BRÈVES DU 9 AU 15 MARS 2020

Bonjour à tous ! Cette semaine, on parle de télétravail, d’open data, de la place des bonnes mœurs et du risque de confusion en droit des marques.

Bonne lecture !

 

Les logiciels de télétravail à l’honneur pour assurer le relai face à la crise sanitaire :

 

Les mesures de fermetures, annoncées à la suite du stade 3 de mobilisation sanitaire face à la propagation de la maladie covid-19, s’appliquent à de nombreux salariés. Cette décision impose une solution déjà intégrée au sein d’un certain nombre d’entreprises : le télétravail, qui est à privilégier selon le ministère du travail français.

 

« Si le poste de travail le permet, le télétravail est la solution à privilégier. Cette modalité d’organisation du travail requiert habituellement l’accord du salarié et de l’employeur, ce qui est la solution préférable.
Toutefois, l’article L. 1222-11 du code du travail mentionne le risque épidémique comme pouvant justifier le recours au télétravail sans l’accord du salarié
. »

 

Pendant que cette alternative doit rapidement être mise en œuvre pour les étudiants, les entreprises sont sollicitées par Microsoft, Google, Slack (dotées respectivement des outils Teams, Webex et Hangout) ou encore Cisco afin de mettre à disposition leurs outils.

Actuellement, certaines fonctionnalités de vidéoconférence sont proposées gratuitement par ces entreprises au vu de la nécessité que suscite la pandémie.

Ces acteurs du numérique envisagent l’opportunité de développer le marché des logiciels de télétravail. Google, Apple autorisent cette alternative, tandis que Twitter l’a rendu obligatoire à ses salariés pendant la durée de la pandémie.

De plus en plus d’entreprises s’orientent vers des outils de vidéoconférence comme celle proposée par Zoom et Wimi. Le marché est disputé entre les grandes plateformes et les nouvelles start-ups.

La fidélité serait envisagée par ces entreprises et leur offre de licences gratuites, avec les entreprises, qui après avoir utilisé les outils de télétravail, auraient la faculté de payer pour l’utilisation durable de ces logiciels.

Un réel avènement du travail à distance, par des moyens de communication numériques fait l’objet d’une prévision par plus d’une de ces entreprises, dont certaines voient déjà le nombre de connexion exploser (comme la start-up Wimi).

 

Sources :

[1] Florian Dèbes, Les Echos Tech&Médias, Le coronavirus ravive la bataille sur le marché des logiciels de télétravail, 14/03/2020

[2] Recommandations du ministère du travail, à destination des chefs d’entreprises et salariés

[3] Article L.1222-11 du code du travail, Légifrance, « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés. »

 

 

Ouverture des données muséales et patrimoniales à Marseille :

 

Le Conseil municipal de Marseille a récemment voté en faveur de l’ouverture des données culturelles et patrimoniales de la cité phocéenne. En optant pour l’Open Content de telles données, des milliers de ressources (collections des bibliothèques et des musées de la ville par exemple) seront accessibles sur des plateformes de la Région PACA (ou région Sud depuis 2018) et de la Métropole Aix-Marseille Provence.

Source : Pixabay

Le conseil municipal de Marseille avait déjà voté le principe d’ouverture des données publiques de la ville en 2012, et s’était même arrangé avec la Région PACA pour diffuser ces dernières. C’est donc dans une suite logique que, fin janvier 2020, a été approuvée l’accessibilité aux données muséales et patrimoniales de la ville.

L’ouverture des données culturelles entre dans une logique de valorisation du « patrimoine numérique de la ville de Marseille » selon l’article 3 de la délibération dudit conseil municipal. Ainsi sur des plateformes open data, peu importe les « contingences financières, géographiques, horaires ou calendaires de chacun » (article 1), seront accessibles en tout temps & lieux les données issues de la numérisation des collections de la ville.

