Rappel des faits de l’Affaire « Paradis »
Tout commence dans un hôpital psychiatrique abandonné de Ville-Evrard, signe que l’art peut naitre même dans les endroits les plus inattendus. Jakob Gautel, plasticien de son état, se rend dans cet endroit insolite à l’occasion d’une exposition organisée en 1990.
En voyant la porte des toilettes de l’ancien dortoir consacré aux alcooliques, ce passage pourtant si étroit et décrépi, condamné par une barre de fer scellant les portes, celui-ci a une révélation. Il y appose au dessus l’inscription « Paradis » en lettres dorées avec effet de patine. L’artiste cherche ainsi à jouer sur le contraste entre cette porte, symbole de la précarité des conditions de vie de ce lieu, et l’inscription qui rappelle la porte du paradis.
Selon Jakob Gautel lui-même ce lieu était une évidence. D’une part, la lumière qui fait jour derrière la barre de fer rappelle la lumière divine du Paradis qui nous appelle. D’autre part, cette même barre de fer forme une croix, symbole christique ultime, avec la lumière qui filtre au travers de la séparation des deux portes. L’inscription ainsi réalisée par Jakob Gautel reste sur place. Douze ans après, l’oeuvre est aperçue dans un documentaire sur la célèbre photographe Bettina Rheims. En effet, dans ce documentaire est évoqué une des œuvres de cette dernière : La nouvelle Eve. Dans ce tryptique apparaissent trois femmes, qui posent devant la porte évoquée précédemment.
Plus que cela, son œuvre donne sens à ces photographies. Sa réaction première est alors de contacter celle-ci, mais pas seul. Il va en effet se renseigner auprès d’une avocate, Me Agnès Tricoire, qu’il avait rencontré à l’occasion d’un passage qu’elle avait fait aux Beaux-Arts pour parler d’une affaire qu’elle avait remportée. A deux, ils écrivent une lettre à Bettina Rheims et la réponse que M. Gautel reçoit alors est radicale : elle remet en cause sa qualité d’artiste et sa paternité de l’œuvre en question. S’engage alors un procès.
Pour défendre son droit de paternité sur l’œuvre, M. Gautel cherche alors des témoignages de ses collègues qui l’ont vu à l’œuvre, des photos du lieu, les photos qu’il avait lui-même prises du lieu à l’époque. Un de ses professeurs des Beaux-Arts, Christian Boltanski, va témoigner en sa faveur en déclarant qu’il y avait bien là une démarche artistique de sa part. Il va alors gagner le procès en première instance en mettant en avant que c’était évidemment une œuvre dont il était question et qu’il y avait dans la démarche de Bettina Rheims, une contrefaçon.
La démarche de Bettina Rheims
La photographe interjette alors appel mais change de stratégie du tout au tout. Elle va contacter un nouvel avocat, Me Kiejman, très connu dans le milieu de la propriété intellectuelle. De nouveaux arguments sont alors soulevés pour dénigrer la qualité d’œuvre à la création de M. Gautel.
L’un des arguments de défense est alors de dire que le mot « paradis » qui domine la porte, appartient en réalité à tout le monde, qu’il n’est qu’une idée et donc qu’il n’est pas protégeable en droit des auteurs.
Un autre est de dire que l’écriture est banale, pas originale. L’avocat propose alors, puisque la typographie est classique du XVIIIe/XIXe siècle, de faire un photomontage pour la remplacer par une autre afin de dénier toute paternité à M. Gautel sur cette inscription.
Un autre argument porte sur l’importance de l’inscription « paradis » sur la surface de la photographie. Puisqu’elle ne prend qu’un petit pourcentage de celle-ci, elle est négligeable par rapport à l’œuvre photographique dans son ensemble.
Enfin un dernier argument porte sur la représentation même de la porte du paradis. Il est alors dit qu’elle a déjà été représentée maintes fois et qu’il n’y a donc aucune originalité pour celle de M. Gautel en particulier.
L’argumentation de M.Gautel
Pour M.Gautel, une telle affaire évoque un « rapport David contre Goliath », Bettina Rheims étant une photographe très influente. Il s’externalise alors de ce procès et écrit des lettres à son avocate comme si une pièce de théâtre étant en train de se jouer. Il fait de nombreuses recherches pour appuyer une argumentation forte contre celle de la photographe.
Contre le premier argument, qui donne au mot « paradis » un caractère d’idée, indéfendable en droit d’auteur, il met en avant que le mot dans les arts plastiques, n’est pas une invention de l’art contemporain. L’art en général est toujours conceptuel. La forme et les idées sont indissociables. Pour appuyer cela, il donne de nombreux exemples d’œuvres où l’écriture a son importance dans l’œuvre. Il met notamment en avant un tableau d’Andréa Mantegna, « la Crucifixion » où l’inscription INRI (initiales de IesusNazarenus Rex Iudaeorum), permet une identification certaine de Jésus parmi les crucifiés représentés.
Pour contrer l’argument de la banalité de l’écriture, là encore il donne de nombreux exemples d’œuvre afin de démontrer que la façon d’écrire quelque chose est originale. Il cite notamment un tableau de Goya « Nada. Ellodirà » ou encore Magritte avec le fameux « ceci n’est pas une pipe ». Pour lui, l’écriture est vraiment une partie du vocabulaire de l’art contemporain. Il y a donc originalité dans l’écriture du mot « paradis ».
Pour contrer l’argument de la faible surface représentée par le mot « paradis », il fait de même, il crée encore un véritable dossier d’œuvres où des éléments qui ne prennent que peu de surface ont en réalité une importance majeure. Il cite à cet égard le tableau de Vermeer « la liseuse à la fenêtre » puisque la lettre, qui ne représente qu’une infime partie de la peinture, donne son sens à celui-ci.
Enfin pour contrer le dernier argument qui portait sur la banalité de la représentation de la porte du paradis, M. Gautel compare alors son œuvre à celles qui ont été faite sur le passé et démontre alors que c’est la première fois qu’elle est représentée ainsi, à savoir de face et fermée, ce qui marque bien une originalité.
La Cour d’appel se prononce alors en faveur de M. Gautel et un pourvoi en cassation est formé par Bettina Rheims. La Cour de cassation le rejette alors, approuvant l’arrêt de la Cour d’appel.