IA & Industrie du Cinéma : Un duo dynamique

L’intelligence artificielle fait aujourd’hui partie intégrante de l’industrie cinématographique. Pour cause, dès son apparition, son potentiel révolutionnaire a été perçu par les studios de production, qui s’en sont alors saisis. Toutefois, l’enthousiasme initial a laissé place à une méfiance croissante à l’égard de cette technologie, comme en témoigne l’actuelle grève des scénaristes hollywoodiens

 

Panorama des utilisations de l’intelligence artificielle dans l’industrie cinématographique 

Si l’industrie du cinéma est grandement affectée par l’essor de l’intelligence artificielle, c’est parce que l’IA est utilisée durant toutes les étapes de production d’un film, de sa conception à sa mise sur le marché. Surtout, c’est parce que cette place n’est vouée qu’ à s’accroître. 

 

L’impact de l’IA sur le scénario

Au stade de la conception, l’IA peut être utilisée pour l’écriture du scénario

Il est en effet possible pour l’IA d’analyser le travail d’un scénariste humain afin de l’améliorer : l’IA peut détecter des incohérences dans l’intrigue, déterminer à quel point le public pourra s’identifier aux personnages ou encore quels seront les personnages les mieux reçus. Pour illustration, une des méthodes permettant d’aider les scénaristes est celle de l’analyse de sentiments, qui consiste à interpréter les émotions et sentiments exprimés par un texte afin d’évaluer la perception du public. Cela peut par exemple permettre à un auteur de s’assurer que la progression émotionnelle de ses personnages est cohérente, d’identifier quelles scènes ne vont pas être reçues comme il le souhaiterait, ou encore d’équilibrer les différentes tonalités émotionnelles du film. 

Allant plus loin, l’IA peut permettre la création de scénarios. En se fondant sur une base de données contenant des récits préexistants, une IA générative peut rédiger un scénario, ou du moins son premier jet. Ce faisant, elle peut aider les auteurs ayant un blocage à se lancer, ou pire les évincer du processus créatif. Ceci est vivement critiqué par les scénaristes, et ce notamment car la base de données dans laquelle l’IA puise son « inspiration » est nécessairement composée de textes préexistants et qu’ils souhaiteraient donc recevoir une contrepartie lorsque la machine s’inspire de leurs écrits. 

 

L’impact de l’IA sur le casting

L’intelligence artificielle peut considérablement impacter le casting et, plus largement, la profession d’acteur. 

Lors du casting, elle peut analyser les performances précédentes d’acteurs afin d’identifier les plus à même d’incarner un rôle donné, en fonction de critères tels que leur style de jeu ou leur audience. 

Surtout, l’IA peut modifier ou se substituer aux acteurs. De fait, d’abord, elle permet la création de personnages fictifs, à l’instar de Thanos dans « Avengers : Infinity war » qui est une création numérique immédiatement superposée à l’acteur Josh Brolin lors du tournage. Grâce à cette superposition intelligente, l’acteur derrière le personnage fictif peut tourner auprès de ses co-stars et immédiatement voir le rendu de sa prestation. Aussi, l’IA permet de rajeunir ou de vieillir des personnages. Le processus de-aging, déjà employé dans des films tels que « L’étrange histoire de Benjamin Buton », est par exemple utilisé dans le futur film de Robert Zemeckis pour que Tom Hanks et Robin Wright incarnent des versions plus jeunes d’eux-mêmes. Puis, l’une des utilisations les plus controversées de l’IA est la technologie deepfake. Contrairement aux deux précédentes, il ne s’agit là plus de se reposer sur un acteur présent lors du tournage et de le transformer mais d’utiliser l’image de cet acteur de la même manière qu’un personnage d’animation. En utilisant cette technologie, le réalisateur Alexander Sokurov fait converser Adolph Hitler, Benito Mussolini, Joseph Staline et Winston Churchill dans son film « Fairytale » en salle depuis mercredi 10 mai. 