Marseille n’est pas la première ville à opter pour l’ouverture de ses données culturelles. Toulouse, Rennes, Paris et Pau ont par exemple déjà reconnu Internet comme une occasion de faire partager son patrimoine, le faire rayonner et surtout et de le rendre plus accessible.

 

Sources :

[1] https://www.archimag.com/univers-data/2020/02/11/open-data-ville-marseille-vote-ouverture-donnees-culture-patrimoine 

[2] http://www.club-innovation-culture.fr/open-content-ville-marseille-donnees-museales-patrimoniales/

 

 

« Fack Ju Göhte » : une marque trop vulgaire pour être protégée ?

 

Le 21 Avril 2015, la société allemande « Constantin Film Produktion » a déposé la marque verbale « Fack Ju Göthe » auprès de L’EUIPO. Cette marque, titre d’un film allemand, visait à représenter différents produits et services spécifiques, notamment des jeux vidéo, vêtements et accessoires. Mais l’enregistrement de la marque fût rejeté par l’EUIPO le 25 Septembre 2015, au motif que celle-ci serait contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. En effet, l’expression « Fack Ju Göthe » risque d’être traduite par l’expression anglaise « Fuck You Goethe ».

Affiche du film allemand « Fack Ju Göhte »

Trouvant ce refus injustifié, la société allemande a formé deux recours successifs devant la chambre de recours de l’EUIPO et le Tribunal de l’Union Européenne (TUE). Faisant valoir deux arguments principaux : la marque a une vocation humoristique, et ne serait pas comprise en dehors de l’Allemagne. Par conséquent, elle ne saurait être perçue comme étant vulgaire.

Toutefois, dans deux arrêts des 5 Novembre 2015 et 3 Février 2017, ces deux juridictions ont rejeté les demandes de la société allemande. À la suite de ces refus, elle saisie donc la CJUE qui va adopter un raisonnement complètement différent.

En effet, le 27 Février 2020, la CJUE considère que l’EUIPO a effectué un contrôle in abstracto de la marque et non un contrôle in concreto. Ce qui l’aurait amené à négliger tout un faisceau d’indices en faveur de l’absence d’atteinte aux bonnes mœurs de la marque.

Tout d’abord, la CJUE reprend un arrêt du TUE en date du 9 Mars 2012 qui indique que, pour apprécier si une marque porte effectivement atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs, il est nécessaire d’apprécier le public visée par celle-ci. L’EUIPO avait, à juste titre, déterminé le public visé par la marque allemande comme « le grand public germanophone de l’Union, à savoir celui d’Allemagne et d’Autriche ».

Ensuite, la juridiction reprend la définition des bonnes mœurs pour l’associer au public visé par la marque. Les bonnes mœurs représentent les « valeurs et normes morales fondamentales auxquelles une société adhère à un moment donné ». La CJUE insiste alors sur le caractère évolutif des bonnes mœurs dans le temps. C’est en ce sens que son raisonnement diffère de celui de l’EUIPO.

En effet, l’EUIPO a considéré que, étant donné que l’expression « Fack Ju Göthe » risquait d’être traduite et comprise comme l’expression anglaise « Fuck You Goethe », elle était nécessairement contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Mais elle n’a pas analysé le contexte social du public visé. Or en l’espèce, ce contexte permet d’écarter la contrariété de l’expression litigieuse à l’ordre public et aux bonnes mœurs. L’expression « Fack Ju Göhte » est aujourd’hui, en Allemagne, détachée de tout caractère vulgaire. Utilisée pour des titres de films accessibles au jeune public et à des fins pédagogiques par l’institue culturel allemand Goethe, l’expression contestée a aujourd’hui perdu son sens initial dans l’oreille du public germanophone visé par la marque. C’est pourquoi elle ne peut être contestée comme « moralement inacceptable. »

Une expression doit, pour être jugée contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, être appréciée dans le contexte social actuel et non seule, en elle-même. C’est en ce sens que la CJUE annule la décision de l’EUIPO qui avait refusé l’enregistrement de la marque « Fack Ju Göhte » pour contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

