais des réseaux sociaux de la réelle provenance des images que l’Office a décidé de rouvrir le dossier et de modifier sa décision.
Ce cas pose donc une autre difficulté. Il est nécessaire pour les tribunaux et les offices de pouvoir identifier des contenus générés par des IA afin de pouvoir, le cas échéant, leur refuser une protection par le droit d’auteur.
Face à l’afflux de nouvelles difficultés légales entourant la question des nouvelles technologies, les juridictions ne semblent pas encore envisager de tels scénarios…
Lynn MBONGO
Sources :
Guadamuz (Octobre 2017). L’intelligence artificielle et le droit d’auteur. OMPI Magazine. L’intelligence artificielle et le droit d’auteur (wipo.int)
Brittain. (February 23, 2023). AI-created images lose U.S. copyrights in test for new technology. Reuters. https://www.reuters.com/legal/ai-created-images-lose-us-copyrights-test-new-technology-2023-02-22/.
Tessier. Éthique et IA : analyse et discussion. CNIA 2021 : Conférence Nationale en Intelligence Artificielle, Juin 2021, Bordeaux (en ligne), France. pp 22-29. ffhal-03321149
Thiérache, A. Marie, D. Souquet. Créations artistiques et intelligence artificielle : la plasticité des principes fondateurs de la propriété littéraire et artistique mise à rude épreuve. Légipresse 2022, n° 399 p. 26.
Feist Publications c. Rural Telephone Service Company, Inc. 499 U.S. 340 (1991)
Vers une analyse faciale pour vérifier l’âge des visiteurs de sites pornographiques ?
Etant de plus en plus alertée par les parents et le gouvernement français qui souhaitent vivement bloquer l’accès aux sites pornographiques pour les mineurs, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) réagit.
En effet, c’est dans une interview pour le journal Le Figaro du 26 février 2023, que la présidente de la CNIL, Marie-Laure Denis, vient proposer des solutions sur le court-terme. A cette occasion, il est précisé que le rôle de la CNIL va croître avec l’aide de l’intelligence artificielle.
Véritable gendarme de la vie privée et des données personnelles, la CNIL ne se dit « pas opposée » à l’analyse du visage pour vérifier l’âge des visiteurs de sites pornographiques, à condition que toutes les garanties soient prises quant aux données personnelles. Si ce système peut paraître intrusif, la présidente de la CNIL estime que « ce ne sont pas des systèmes parfaits, mais ils peuvent être utilisés dès maintenant. Ne nous privons pas de ces solutions de court terme ».
Il ne s’agit pas là d’une reconnaissance faciale permettant d’identifier l’utilisateur mais d’une analyse faciale puisque « le logiciel est chargé de déterminer un âge approximatif de l’internaute, mais pas d’identifier ce dernier ». La CNIL explique que « ces solutions auront certes du mal à distinguer une personne de 17 ans d’une autre de 19 ans, mais elles peuvent distinguer un enfant de 13 ans d’un adulte de 20 ans ».
L’internaute, désirant se rendre sur un site pornographique, devra alors activer la caméra de son smartphone ou la webcam de son ordinateur et se filmer plusieurs secondes, pour que l’intelligence artificielle d’analyse faciale estime son âge. Si l’analyse faciale reconnaît que l’utilisateur est majeur, l’accès au site pornographique lui sera déverrouillé.
La présidente de la CNIL souligne que si un tel système était mis en place, il serait par la suite remplacé par une autre solution plus pérenne.
Aujourd’hui, aucun pays dans le monde n’a réussi pour le moment à véritablement encadrer les sites pornographiques pour les mineurs. En ce sens, pour se rendre sur un site pornographique, il suffit simplement de cocher une simple case attestant que l’on est majeur.
L’avantage de ce système d’analyse faciale serait donc l’anonymat de l’internaute et la non-conservation des données, puisque la CNIL n’entend pas la création d’un fichier des personnes consultant ces sites pornographiques. Ce système de sécurisation pourrait voir le jour en 2024 mais il reste à convaincre les plateformes des sites pornographiques de mettre en place un tel système.
Néanmoins, un internaute français pourrait contourner ce système de vérification de l’âge, avec l’aide d’un simple VPN, localisant alors fictivement l’utilisateur dans un autre pays…
Héléna KICHENIN
Sources :
https://kulturegeek.fr/news-275390/acces-sites-pornos-controle-lage-analyse-visage
Transfert de données de l’Europe aux États-Unis : l’avis rendu par le CEPD
À la suite de l’invalidation de l’accord Privacy Shield qui permettait aux entreprises du numérique de transférer des données personnelles des européens aux États-Unis, le président américain Joe Biden a mis en place un nouveau cadre juridique, adopté le 7 octobre 2022. Ce dernier a pour objectif de renforcer les garanties concernant la collecte et l’utilisation des données personnelles par les services de renseignements américains.
