De la nécessité d’encadrer juridiquement le transhumanisme

Définition du transhumanisme

On pourrait définir le transhumanisme comme « un mouvement social complexe qui associe le développement technologique dans l’informatique et la biotechnologie à des considérations idéologiques et philosophiques, l’ensemble étant soutenu par une poussée économique considérable. Ce mouvement prône l’usage des sciences et des techniques afin de développer les capacités humaines et de dépasser les limitations de l’homme.  »[1]. En résumé, le transhumanisme est un mouvement visant à repousser les limites naturelles de l’humain. Il regroupe philosophes et scientifiques et se base sur les NBIC, c’est-à-dire les nanotechnologies, biotechnologie, informatique et sciences cognitives.Il n’est pas l’utopie de quelques scientifiques farfelus, mais une volonté actuelle de transcender les limites de l’humain.Le transhumanisme est, en effet, perceptible dans diverses avancées technologiques et scientifiques pour lesquels le but initial a été de soigner l’homme, mais qui permet aussi implicitement de l’augmenter faisant ainsi naitre de nouveaux débats philosophiques quant à la nature de l’homme, le sens de la vie, et la mort.

La première avancée transhumaniste a été la Procréation Médicalement Assistée (PMA), et déjà une telle avancée soulevait des inquiétudes. Par exemple, Jean-Pierre Dupuy témoignait de ses craintes face à l’introduction de la notion de choix rationnel dans la conception d’un enfant. Le philosophe explique que pour que la vie ait un sens, il faut qu’elle ait une fin et qu’elle soit guidée par le hasard. Ainsi, éliminer le hasard, c’est éliminer le sens de la vie, de la mort, et le sens tout court.

L’humain peut aussi être augmenté par des machines et devient alors un cyborg à l’image du très célèbre Robocop. Mais alors, où s’arrête l’humain ainsi que la protection particulière du corps humain ? Niel Harbisson est le premier cyborg a avoir été reconnu officiellement comme tel, son eyeborg est un élément de sa personne : lui arracher son équipement serait comparable à une défiguration. Mais qu’en est-il des autres cyborgs non reconnus ? La machine augmentant l’humain peut-elle réellement bénéficier du même statut que ses membres faits de chair et de sang ?

Cette thématique peut être rapprochée de celle des exosquelettes, autre exemple de technologie empreinte de transhumanisme. Développés dans le but de soigner les combattants, ils leur permettent aujourd’hui d’être des super-soldats à la force surhumaine. Mais alors, où s’arrête l’homme « Captain America » des temps modernes et où commence la machine de guerre déshumanisée née pour vaincre ?

Par ces quelques exemples, nous comprenons que l’humanité et ses recherches tendent vers un humain détaché de la nature, comme le résume l’expression From chance to choice. Un des risques pointés par les spécialistes est celui d’une humanité à deux vitesses où il existerait deux castes imperméables : les augmentés (la norme) et les naturels (handicapés).

Le but est ici de se désolidariser de l’évolution classique telle que décrite par Darwin, de choisir les évolutions de l’humain sans l’aléa de la loterie générique. Ceci risque d’avoir pour conséquence une normalisation de la société vers un idéal posé par l’homme, si tant est qu’il puisse y avoir une définition universelle de cet idéal. Cette normalisation pourrait sans aucun doute amener un eugénisme génétique dangereux.

Ainsi, après avoir amélioré le grain de maïs OGM, l’être humain court vers l’Homme 3.0 à capacités augmentées. Mais cet homo deus voulu par Laurent Alexandre, premier spécialiste français du transhumanisme, pose des questions fondamentales comme par exemple : qu’est-ce que l’homme et où s’arrête la nature humaine ?

L’homme sacralisé se prend pour un dieu immortel. Pourtant, une vie sans mort n’est peut-être pas le meilleur des objectifs quand on voit ce qu’il est advenu de Dorian Grey[2].

 

Les inquiétudes doctrinales face au développement du transhumanisme

D’abord, les bio-conservateurs sont hostiles au développement du mouvement transhumaniste. Francis Fukuyama en est un célèbre représentant. Il considère que le transhumanisme constitue une menace pour le bien- être et la dignité humaine[3]. Pour cet auteur, la finitude humaine confère in fine toute coloration à la vie humaine, aussi courte soit elle ; il voit ainsi les biotechnologies comme des « bulldozers génétiques ». Les bio-conservateurs s’inquiètent du développement des biotechnologies qui risqueraient à terme de bafouer les règles de la moralité. L’être humain doit davantage faire preuve d’humilité et doit se contenter de ses aptitudes naturelles, aussi inégalitaires qu’elles puissent paraître.

Ensuite, le transhumanisme pourrait poser des problèmes en matière de sécurité informatique. En effet, Mme Béatrice Jousset-Couturier[4] s’inquiète des conséquences que pourraient un avoir un éventuel piratage sur le corps humain, les implants étant susceptibles d’altérer les fonctions du corps humain, altération de nature à mettre en péril la vie humaine et causer d’importants problèmes de sécurité publique.

D’autres auteurs[5] estiment que la logique transhumaniste conduirait à faire fi de l’environnement en s’inscrivant au sein d’une logique de déresponsabilisation environnementale qui reviendrait à nier les catastrophes écologiques et à ne se concentrer que sur la recherche de moyens d’adapter l’humain à un environnement en perpétuelle mutation.

Enfin, le transhumanisme pourrait, également, être au service de la défense de l’État par la création de soldats aux capacités augmentées. Mais, est-ce souhaitable pour la paix mondiale ?

On comprend donc que le transhumanisme et ses conséquences peuvent effrayer. Il s’en suit une nécessité d’encadrer les potentielles dérives.