 

Sources :

[1] https://www.dalloz-actualite.fr/flash/marque-fack-ju-goehte-n-est-pas-contraire-aux-bonnes-moeurs-selon-cjue#.Xmym5KhKjIU

[2] https://www.depot-de-marque.com/actualite-pi/fack-ju-gothe-marque-vulgaire

 

 

Précisions récentes sur la méthode d’appréciation du risque de confusion en droit des marques (Cour de Justice de l’Union européenne, 4 mars 2020, C-328/18P) :

 

Traditionnellement, la Cour de Justice de l’Union européenne juge, qu’afin d’apprécier le risque de confusion existant entre des signes, il y a lieu de déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle (CJUE, 22 juin 1999, « Lloyd Schuhfabrik Meyer & Co. GmbH contre Klijsen Handel BV. », C-342/97).

Mais, selon l’avocat général de l’affaire commentée, deux méthodes coexistaient jusqu’à lors dans la jurisprudence de l’Union européenne pour apprécier ces similitudes. Selon le premier courant, ou la méthode « stricte », il convient de se borner, au stade de l’appréciation de la similitude des signes, à les comparer tour à tour sur le triple plan, sans prendre en compte les conditions de commercialisation (qui seront prises en compte au stade suivant de l’appréciation globale du risque de confusion dès lors qu’une similitude, même faible, est constatée sur un de ces plans).

En revanche, selon le second courant jurisprudentiel, ou la méthode « souple », il y a lieu de faire intervenir les conditions de commercialisation dès le stade de l’appréciation de la similitude entre des signes. Ainsi, si des produits ou services sont commercialisés de telle manière que leur aspect visuel est plus important pour le consommateur, et que le Tribunal n’a pas constaté de similitude concernant cet aspect, il jugera que les signes ne sont pas similaires, indépendamment d’un éventuel degré de similitude concernant les autres aspects des signes, et sans examiner les autres facteurs pertinents pour l’appréciation globale du risque de confusion.

Marque antérieure IR n°1079410

Demande contestée MUE n°13576616

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Cour tranche ici clairement en faveur de l’approche « stricte » et permet ainsi de définir, en la matière, une ligne claire et cohérente. Elle précise que « si les conditions de commercialisation constituent un facteur pertinent dans l’application de l’article 8, § 1er, b, RMUE, leur prise en compte relève de l’étape de l’appréciation globale du risque de confusion et non de celle de l’appréciation de la similitude des signes en conflit ». La comparaison des signes doit s’appuyer sur l’impression d’ensemble que les signes laissent dans la mémoire du public, mais elle doit s’opérer « eu égard aux qualités intrinsèques des signes en conflit ».

Or, en l’espèce, le Tribunal de l’Union avait, à tort, retenu l’approche « souple ». Il avait jugé que, malgré leur degré moyen de similitude phonétique, les signes, représentés ci-dessous, n’étaient pas similaires en raison de leurs dissemblances visuelles, prépondérantes au regard des conditions de commercialisation, et conceptuelles. Il estimait que les produits en cause, à savoir des parfums, sont généralement vendus soit dans des magasins de libre-service, soit dans des parfumeries, où l’aspect visuel est plus important que les aspects phonétiques et conceptuels. Le Tribunal avait donc renoncé à effectuer l’appréciation globale du risque de confusion. La Cour a annulé sa décision.

 

Sources :

[1] CJUE, quatrième ch., 4 mars 2020, EUIPO c. Equivalenza Manufactory SL, C-328/18P

[2] Conclusions de l’avocat général M. Henrik Saugmandsgaard présentées le 14 novembre 2019. 

 

 

Un grand merci à Vanille Duchadeau, Isabelle Jallageas, Marine Gentil, ainsi qu’à Mounia Berranen du collectif pour leur contribution !

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