De nombreuses questions, tant éthiques que juridiques, se soulèvent à l’idée de faire apparaître à l’écran des personnes qui ne se sont pas fait filmer, et ce d’autant plus lorsque ces personnes sont décédées et ne peuvent donc pas s’opposer à l’utilisation de leur image. 

Le doublage est également considérablement impacté par l’IA. D’une part, l’IA permet, grâce à la technologie « True sync » de corréler les mouvements de bouche d’un acteur à la voix qui le double. Selon le réalisateur Scott Mann, qui a utilisé cette technique pour son film « Fall », cela permet de rendre les dialogues authentiques et de conserver les nuances de jeu des acteurs. Par ailleurs, cela lui a permis, dans ce même film, de substituer du langage correct à certains mots vulgaires et d’ainsi être autorisé aux plus de 13 ans, et non uniquement aux plus de 17. D’autre part, l’IA est aujourd’hui apte à reproduire des voix. Si la technologie n’est pas encore suffisamment développée pour être consensuellement adoptée, son potentiel est évident : utiliser la voix originale des acteurs pour les doubler.  D’autres possibilités sont aussi explorables. Par exemple, la voix du chef Anthony Bourdain est utilisée dans le documentaire sur sa vie, « Roadrunner » alors que ce dernier est décédé. Là encore, utiliser la voix d’un défunt n’y ayant pas consenti n’a pas fait l’unanimité. Par ailleurs, l’IA peut aussi être utilisée afin de créer des voix synthétiques à partir d’une base de données. Partant, au même titre que les scénaristes, les doubleurs craignent que leurs voix soient utilisées sans leur consentement et sans qu’ils ne se voient verser de contrepartie. 

 

L’IA : un assistant et technicien efficace

Le domaine de prédilection de l’IA est aujourd’hui l’aide à la production et à la réalisation de tâches techniques. 

De fait, au stade pré-production, il est possible de simplifier l’organisation de la réalisation d’un film en demandant à l’IA de réaliser des prévisions budgétaires, de trouver des localisations correspondant au scénario ou encore de créer le calendrier de tournage en fonction de la disponibilité de chacun. 

Puis, lors du tournage, les outils d’IA permettent une réelle assistance car ils sont à même de positionner les caméras de manière optimale pour améliorer la qualité de la prise de vue ou encore de livrer des éclairages précis sur le plateau, par un ajustement automatique. 

L’IA peut également être utilisée tout au long du processus d’édition. D’abord, la machine peut assister l’éditeur en détectant des détails visuels irréguliers tels que les changements d’éclairage et les déplacements non voulus de caméra ou en utilisant la reconnaissance faciale pour identifier les personnages clés et trier les scènes. Elle peut en outre se substituer à certains techniciens par une automatisation des tâches fastidieuses telles que l’étalonnage des couleurs ou par l’application d’algorithmes de réduction de bruit. 

La machine peut également se substituer aux VFX artistes en créant des effets spéciaux ou aux monteurs en choisissant et combinant intelligemment les scènes pertinentes. A titre d’illustration, l’IA peut aider dans la création des trailers de films en identifiant les scènes les plus fortes en action ou en émotion afin de créer une bande d’annonce attractive, comme cela a été le cas pour celle du film « Morgan » de Luke Scott. 

 

L’IA : Un outil garant du retour sur investissement 

L’une des principales utilisations de l’IA, toute industrie confondue, se fait au travers des algorithmes prédictifs, et le secteur du cinéma n’est pas une exception.

Avant même le début de la conception du film, l’IA peut être utilisée afin de déterminer quel type de film devrait être créé. Par exemple, le studio chinois Light Chaser Animation identifie le contenu à produire à l’aide d’une IA analysant les données des plateformes de streaming et des réseaux sociaux et comparant les différentes tendances. 