 

La nécessité d’encadrer juridiquement le transhumanisme

Nous venons de le montrer, le transhumaniste peut être sujet à de nombreuses dérives, il est donc nécessaire que ce mouvement soit encadré juridiquement.

Le droit interne semble en effet assez lacunaire sur ce sujet. L’article 16-3 du Code Civil énonce que « nul ne peut faire l’objet de discriminations en raison de ses caractéristiques génétiques. ». Pourtant, le transhumanisme risque d’engendrer des discriminations entre les humains augmentés et les humains naturels. De plus, l’article 16-4 du Code Civil énonce notamment que « nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine. » ce qui entre en conflit avec la finalité du transhumanisme qui est de modifier substantiellement le genre humain.

Les inégalités sociales constituent un sujet permanent de l’actualité. Or, le transhumanisme ne permettrait pas d’y pallier, bien au contraire. Certains auteurs affirment qu’il risquerait d’instituer un « néodarwinisme socio-économique entre ceux qui pourront vivre éternellement et les autres »[6]. Ces inégalités sociales seraient de nature à engendrer des inégalités juridiques entre les individus. Les humains augmentés seraient-ils légitimes à disposer de davantage de droits que les humains biologiques ? Une réponse positive porterait atteinte au principe d’égalité en droits consacré à l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. Notons qu’une lecture souple de cet article pourrait, en réalité, légitimer cette différence de traitement étant donné que cet article se réfère à la condition humaine alors que le transhumanisme s’intéresse aux surhommes. Dès lors, le transhumanisme pourrait-il encourager le législateur à créer un droit spécial des humains aux capacités augmentées ? Ce droit spécial pourra, dès lors, être profitable à de futurs plaideurs qui seraient tentés de justifier d’une différence de traitement, profitable aux êtres humains augmenté, résultant d’une différence de situation par rapport aux humains biologiques[7]

Aujourd’hui, le transhumanisme reste cantonné à un stade peu développé et n’a pas encore fait jurisprudence. Cependant, par anticipation, certains praticiens du droit ont simulé un procès fictif, organisé le 22 juin 2017 à la Cour d’appel de de Paris. Les faits étaient supposés se dérouler en 2037. Des forces de l’ordre ainsi que des « citoyens vigilants » étaient dotés d’une « e-cornée » disposant d’une faculté d’enregistrement ce qui permettait de faciliter la preuve matérielle d’une infraction.  Les bio-résistants, protestant contre le mouvement transhumaniste, ont décidé de pirater le système informatique des forces de police entraînant d’importants dommages dont une perte totale de la vue ainsi que des hallucinations persistantes[8]. Déjà, il ressort clairement des faits de vives tensions pourraient être amenées à naître entre d’une part, les progressistes favorables au transhumanisme et d’autre part, les bio-conservateurs tentant de saboter les innovations biotechnologiques. Dans la solution fictive proposée par la Cour d’appel[9], les juges s’en remettent notamment aux recommandations de la Commission Nationale de la Bioéthique pour statuer sur le devenir du transhumanisme. Cependant, il convient de s’interroger sur l’impact de ces recommandations qui seront dépourvues de force contraignante étant donné qu’elles constituent du « droit mou ».

Toujours en référence à l’affaire précédemment citée, une question majeure se pose, quid de la qualité des victimes dont les capacités ont été augmentées ? Doivent-elles être considérées comme des humains ou comme des biens ? Les juges de la Cour d’appel ont condamné les bio-partisans pour blessures involontaires.La solution fictive, rendue par les juges de la Cour d’appel, interroge. La Cour d’appel, bien qu’indemnisant les victimes pour préjudice corporel, n’a pas suivie l’argumentation des parties civiles et de l’Avocat général[10] estimant qu’une « e-cornée » ne pouvait être une considérée comme une personne par destination. Les juges ont donc reconnu une atteinte aux biens[11].

Cette décision, bien que fictive, se montre relativement distante par rapport aux implants biotechnologiques qu’elle qualifie de biens. Toutefois, compte tenu de l’avancée incontestable du mouvement transhumaniste, la grande question sera celle du devenir de l’humain face à un homos deus qui à terme, s’éloignera de plus en plus de la nature humaine. Faudra-t-il ainsi envisager de créer une nouvelle catégorie d’espèce? La seule qualification en tant que« biens »d’implants biotechnologiques pourra-t-elle à terme être considérée comme satisfaisante ? Seul l’avenir nous le dira.

Anne-Claire BLONDEAU

Alexis MUSSARD

[1]François-Hugues PARISIEN, le transhumanisme, Philosophie, science et société.

[2] Oscar Wilde, « Le portrait de Dorian Grey »

[3]Francis Fukuyama, « La fin de l’Homme : les conséquences de la Révolution bioéthique »

[4]Béatrice Jousset-Couturier, Le transhumanisme, p.141/142

[5]Norbert Wiener : Cybernétique et société. L’usage humain des êtres humains

[6]Article sur Bernard Stiegler par Sciences et Avenir : https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/le-transhumanisme-est-un-neodarwinisme-dangereux-avertit-bernard-stiegler_108864

[7]Conseil constitutionnel, décision n° 96-375 DC, 9 avril 1996

[8] Gérard Haas et Amanda Dubarry « Écritures parties civiles », Dalloz IP/IT, 2017, p. 425

[9] Catherine Champrenault, Grégoire Loiseau et Judith Rochfeld, « Décision », Dalloz IP/IT, 2017, p.459

[10] Françoise Barbier-Chassaing, Jean-Baptiste Crabières, Lorraine Paquin, Myriam Quéméner, « Réquisitoire », Dalloz IP/IT, 2017, p.431

[11]Ibid.

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