« Une blague c’est un texte comique. C’est une écriture, un vécu, un choix, une rythmique. Pourquoi on protégerait un romancier et pas un humoriste ? »1
Le 18 octobre 2017, un vidéaste anonyme a publié sur sa chaine Youtube « CopyComic Vidéos » des vidéos dans lesquelles il démontre de fortes ressemblances entre les sketchs d’humoristes américains et canadiens, et ceux d’humoristes français. Parmi les humoristes visés par ces accusations, on retrouve, entre autres, Tomer Sisley, Gad Elmaleh, Jamel Debbouze ou encore Michel Leeb.
Est-ce vraiment une nouveauté ? Pas du tout ! Ces révélations voient le jour grâce à Internet mais le problème ne date pas d’aujourd’hui. En 1980, Coluche disait « Si je devais citer sur l’affiche de mon spectacle tous les mecs que j’ai pompés, il n’y aurait plus de place pour mettre mon nom »2. En 19983, un rapport était écrit par Luc Boulanger et Marie Labrecque sur le plagiat chez les humoristes « Blaguer, c’est piquer ? ». Le plagiat était déjà bien présent mais semblait plutôt être un secret de polichinelle, le milieu étant assez petit, personne n’osait dénoncer ses collègues. En 1998, on retrouvait les mêmes questions posées aujourd’hui : plagiat ou inspiration ? Maladresse ou réelle intention ? Le rapport finissait avec les mots suivants : « (…) il semble que de plus en plus d’humoristes prennent le plagiat au sérieux. Au bout du compte, la blague a peut-être assez duré ». Or, vingt ans plus tard, la pratique du plagiat chez les humoristes est toujours récurrente. Mais aujourd’hui, avec le développement d’Internet, des réseaux sociaux et des plateformes d’hébergement, il est beaucoup plus compliqué de se cacher.
Alors, simple hommage ou vol caractérisé ?
Tomer Sisley, premier humoriste visé par les vidéos CopyComic a assumé, au micro des journalistes d’Envoyé Spécial4, avoir volé des blagues aux artistes américains. Il se serait servi chez une vingtaine de comiques étrangers ce qui représenterait un peu plus de 30% de textes empruntés. L’exemple le plus parlant est celui du sketch « des policiers en patins à roulettes ». Au-delà de prononcer, à la virgule près, le même texte, Tomer Sisley a aussi la même intonation et la même présence scénique que Ted Alexandro, auteur originaire de la blague, qui n’a jamais touché un centime du spectacle « Stand Up » de Tomer Sisley. D’ailleurs, il se défend en prétextant que si les humoristes américains avaient donné leur accord, les royalties qui leurs auraient été reversées auraient été minimes. Or, Tomer Sisley a joué près de quatre cents fois son spectacle et, au-delà des billets vendus, il faut aussi compter la vente des DVD ainsi que les passages radiophoniques et télévisuels des sketchs visés. Il y a donc un véritable manque à gagner pour les humoristes américains et qualifier de « minime » ce manque est une erreur.
Pour le moment, seul Tomer Sisley a avoué avoir volé des textes comiques aux humoristes américains et canadiens. Les autres humoristes visés par CopyComic ont d’autres réactions : soit ils se terrent dans le silence, soit ils réfutent le vol mais parlent plutôt « d’hommage » ou « d’inspiration ». Mais quelle est la limite entre inspiration et contrefaçon ?
Pour Alex Ramirès5, humoriste, il faut apprécier le contexte du texte comique : « Parfois pendant le processus d’écriture on se dit qu’on a trouvé une rythmique, et on comprend a posteriori d’où elle vient, notamment quand on revoit un one man show qu’on aime bien. S’il y a juste une similitude dans la rythmique mais que le mot et le contexte sont différents, je pense, peut-être à tort, que cela peut aller. C’est lorsqu’un humoriste reprend une même blague, une même phrase et un même thème que cela pose problème. ». S’inspirer du thème d’une blague pour se l’approprier et en faire un sketch original n’est pas constitutif d’une contrefaçon. Un fonds commun est même réservé permettant aux artistes de pouvoir piocher dans un fonds d’idées sans avoir besoin de demander l’accord de l’auteur puisque celles-ci ne sont pas protégeables. Par contre, traduire mot à mot le sketch d’un humoriste américain sans que celui-ci n’ait donné son accord constitue un plagiat évident.
Certains s’interrogent alors : pourquoi les sketchs des humoristes – comme les reprises de chansons – ne pourraient-ils pas être traduits de l’anglais au français ? En effet, les chansons anglo-saxonnes sont souvent reprises et traduites en français. En soit, il est envisageable pour un humoriste français de traduire les sketchs d’humoristes étrangers mais dans ce cas-là, il faudra en acquérir les droits. Le problème que révèlent les vidéos CopyComic est qu’il n’y a jamais acquisition des droits, les humoristes américains ne sont même pas informés de la reprise de leurs sketchs par les humoristes français. De plus, il n’y a jamais mention de l’auteur originaire des sketchs, ce qui peut amener le public à croire que l’humoriste français est bien auteur de ces blagues.
