Contrefaçon ou dupe ? Rencontre entre l’industrie de la mode et la propriété intellectuelle

« Être copié est la rançon du succès », Coco Chanel.

Le hashtag #dupe recense plus de 3,6 milliards de visionnages sur le réseau social TikTok. Ces interprétations low-cost de produits de luxe pullulent depuis quelques années sur la Toile. Un phénomène à la limite de la contrefaçon…

 

Du pareil au même

Les hautes maisons de couture sont la principale source d’inspiration des collections de prêt-à-porter. En effet, ce sont les grands créateurs qui influencent les tendances à venir et dictent la mode des industries du prêt-à-porter dont les articles finissent dans notre garde-robe. Précurseurs de la mode, les collections présentées par les défilés sont galvanisées par leur commercialisation dans les boutiques de prêt-à-porter quelques mois après.

Le dupe, abréviation de duplicata, est donc un produit qui ressemble par sa forme, sa couleur ou sa texture à celui d’une entreprise de luxe. Par exemple, Mango a dupé les sandales « Oran » de Hermès pour 49,99 euros contre 565 euros. Pour suivre l’effet de mode, la majorité des consommateurs optent dès lors pour des dupes. L’avantage ? Permettre aux consommateurs d’avoir accès à des tendances à des prix plus abordables.

Ce phénomène s’intensifie à une ère où la fast fashion est dénoncée pour son manque d’éthique, ses conditions de travail désastreuses et son impact sur l’environnement.

 

Le créateur de mode de luxe est-il le dupé ?

En s’inspirant des créations des maisons de couture, la fast fashion caresse les notions de parasitisme et de contrefaçon. Mais, la copie est devenue la norme, notamment en raison de l’essor d’Internet qui facilite les atteintes aux droits de propriété intellectuelle. Fors de la mise à mal de leur savoir-faire, les maisons de haute couture sont victimes de la prolifération en masse des dupes. Même puissante, une marque dupée verra inévitablement son image dépréciée. D’après Bruno Lavagna, expert international du luxe :

« On ne peut jamais dire qu’un dupe est positif pour le luxe. C’est un fléau ».

Pour d’autres, les dupes sont un tremplin pour l’industrie du luxe, copier étant considéré comme une forme de succès.

 

Quid du respect du droit de la propriété intellectuelle ?

A son article L. 112-2, 14°, le Code de la propriété intellectuelle qualifie d’œuvres de l’esprit « les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure ». Ces créations doivent répondre « aux exigences de la mode », en ce qu’elles subissent un « renouvellement fréquent » dans « la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d’ameublement ». Ainsi, toute reproduction partielle ou intégrale sans autorisation constitue une contrefaçon.

En réalité, la ligne juridique est étroite entre la contrefaçon et le dupe et il n’est pas aisé d’en faire la distinction. Selon Maître Vanessa Bouchara, cette distinction doit faire l’objet d’une appréciation par le juge in concreto.

Un dupe s’inspire généralement d’un ou deux éléments de la création de luxe. Il reprend l’aspect visuel du produit de luxe mais ne reprend pas la marque de luxe. Partant, le dupe pourrait donc constituer, non pas une contrefaçon à l’identique, mais davantage une contrefaçon par imitation. Faute d’une double identité, qui dit contrefaçon par imitation dit risque de confusion. Il y a risque de confusion lorsque le consommateur considère que les produits et services ont la même origine, commercialisés par la même entreprise (arrêts Sabel, Canon et Lloyd). Encore faut-il en apporter la preuve… En effet, force est de constater qu’en achetant un polo d’une enseigne de fast fashion, le consommateur sait pertinemment qu’il n’achète pas un polo Ralph Lauren.

Une chose est sûre : lorsque le dupe s’inspire de tous les mêmes éléments du produit luxueux, il s’agit d’une contrefaçon à l’identique et nul besoin de prouver le risque de confusion. Par exemple, le sac « Le Grand Chiquito » de Jacquemus vendu à 22 euros sur Wish reprenant le signe de l’entreprise de luxe.

 

Copier-coller ?

Voici quelques exemples jurisprudentiels illustrant les batailles judiciaires entre « dupé » et « dupeur ».

  • L’Oréal c/ Drunk Elephant

En 2019, le groupe L’Oréal accuse Drunk Elephant de contrefaçon de son brevet portant sur la recette de l’un de ses sérums et possède ainsi tous les droits sur les compositions d’acide ascorbique stabilisées et les méthodes correspondantes. Alors que le sérum de L’Oréal coûte 160 euros, le sérum de Drunk Elephant en coûte la moitié. Le problème : Drunk Elephant utilise une composition très semblable. Quatre ans plus tard, l’action est toujours en cours.

 

  • H&M c/ Isabel Marant

Dans son arrêt du 2 novembre 2022, la Cour d’Appel de Paris exclut l’action en contrefaçon formée par Isabel Marant : « Si plusieurs des différents motifs décoratifs de la veste Eloïse sont connus, apparaissant sur des vestes invoquées par la société H&M (étoiles classiques et filantes, yeux, mains…), (…) l’esprit des deux vestes étant radicalement différent : alors que la veste « Eloïse » est une veste branchée, luxueuse et ostentatoire, susceptible d’être portée lors d’une soirée, la veste H&M est une grosse veste fourrée d’hiver fantaisie reprenant le genre « cosmique et ésotérique » non appropriable en tant que tel ».

 

  • Rains c/ Zara

L’enseigne danoise Rains, spécialisée dans les vêtements de pluie, avait agi en 2016 devant la Cour danoise du commerce contre le groupe Inditex pour violation de ses droits d’auteur. En effet, l’enseigne Zara avait commercialisé un modèle de parkas vertes qui ressemblaient fortement à deux modèles iconiques de Rains : le « Long Jacket » et le « Parka Coat ». En mai 2020, la justice danoise fait droit à ses demandes.

 

« Allez-vous y retrouver parmi le faux vrai, le vrai faux, le vrai vrai et le faux faux ! » Armand Salacrou

 

Ninon VANDEKERCKHOVE

 

Sources :

https://www.useyourlaw.com/les-dupes-et-le-luxe-la-zone-grise-de-la-propriete-industrielle/

https://www.20minutes.fr/tempo/4025087-20230223-dupes-comment-produits-imites-exposent-aucun-complexe-reseaux-sociaux

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/veille-sanitaire/veille-sanitaire-du-mercredi-04-janvier-2023-1621392

https://www.obvy-app.com/magazine/bonnes-pratiques/obvy-differencier-dupe-et-contrefacon-entre-particuliers/104

https://fr.fashionnetwork.com/news/Les-dupes-ces-imitations-low-cost-dont-les-jeunes-raffolent,1487876.html

https://www.classaction.fr/loreal-poursuit-laction-contre-drunk-elephant/

https://novagraaf.com/fr/vision/hm-ne-contrefait-pas-la-veste-eloise-isabel-marant

https://fr.fashionnetwork.com/news/Au-danemark-rains-remporte-une-victoire-juridique-face-a-inditex,1219561.html

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