Afin de vérifier si ce niveau de protection des données est adéquat aux données des européens, ce dernier a été soumis à la Commission européenne, qui a ensuite rendu un projet de décision sur lequel le Comité européen à la protection des données (CEPD) a rendu un avis ce mardi 28 février.
Quels sont les points qui ressortent de cet avis ?
Tout d’abord, ce dernier reconnaît de grandes améliorations apportées au cadre juridique américain de protection de la vie privée des données entre l’UE et les États-Unis, « mais des inquiétudes subsistent ».
En effet, concernant l’accès du gouvernement aux données transférées aux États-Unis, le Comité européen est fier des exigences introduites qui reprennent les principes de nécessité et de proportionnalité pour la collecte de données par les services de renseignement américains, et salue également le nouveau mécanisme de recours pour les personnes concernées de l’UE.
Toutefois, des points d’améliorations et des clarifications doivent être, selon lui, mis en avant. Ces derniers portent sur certains droits des personnes concernées, les transferts ultérieurs, le champ d’application des exemptions, la collecte temporaire de données en masse ou encore sur le fonctionnement pratique du mécanisme de recours ; ces derniers ont été relevés toujours par souci de protection des droits et libertés de l’individu de l’Union européenne.
C’est pourquoi la présidente du CEPD, Andrea Jelinek, a recommandé de répondre à ces préoccupations, qui selon elles, permettraient de garantir la pérennité de la décision d’adéquation. À ce titre, elle affirme que « des examens ultérieurs devraient avoir lieu au moins tous les trois ans et nous nous engageons à y contribuer ».
À voir quelle sera la réponse des organes de contrôle américain face à ces critiques.
Louise FOUQUET-CRISTOFINI
Sources :
https://www.cnil.fr/fr/invalidation-du-privacy-shield-les-suites-de-larret-de-la-cjue
Majorité numérique et lutte contre la haine en ligne : L’Assemblée nationale adopte la proposition de loi
Le 2 mars 2022, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.
Les conséquences particulièrement néfastes de l’essor des réseaux sociaux et de leur utilisation par les plus jeunes sont aujourd’hui incontestées. Allant des troubles du sommeil au cyberharcèlement en passant par l’exposition à des contenus problématiques, l’environnement numérique présente des dangers qui doivent être limités par le législateur.
C’est dans cette perspective que le député Laurent Marcangeli et les membres du groupe Horizons et apparentés ont proposé ce texte comportant deux axes : la majorité numérique et la lutte contre la haine en ligne.
La majorité numérique y est fixée à 15 ans, soit au même seuil que celui évoqué dans la Loi Informatique et Libertés pour le consentement au traitement des données à caractère personnel. Ainsi, les mineurs ne pourront s’inscrire et utiliser des réseaux sociaux qu’à partir de cet âge, ou alors devront y être autorisés par leurs tuteurs légaux. Dans un contexte où la première inscription à un réseau social s’effectue en moyenne à 8,5 ans, la promulgation de cette loi pourrait grandement affecter les plateformes.
Les services de réseaux sociaux devront donc mettre en place une solution technique afin de vérifier l’âge des utilisateurs et, le cas échéant, l’autorisation de leurs tuteurs, et ce sous peine de sanction. Cette solution devra être certifiée par l’Arcom après consultation de la CNIL.
Cette obligation s’imposera à tous les services répondant à la définition donnée par la proposition, reprenant celle du DMA, à savoir aux plateformes en ligne « permettant aux utilisateurs finaux de se connecter ainsi que de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d’autres utilisateurs et d’autres contenus, sur plusieurs appareils et, en particulier, au moyen de conversations en ligne, de publications, de vidéos et de recommandations. »
Pour ce qui est de la lutte contre la haine en ligne, la proposition déclare souhaiter étoffer l’arsenal juridique permettant de traiter les plaintes déposées pour des cyber délits. Pour ce faire, le champ des infractions comprises dans les cyber-délits est étendu, incluant le harcèlement conjugal ou moral, la divulgation de contenu intime, le chantage ou encore les « comptes fisha ». Elle prévoit également un délai de 10 jours au cours duquel les plateformes seront tenues de répondre aux réquisitions judiciaires qui leurs sont faites, sous peine de sanction.
Votée à la quasi-unanimité des 84 députés présents, la loi doit maintenant être examinée par le Sénat. A suivre…
Esther PELOSSE
Sources :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0739_proposition-loi
https://www.vie-publique.fr/loi/288274-reseaux-sociaux-majorite-numerique-15-ans-proposition-de-loi
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/majorite_haine_ligne
2 commentaires
Les commentaires sont fermés.