Une fois le scénario rédigé, la machine peut être utilisée afin de prédire le succès qu’un film risque d’avoir. En effet, les algorithmes d’apprentissage automatique peuvent aider les professionnels de l’industrie cinématographique à identifier les modèles de succès des films passés en analysant les données critiques et financières. Puis, en analysant un scénario donné, l’IA peut déterminer comment il sera reçu et quels revenus il permettra de générer. Si ces algorithmes prédictifs ont une marge d’erreur, de nombreux studios, tels que Warner Bros, 20th Century Fox ou Sony Pictures, les utilisent afin de ne pas investir dans un projet voué à l’échec.  

Les studios utilisent également l’IA pour promouvoir leurs films de manière efficace. En analysant des facteurs tels que l’audience et la popularité des acteurs, ils peuvent cibler les endroits où ils sont susceptibles d’avoir une audience et réaliser des campagnes publicitaires pertinentes dans le monde entier en fonction du public visé.

Bien que ce panorama ne soit qu’un aperçu de l’utilisation de l’IA par l’industrie cinématographique, et que certains aspects, tels que la musique de film, en soient absents, il apparaît que l’IA est utilisée, ou du moins peut l’être, durant toutes les étapes de la création.  

 

Regard sur l’avènement de l’IA au sein de l’industrie cinématographique 

Face à ce constat de l’avènement de l’IA au sein de l’industrie du cinéma, les avis divergent : pour certains, ce développement est bénéfique, tandis que pour d’autres il marque la fin de l’industrie. 

Une chose est certaine : utiliser l’intelligence artificielle permet un gain d’efficacité et des économies conséquents. De fait, l’automatisation facilite et accélère une grande partie du processus de création et les algorithmes prédictifs garantissent qu’un film ne sera pas produit à perte, ou du moins permettent de l’espérer. Surtout, grâce à l’IA les créateurs peuvent se focaliser sur l’essentiel : les tâches non exécutables par la machine requérant une personne humaine. L’IA est alors perçue par certains comme « un superpouvoir » entre les mains du cinéaste, lui permettant d’outrepasser les contraintes du réel. Dès lors, des auteurs décident d’embrasser cette évolution. Parfois, l’intervention de l’IA participe de manière explicite à la démarche du créateur. Tel est le cas du court métrage « /Imagine » de la réalisatrice Anna Apter primé lors de la 13ème édition du Nikon Festival, entièrement créé pour 30 euros à l’aide de l’IA génératrice d’images Midjourney et de logiciels d’animation. Si ce court métrage est loin d’être exempt de défauts, il permet d’imaginer un futur où la création d’un film ne requerra qu’une IA. Ainsi, la machine peut permettre de surmonter nombre de contraintes, tant techniques que budgétaires, ce qui est salué par de nombreux individus. 

Néanmoins, le revers des gains financiers est la chute du nombre d’emplois dans le secteur. Il est évident que lorsqu’une multitude de tâches est automatisée, il s’agit d’autant d’individus qui n’effectuent plus ces tâches. Les premiers touchés sont les employés réalisant des fonctions répétitives et purement techniques, mais pas uniquement. Dans l’hypothèse, très plausible, d’une perfection des capacités de l’IA, de nombreux emplois peuvent se voir impacter. S’il est possible d’utiliser la voix d’un acteur pour lui faire parler une autre langue, les doubleurs n’ont plus de fonction. S’il est possible de sélectionner des acteurs grâce à des algorithmes, les casteurs sont inutiles. S’il est possible de faire rédiger un scénario ou adapter une œuvre par une IA générative de texte, les scénaristes n’ont plus de rôle. La liste est longue. Par ailleurs, une autre problématique, abordée plus haut, est celle des droits des employés du secteur dont le travail est utilisé afin d’alimenter les bases de données sur lesquelles l’IA se fonde pour créer (scénaristes, doubleurs). Présente dans tous les autres domaines de la création, il n’existe aujourd’hui pas de réponse établie à cette inquiétude. Il apparaît donc que les gains en productivité apportés par l’IA sont à contrebalancer avec ses impacts sur les travailleurs de l’industrie. 