La plupart du temps, les blagues reprises sont très courtes. Peuvent-elles bénéficier de l’exception de citation ? Pour rappel, l’exception de citation est prévue à l’article « Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…) 3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées; ». Au-delà du fait qu’il n’y a jamais mention du nom de l’auteur et de la source, les blagues ne présentent pas les caractéristiques visées par l’article. Les humoristes ne peuvent donc pas bénéficier de l’exception de courte citation. Le plagiat semble bien être caractérisé.
D’ailleurs, en droit français, on ne parle pas de plagiat mais de contrefaçon. La contrefaçon est un délit encadré L.335-3 du Code de la propriété intellectuelle « Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une oeuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi. ». Mais pour le moment, aucun artiste américain n’a poursuivi un humoriste français pour plagiat. Pourquoi ? Il faut savoir qu’aux Etats Unis, le plagiat est puni de cinq ans d’emprisonnement, les frais de justice sont très élevés (environ 100 000€) et le temps de procédure est très long par rapport à la condamnation du juge qui condamne rarement à des peines d’emprisonnement.
Les humoristes américains estiment finalement que c’est à la société de rendre justice. Effectivement, les vidéos CopyComic ont suscité une très mauvaise publicité, de nombreuses personnes ont alors décidé de boycotter les humoristes visés par les accusations de contrefaçon, en témoignent les réactions aux vidéos CopyComic, les réseaux sociaux (notamment Twitter) ou encore les grandes salles de spectacles à l’effigie du Bordel Comedy Club6 de Montréal dont le directeur a décidé d’interdire à Gad Elmaleh de se produire au sein de son établissement afin de « protéger les humoristes et les créateurs »7.
Le youtubeur CopyComic : « mi-délateur, mi-justicier »
L’identité du youtubeur reste inconnue malgré l’ampleur de ses révélations. Certains dans le milieu humoristique estiment que, derrière le vidéaste, se cache un humoriste raté n’ayant pas réussi à faire carrière. Il dénoncerait ces pratiques seulement par jalousie, notamment en s’en prenant au seul humoriste ayant réussi à l’international : Gad Elmaleh. Celui-ci a d’ailleurs, par l’intermédiaire de son avocate, demandé à Twitter de révéler qui se cachait derrière le compte @CopyComicVideos8.
Le vidéaste a répondu. Il aurait choisi l’anonymat pour que son nom n’empiète pas sur la polémique : « Mon anonymat est celui de ceux qui préfèrent mettre en avant le sujet et non les personnes. Je n’ai à rougir de rien. ». Au micro des journalistes de Quotidien, il a aussi défendu son approche qui serait seulement dans le but de rendre justice aux humoristes volés : « Le sujet n’est pas la quantité mais la pratique : est-ce qu’on peut voler un DVD de temps en temps, du moment qu’on en achète souvent ? Est-ce qu’on peut plagier, du moment que ça ne représente pas la majorité de son oeuvre ? Je ne crois pas que les lois fonctionnent ainsi. »
Dernier rebondissement en date, le 20 février 2019, Gad Elmaleh, souvent visé par les accusations du youtubeur, a demandé à Twitter de supprimer toutes les vidéos l’accusant. L’avocate de l’humoriste, Isabelle Wekstein s’est basée sur les droits voisins du droit d’auteur pour appuyer sa demande : le youtubeur n’a pas demandé à Gad Elmaleh son autorisation pour reproduire des parties de ses spectacles. Les vidéos constitueraient des contrefaçons. Copycomic n’a pas tardé à réagir « Gad Elmaleh utilise ses droits d’auteur (et ses droits voisins) pour censurer les vidéos qui présentent ses éventuels plagiats! Étonnant non? Gad Elmaleh tient donc beaucoup au respect de son droit d’auteur, moins à celui des autres. ». Les vidéos, suspendues trois jours, sont de nouveau accessibles sur le Twitter @CopyComicVideos.
Affaire à suivre…
Clara Bedhome
- Christine Berrou, humoriste : https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-a-moudre/pomper-cest-tromper
- https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/zoom-gad-elmaleh-ou-s-arrete-l-hommage-ou-commence-plagiat.htm
- Luc BOULANGER, Marie LABRECQUE « Le plagiat chez les humoristes : blaguer, c’est piquer ? », 1998
- « Mauvaise blague chez les comiques », Envoyé spécial, 2018
- https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-a-moudre/pomper-cest-tromper
- http://www.lefigaro.fr/theatre/2019/01/31/03003-20190131ARTFIG00199-gad-elmaleh-accuse-de-plagiat-a-montreal-une-salle-de-spectacle-ne-veut-plus-de-lui.php
- https://www.gqmagazine.fr/pop-culture/article/un-comedy-club-interdit-lentree-a-gad-elmaleh
- https://www.huffingtonpost.fr/2019/02/20/gad-elmaleh-copycomic-plagiat_a_23674145/