Lorsqu’on parle des jeux vidéo aujourd’hui, on ne peut pas envisager le sujet sans penser au développement massif de la communauté de « gamers » ces dernières années. Depuis le milieu des années 2010, un mouvement a pris de l’essor : les compétitions portant sur les jeux vidéo. On parle alors de E-Sport. C’est un phénomène important aujourd’hui, preuve en est, le Club du Paris Saint-Germain a lancé sa propre section dans le domaine en 2016. On imagine alors aisément les développements possibles dans les années à venir. À titre indicatif, le « Worlds Championship » du jeu « League of Legends » en octobre 2016 a réuni plus de 43 millions de spectateurs. Ce chiffre est impressionnant du fait qu’il tient compte des personnes présentes physiquement mais aussi des personnes ayant suivies la compétition en streaming. En France, on pense que le marché du E-Sport va se développer dans les années à venir et qu’il devrait dépasser les 30 millions à l’horizon 2020. Cette émergence et la croissance impressionnante qui a suivi nous amènent cependant à nous interroger sur les droits relatifs au domaine.
Le E-Sport une notion incertaine
Le E-Sport en droit est appréhendé de manière particulière. En effet, il ne peut être considéré comme un sport à part entière du fait de l’absence d’activité physique des joueurs, et c’est pour cette raison qu’il est exclu du Code du sport. Cette exclusion compréhensible reste pour autant assez discriminatoire. On constate que certaines activités ont pu être rattachées au Code du sport sans une réelle activité physique. Il existe bien par exemple une fédération des échecs qui est agréée par le ministère des Sports. Par ailleurs, un rapport en date du 2 novembre 2015 préconise la reconnaissance des sports cérébraux par le Ministère chargé des sports. La pratique en compétition des jeux vidéo est in fine très proche de celle des échecs. Il faut avoir une concentration forte, le tournoi peut être en individuel ou en équipe et il est indéniable qu’une personne doit être en suffisamment bonne santé pour pouvoir rester plusieurs heures devant un écran et rester compétitif.
L’avancée la plus intéressante en matière de E-Sport reste la Loi pour une République Numérique en date du 7 octobre 2016 qui est venu consacrer légalement les compétitions de jeux vidéo. Pour cela, les participants doivent être présents physiquement. La loi va plus loin et créer un CDD spécifique calqué sur le modèle des sportifs professionnels. En plus de créer un statut pour les joueurs professionnels de E-Sport, cette loi reprend une définition du jeu vidéo que l’on retrouvait précédemment dans le Code général des impôts et qui est in fine assez claire sur ce qu’il faut associer ou non à la notion de jeu vidéo. Ainsi, ce dernier est défini comme « tout logiciel de loisir mis à disposition du public sur un support physique ou en ligne intégrant des éléments de création artistiques et technologique, proposant à un ou plusieurs utilisateurs une série d’interactions s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées ». On dispose donc d’un cadre assez clair quant à la possibilité d’organisation de tournoi tant sur la forme considérée comme valable, que sur les joueurs et leur protection.
Les éditeurs, premiers organisateurs des tournois de E Sport
Comme vue précédemment, la Loi pour une République Numérique autorise désormais l’organisation de compétitions portant sur les jeux vidéo. Pour cela, il doit y avoir au moins deux joueurs ou deux équipes qui doivent s’affronter pour un score ou une victoire à la fin. Au vu de cette définition, on pense que n’importe qui pourrait créer un tournoi portant sur un jeu vidéo, pourtant tel n’est pas le cas. En effet, l’organisation d’un tel événement est soumise à l’autorisation préalable de l’éditeur ou des éditeurs du jeu. On doit relever qu’un utilisateur de jeux vidéo ne possède absolument aucun droit sur le jeu en lui-même, il n’en est qu’un utilisateur. En effet, lorsque l’on achète un jeu, en réalité, nous n’en achetons qu’une licence d’utilisation, c’est-à-dire une autorisation d’utiliser le jeu. Cette licence est à la libre détermination de l’éditeur du jeu.
Cette licence, contient le plus souvent des clauses de propriété intellectuelle précisant que l’éditeur conserve l’ensemble des droits sur le jeu, parmi lesquels se trouve l’utilisation commerciale du titre. On peut par exemple relever que l’éditeur de jeu Blizzard, qui est à l’origine d’une des franchises les plus lucratives dans le domaine du jeu vidéo au travers de la saga « Warcraft », a précisé dans ses conditions d’utilisation « Vous n’utiliserez le Service pour participer à des compétitions de groupe sponsorisées, promues ou organisées par une quelconque organisation commerciale ou à but non-lucratif, sans le consentement préalable écrit de Blizzard ». On voit ici le caractère nécessaire de l’octroi de licence à chaque fois que l’on souhaite utiliser une création liée au jeu.