D’autres problématiques sont la conséquence de prospections dont la survenance n’est pas encore certaine, tenant à une place prépondérante de l’IA dans le processus créatif. 

D’abord, comme à chaque fois que l’IA est impliquée, la question des biais discriminatoires se pose. Les films existants comportent des biais, qui seront donc reproduits par l’IA se basant sur eux pour créer. Pour illustration, une étude réalisée par StoryFit a révélé que les hommes avaient plus de temps de parole dans les films et discutaient de leurs achèvements ou objectifs tandis que les femmes avaient souvent le rôle de la personne réconfortante, du soutien. Se fondant sur ces productions, l’IA créera des films comportant les mêmes discriminations.  Il en va de même pour les algorithmes chargés des castings : s’ils se fondent sur les films précédemment effectués, et sur les choix des casteurs biaisés, ils reproduiront ces biais. 

L’intervention de l’IA est également vivement critiquée en raison de la perte de créativité qui en résulte. Bien que l’IA puisse « créer », en ce sens que quelque chose d’inexistant voit le jour, sa création manque d’une perspective unique, de profondeur, ce qui risque de conduire à une homogénéisation des propositions cinématographiques. De fait, les studios utiliseront probablement des IA similaires, leur suggérant de produire le même type de contenu au regard des sorties rentables des années précédentes. 

Cette chose unique qu’il manque à l’IA, c’est la personnalité. Et pour cause : elle en est dépourvue. Dès lors, il ne peut y avoir d’originalité au sens du droit d’auteur, et les contenus créés par des IA ne peuvent être qualifiés d’œuvres. 

Pour certains, c’est en ce point que l’IA n’est pas le corollaire de la fin de l’industrie du cinéma, et peut même la stimuler. De fait, afin de se distinguer, un auteur devra s’efforcer de créer une œuvre originale, non réalisable par une IA. Ici, la conception personnaliste de l’œuvre de l’esprit est alors remise en avant : l’empreinte de la personnalité de l’auteur est nécessaire pour que celui-ci se démarque. Dans un contexte où l’essor de la société consumériste et des plateformes de streaming est perçu comme cause d’une réduction de la qualité des œuvres proposées, l’IA peut donc apparaître comme la sauveuse d’une industrie en perdition. 

En somme, il n’existe aucun consensus quant à l’impact du développement de l’intelligence artificielle sur l’industrie cinématographique. Pour certains, l’IA est une opportunité exceptionnelle dont il faut se saisir. Pour d’autres, il s’agit d’une réelle menace. L’unique certitude est la nécessité de s’intéresser à cette question, notamment au travers de l’établissement d’un cadre juridique, afin de ne pas se voir dépassé par le développement de cette technologie révolutionnaire. 

Esther PELOSSE

Sources : 

https://smartclick.ai/articles/how-artificial-intelligence-is-used-in-the-film-industry/

https://www.theguardian.com/film/2023/mar/23/ai-change-hollywood-film-industry-concern

https://raindance.org/how-ai-is-revolutionising-the-film-industry-and-what-it-means-for-the-future/

https://tech.eu/2023/01/23/flawless-brings/

https://www.forbes.com/sites/danpontefract/2023/04/24/can-artificial-intelligence-help-the-film-industry-it-already-is/?sh=1a7499f48a42

https://www.moviechainer.com/en/community/ai-big-data-impact-film-industry

https://neilchasefilm.com/artificial-intelligence-in-film/

https://www.linkedin.com/pulse/machine-learning-meets-movies-how-ai-transforming-film-brad-conlin/

https://www.fastcompany.com/90883794/ai-will-destroy-hollywood-as-we-know-it

https://futurism.com/artificial-intelligence-automating-hollywood-art

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