Source : EUIPO
Trib. UE, 10 nov. 2021, Associazione Calcio Milan SpA (AC Milan) c/ EUIPO
Le Tribunal de l’Union européenne confirme que le signe représentant l’écusson du club de football AC Milan ne peut être enregistré en tant que marque pour des articles de papeterie en raison d’un risque de confusion avec une marque antérieure allemande “Milan”.
En février 2017, l’Associazione Calcio Milan SpA (AC Milan) présente une demande d’enregistrement international en tant que marque désignant l’Union européenne, formée d’un élément verbal “ac milan” ainsi que d’un élément figuratif correspondant à son célèbre écusson. Les produits visés par l’enregistrement sont principalement des articles de papeterie et de bureau.
Vous pouvez observer la marque litigieuse en question ci-dessous :
Cependant, une opposition est formée par une entreprise allemande titulaire d’une marque verbale constituée simplement de l’élément “milan”, enregistrée antérieurement et concernant également des produits de papeterie. Cette dernière estime que la marque du club italien entraînerait un risque de confusion pour le public allemand.
Le 30 novembre 2018, l’Office de l’Union européenne de la propriété intellectuelle (EUIPO), fait droit à l’opposition dans son intégralité. Après un recours sans succès auprès de l’office, la société italienne saisit le Tribunal de l’Union européenne pour enfin voir sa marque être reconnue.
Dans un arrêt du 10 novembre 2021, le Tribunal de l’UE rejette le recours de la déposante étant donné le risque de confusion du signe italien avec la marque verbale antérieure allemande, engendré par la similitude phonétique élevée et la similitude visuelle moyenne.
Sur quoi le Tribunal de l’Union européenne fonde-t-il sa décision pour rejeter la demande du club italien ?
I.Sur l’absence d’usage sérieux de la marque antérieure
Rappelons tout d’abord ce qu’implique cette notion d’usage sérieux. L’article L714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose “qu’encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans”.
Ainsi, le titulaire d’une marque qui n’en fait pas un usage sérieux, encourt la déchéance de celle-ci (il perd les droits relatifs à cette marque). Mais qu’est ce que l’usage sérieux ? Il s’agit en principe du fait que des produits ou services sont vendus sous cette marque au public. Cette notion est souple et la jurisprudence se prononce régulièrement dessus : la Cour de justice estime par exemple que l’usage sérieux peut être étayé par le biais de campagnes publicitaires (CJCE, 11 mars 2003, aff. C-40/01).
Le premier argument de la société déposante est donc de contester l’usage sérieux de la marque allemande en pointant, par exemple, le fait que les documents fournis n’indiquaient pas les prix ou les quantités vendues.
Mais les juges rappellent que “la preuve de l’usage d’une marque antérieure doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui en a été fait (pts 22 de l’arrêt). L’usage sérieux ne vise ainsi ni à évaluer la réussite commerciale, ni à contrôler la stratégie économique d’une entreprise (pts 23). La preuve de l’usage sur le territoire allemand a donc bien été rapportée par la société opposante.
II.Sur l’altération du caractère distinctif de la marque antérieure
La société italienne souligne aussi que la marque antérieure telle qu’utilisée sur le marché comporte un élément figuratif (la tête d’un rapace) et que cet ajout, en raison de sa taille et son positionnement, constitue l’élément le plus distinctif de l’ensemble. Voici la marque telle qu’utilisée sur le marché (sans la couleur) :
En effet, l’article 15 1. a) du règlement (CE) n°207/2009 du 26 février 2009 dispose qu’est également considéré comme un usage sérieux “l’usage de la marque communautaire sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée”. Pour faire simple, la société allemande peut prouver l’usage sérieux avec une forme modifiée de sa marque, tant que ces modifications n’altèrent pas le caractère distinctif de la marque originale.
La question est donc de savoir si cette tête de rapace altère le caractère distinctif de la marque.
Selon le Tribunal dans le point 55, les éléments verbaux d’une marque sont en principe plus distinctifs que ses éléments figuratifs et “le consommateur moyen ferait plus facilement référence au produit en cause en citant le nom qu’en décrivant cet élément figuratif”.
Les juges ajoutent que, s’il est vrai que l’élément figuratif n’est pas négligeable, il ne saurait être considéré comme dominant. L’attention du public reste attirée par l’élément verbal “milan”, ce dernier ayant une taille sensiblement supérieure à celle de l’élément figuratif (pts 57). Ainsi, l’ajout de cette tête de rapace “n’était pas susceptible d’altérer le caractère distinctif de l’élément verbal constituant la marque antérieure telle qu’enregistrée” (pts 60).