L’éditeur possède aussi la capacité de choisir les règles du tournoi puisqu’il choisit librement les organisateurs, ce qui est très important dans la réalisation de l’événement. De plus, les éditeurs ont décidé de guider la conduite des joueurs. En effet, certains contrats de Licence Utilisateur Final énoncent clairement l’interdiction de la triche et instaurent des règles relatives au fair-play et à la bonne conduite. On peut voir par exemple une interdiction visant le harcèlement, le respect à la vie privée ou encore l’envoi de spam à d’autres participants au tournoi. Ainsi, cela témoigne que l’éditeur possède, en l’absence de dispositions légales spécifiques, une main mise sur l’ensemble des règles relatives à l’organisation des compétitions de sport électronique. Il peut ainsi par exemple modifier les conditions d’utilisation de manière unilatérale durant l’exploitation du jeu ; un comportement anciennement toléré peut être par la suite réprimandé. Les sanctions peuvent aller de la suspension d’un compte pour une durée déterminée jusqu’à sa suppression définitive. L’immense succès rencontré par l’E-Sport nous permet aussi de nous interroger sur la diffusion de ces compétitions surtout vis-à-vis des diffusions en ligne.
Les droits d’exploitation en matière de diffusion du E-Sport
La diffusion de jeux vidéo, qu’il s’agisse de compétition ou non est un phénomène qui prend de l’ampleur, qu’elle se fasse par les canaux numériques tels le site de streaming Twitch qui attire 35 millions de visiteurs tous les mois, ou par les canaux télévisuels, qui commencent eux aussi à s’y intéresser. On rencontre ainsi des problématiques rattachables aux droits de distribution.
C’est certainement la question la plus complexe, tant les quelques réponses qui ont été apportées sont soit floues soit peu pertinentes. On peut commencer par relever que les éditeurs ont un rôle primordial quant à la diffusion des compétitions. Ceux-ci cherchent même parfois à détenir leurs propres plateformes. Naturellement, on peut penser que toute diffusion d’un jeu en ligne est susceptible de constituer une communication de l’œuvre au public comme l’entend l’article L122-2 du Code de la propriété intellectuelle et devant être alors soumise à l’autorisation de l’éditeur. Pourtant un arrêt « BSA » rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne le 22 décembre 2010 énonce que « la diffusion télévisuelle de l’interface graphique d’un programme d’ordinateur n’en constitue pas une communication au public, car elle ne permet pas au téléspectateur de réaliser la fonction de cette interface, à savoir interagir avec le programme. » On peut donc déjà s’interroger sur le fait que l’ensemble des retransmissions télévisuelles de E-Sport ne pourraient pas être reconnues comme une communication au public. En plus d’être particulièrement restrictive, cette position semble critiquable au regard de la jurisprudence déjà adoptée dans des domaines tels que le logiciel, ou encore l’audiovisuel.
Me Antoine Chéron, a envisagé un rattachement au régime de représentation des œuvres issues d’un spectacle vivant et aux droits de producteurs de vidéogrammes. Ainsi, les droits de retransmission pourraient être rattachés à l’organisateur de l’événement puisqu’il est celui qui a pris l’initiative de la première fixation d’une séquence d’images vis-à-vis du jeu filmé. Cependant cette position a rencontré une vive opposition de la part des éditeurs qui ont vu au travers de cette proposition une restriction de leurs propres prérogatives.
En droit français une solution assez simple pourrait être retenue : la qualification du E-Sport en tant que sport à part entière. L’article L333-1 du Code du sport dispose que « les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives […] sont propriétaires du droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’ils organisent ». Ainsi, comme le droit français l’a fait pour s’adapter au monde numérique, il s’agirait de reprendre une règle déjà établie dans le monde physique et de lui accorder la même place dans l’air numérique. Pour l’instant, cette solution ne peut pas être appliquée car le E-Sports n’est pas rattaché au Code du sport et ne possède aucune fédération nationale. Une association « France E-Sports » cherche d’ailleurs à ce que cette reconnaissance soit effective, ce qui permettrait de régler un ensemble de problématiques que nous n’avons pas abordé ici comme le transfert de joueur, ou encore l’organisation de paris en ligne.
Pour conclure, on peut dire que le cadre juridique du E-sport n’est pas clairement déterminé et qu’il risque d’être difficile d’apporter une réponse claire et précise à l’ensemble des enjeux soulevés actuellement, dans les mois ou mêmes les années à venir. La problématique visant la création de contenu dans un jeu par un utilisateur par exemple va sans doute se développer et sera l’objet d’un article prochainement.
BOILE Maxence
Bibliographie :
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62009CJ0393:FR:HTML
« Les worlds de 2016 en chiffres » https://esport.canalplus.fr/actualites/worlds-lol-numbers/
Agence Française pour le Jeu Vidéo, « La France dans le top 3 des pays européens générant le plus de chiffre d’affaires sur le marché de l’e-sport« , Edition du 6 juin 2017
Article 220 II. Terdecies du Code Général des Impots
Conditions d’utilisation Blizzard : http://eu.blizzard.com/fr-fr/company/about/termsofuse.html
Compte-rendu de la Commission ouverte de Droit de la propriété intellectuelle du barreau de Paris du 25 janvier 2017, Lexbase Hebdo édition Affaires n° 506
http://www.francoiscoppens.be/jeu-video-droit-auteur/
https://www.mapreuve.com/blog/quel-cadre-juridique-pour-le-jeu-video/
https://www.inpi.fr/fr/valoriser-vos-actifs/le-mag/droit-d-auteur-et-jeux-video-quels-enjeux