En Suisse, la diffamation est à portée de like

Internet a depuis bien longtemps su s’imposer dans les esprits comme un village mondial libertaire, où sous couvert d’anonymat et d’immatériel, les paroles n’ont une conséquence qu’anodine. Plus insignifiants encore, sont les « likes », ces pouces bleus ou verts que l’on peut accorder sur certains réseaux pour soutenir ou mettre en valeur des contenus. Insignifiants peut-être pour certains, mais pas pour le tribunal d’arrondissement de Zurich, qui a condamné un internaute pour diffamation le 29 mai 2017, à cause d’un « like » de ce dernier.

L’affaire concerne ici le réseau social Facebook, sur lequel plusieurs messages, en 2015, avaient décrit Erwin Kessler, président de l’ACUSA (Association Contre les Usines d’Animaux), comme étant raciste et antisémite, celui-ci s’étant opposé aux pratiques d’abattage rituel des animaux. Un internaute avait « liké » plusieurs de ces messages, puis été poursuivi par Kessler pour diffamation. L’internaute aura finalement été condamné à 40 jours avec sursis, ainsi qu’une amende de 100 Francs suisses.

La juge zurichoise a justifié sa décision en affirmant que le « likeur » « propageait un jugement de valeur en l’approuvant ». D’après elle,  « un avis positif est lié avec un « like »»[1].

Cette déclaration doit être examinée au regard de l’article 173 du Code pénal Suisse, condamnant pour diffamation « celui qui, en s’adressant à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l’honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération [et] celui qui aura propagé une telle accusation ou un tel soupçon ».  C’est la seconde  hypothèse qui semble ici concernée. Mais le like est-il réellement lié à un avis positif ?

Pour l’avocat  de l’internaute, non. Martin Steiger, spécialiste du droit des médias, estime en effet qu’«il existe en effet de la marge entre la signification d’un « like » et ce que veut dire son utilisateur. Cela ne veut pas toujours dire qu’un internaute aime le contenu de la publication.»

Toujours est-il qu’une vision si large de la diffamation pousserait plutôt à surveiller ce que l’on « like ». Et vient alors une inévitable question : Une condamnation similaire serait-elle possible en France ?

La définition de la diffamation d’après la loi sur la liberté de la presse de 1881 semble indiquer le contraire. Elle est en effet l’« allégation ou [l’] imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». La définition française paraît donc plus restrictive que la suisse, et le simple soutien à un message diffamatoire, par un « like » qui plus est, sortirait probablement de son champ.

Espérons en tout cas que le juge français suive cette interprétation, car le volume de « likes » est tel qu’une lutte contre ceux-ci se révèlerait probablement vaine. Pour reprendre les termes d’Emmanuel Netter, maître de conférence de l’université de Picardie-Jules Verne, à propos des retweets : « on ne peut pas vider l’océan à la fourchette »[2].

Pierre-Yves Thomé

1ère année Master IP/IT


Sources : 

[1] http://www.tdg.ch/suisse/condamne-j-aime-facebook/story/16172253

[2] http://www.unpeudedroit.fr/droit-penal/les-consequences-juridiques-du-retweet/

 

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