III.Sur le risque de confusion entre les marques
Le club italien conteste également le risque de confusion retenu par l’Office.
Selon une jurisprudence constante, constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise.
Ce risque présuppose à la fois une identité ou une similitude des marques en cause et une identité ou une similitude des produits ou des services qu’elles désignent (ici des produits de papeterie).
1)L’appréciation des éléments dominant et distinctif
La requérante reproche d’abord à l’Office d’avoir estimé que l’élément verbal “ac milan” est l’élément dominant de la marque demandée et affirme que ce dernier serait constitué par l’élément figuratif (le célèbre logo rouge et noir).
La qualification des éléments distinctifs et dominants est importante car c’est principalement sur eux que les juges vont s’appuyer pour apprécier le risque de confusion, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle.
Le Tribunal, bien qu’il reconnaisse que l’élément figuratif soit ici aussi non négligeable, considère que l’attention du public pertinent sera surtout attirée par l’élément verbal “ac milan” du fait que ce dernier est reproduit en majuscule, dans une police de caractères stylisée, et que l’élément qu’il forme dépasse considérablement en longueur l’élément figuratif (pts 84). Il renvoie également au point 55 précédemment évoqué qui rappelle que “lorsqu’une marque est composée d’éléments verbaux et figuratifs, les premiers sont, en principe, plus distinctifs que les seconds”.
Même si les juges reconnaissent le caractère distinctif faible du terme “milan”, qui pourrait être perçu comme une référence au lieu d’origine des produits en cause ou au lieu du siège social de l’entreprise fournissant les produits, ils confirment que l’élément “ac milan” constitue bien l’élément dominant de la marque demandée.
2)La comparaison visuelle et phonétique des signes
La société italienne conteste la similitude visuelle moyenne et la similitude phonétique élevée retenue par la Chambre de recours de l’Office européen. Elle estime que :
-les signes n’étaient pas visuellement similaire du fait de la présence de l’écusson rouge et noir sur sa marque.
-la similitude phonétique est minimisée les éléments verbaux “acm” et “1899”.
Le Tribunal réfute les arguments de la requérante, d’abord sur la similitude visuelle en rappelant que l’élément dominant, notamment par sa dimension, reste l’élément verbal “ac milan”, similaire à l’élément unique de la marque antérieure “milan” (pts 94).
Pour la similitude phonétique, les juges relèvent que, eu égard à leur petite taille, leur position secondaire et par une probable économie de langage, les éléments verbaux “acm” et “1899” sont “peu susceptibles d’être prononcés par le public pertinent” (pts 98).
A cela s’ajoute l’application du principe d’interdépendance des facteurs, principe selon lequel les différences relevées dans les signes sont compensées par la forte similitude entre les produits concernés.
Ainsi, le Tribunal conclut à l’existence d’un risque de confusion car, même si une partie du public pertinent peut percevoir l’élément verbal « ac milan » de la marque demandée comme une référence au club de football, les signes en conflit, présentant notamment une similitude élevée sur le plan phonétique, renverraient tous les deux à la ville de Milan.
3)L’indifférence de la renommée de la marque
Pour finir, la requérante reproche à l’Office de ne pas avoir tenu compte de la grande renommée de la marque demandée, liée à la notoriété du club de football. En effet, une marque de renommée bénéficie d’une protection étendue à tous les produits et services, y compris différents de ceux qu’elle couvre.
Le Tribunal souligne ici que “seule la renommée de la marque antérieure, et non celle de la marque demandée, doit être prise en compte pour apprécier si la similitude des produits désignés par deux marques est suffisante pour donner lieu à un risque de confusion” (pts 113).
Cette dernière allégation est à nuancée : la Cour de Justice a récemment jugé, pour un certain Lionel Messi, qu’il « doit, également, être tenu compte de l’éventuelle notoriété de la personne qui demande que son nom soit enregistré en tant que marque, dès lors que cette notoriété peut, de toute évidence, avoir une influence sur la perception de la marque par le public pertinent » (CJUE, 17 septembre 2020, Lionel Messi).
Raphaël DULION
Sources :
Trib. UE, 10 nov. 2021, Associazione Calcio Milan SpA (AC Milan) c/ EUIPO
Communiqué de presse n°198/21 du Tribunal de l’Union européenne.