La marque tridimensionnelle : Une catégorie de marque à part ?

 

Le droit des marques est une composante de la Propriété Industrielle. C’est un droit qui confère aux acteurs économiques et sociaux un monopole d’exploitation sur les produits et services protégés par une marque déposée. Selon le Code de la Propriété Intellectuelle, une marque « est un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales ». Sont considérés comme étant une marque : une marque verbale (nom, mot, slogan), une marque figurative (dessin, logo), une marque de couleur (une nuance, une combinaison de couleurs), une marque sonore (portée musicale, enregistrement sonore), une marque de forme (forme du produit en lui-même) … C’est ce type de marque qui peut créer des difficultés.

La marque de forme consiste en une forme tridimensionnelle, cela peut être la forme du produit en lui-même ou encore la forme de son conditionnement.

En France, même si les entreprises investissent de plus en plus de sommes dans la forme et le conditionnement de leurs produits, ce type de dépôt ne représente que 0,5%, avec un pourcentage de rejet de 90%. Il est donc important d’en comprendre les contours et les raisons d’un tel pourcentage de rejet. L’examen de la législation et de la jurisprudence laisse entrevoir des solutions pour obtenir la protection recherchée pour les marques tridimensionnelles.

 

I. La législation des marques tridimensionnelles et ses caractères

 

Au sein du droit communautaire, il existe deux fondements portant sur les marques tridimensionnelles : la directive 2008/95 CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, et le règlement CE 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne du 14 juin 2017.

Ce règlement possède deux articles importants, l’article 4 qui dispose que « Peuvent constituer des marques de l’Union européenne […] la forme d’un produit ou du conditionnement d’un produit, à condition que ces signes soient propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises, et à être représentés dans le registre des marques de l’Union européenne d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à leurs titulaires. », et l’article 7 qui restreint l’enregistrement des signes dépourvus de caractère distinctif « sont refusés à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif » et/ou constitués exclusivement par la forme imposée par la nature même du produit ou par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique « sont refusés à l’enregistrement les signes constitués exclusivement : par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ; par la forme ou une autre caractéristique du produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique : par la forme, ou une autre caractéristique du produit, qui donne une valeur substantielle au produit ».

 

Au sein du droit français, le Code de la propriété intellectuelle régit la législation sur ces marques. En effet, selon les articles L.711-1 et L.711-2, la limite de la marque tridimensionnelle tient à l’impératif de la distinctivité. Le dépôt d’une forme à titre de marque implique que celle-ci ne constitue pas une forme banale du produit ou de son conditionnement.
Exiger de la marque qu’elle présente un caractère distinctif revient à faire de la marque un moyen d’identification d’un produit ou d’un service, parmi les produits ou les services de même nature, proposés par les concurrents.

Tant le droit communautaire que le droit français autorisent l’enregistrement des formes des produits à titre de marque, seulement il reste conditionné : les formes des produits doivent être distinctives et ne doivent pas exclusivement remplir une fonction technique. Ces limites empêchent majoritairement l’enregistrement des formes à titre de marque.

Ainsi, pour être valable, la marque tridimensionnelle doit être apte à identifier les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée et à distinguer ces produits ou services de ceux de la concurrence. De plus, la forme ne doit pas être imposée par la nature ou la fonction du produit et doit diverger de la norme ou des habitudes du secteur concerné de manière significative.

 

II. L’appréciation de la jurisprudence des marques tridimensionnelles

 

Chronologiquement, il apparaît que la reconnaissance de la protection d’une marque tridimensionnelle est limitée.

Dans l’affaire « brique rouge Lego » du 14 septembre 2010, la Cour de Justice de l’Union Européenne a refusé de reconnaître l’existence d’une marque tridimensionnelle. En effet, elle a estimé que toutes les caractéristiques de la brique étaient seulement fonctionnelles et donc qu’elles doivent rester à la disposition de tout fabricant de jouets.
Dans une autre affaire « forme des figurines Lego » du 15 juin 2015, le Tribunal de l’Union Européenne a confirmé l’enregistrement de la forme des figurines Lego comme marque communautaire car les éléments essentiels de la forme de la figurine jouaient une fonction esthétique, non dictés par une fonction technique. Les juges communautaires ont conclu que la forme de la marque avait été dictée par la nécessité de lui attribuer une apparence humaine. C’est un arrêt encourageant pour les titulaires de droit.
Les juges se fondent principalement sur le caractère technique/fonctionnel de la forme du produit pour enregistrer ou non une marque tridimensionnelle.

 

Cependant, le 16 septembre 2015, un arrêt « Kit Kat » de la Cour de Justice de l’Union Européenne a suscité de nouvelles réserves quant à l’avenir des marques tridimensionnelles. En effet, l’Avocat Général avait estimé que le demandeur à l’enregistrement ne peut se contenter de démontrer que les milieux concernés reconnaissent la marque dont l’enregistrement est demandé et l’associent à ses produits ou services. En l’espèce, le demandeur devait apporter la preuve que la seule marque dont l’enregistrement est demandé indique l’origine exclusive des produits en cause, et ce par opposition à toute autre marque pouvant également être présente, comme provenant d’une entreprise déterminée. La reconnaissance de la protection d’une telle marque est donc sévère. Il en va de même dans l’affaire « Coca-Cola » du 24 février 2016 où la demande d’enregistrement de marque de la bouteille de Coca-Cola en elle-même a été rejetée par le Tribunal de l’Union Européenne. En effet, il a été jugé que le caractère distinctif doit être apprécié par rapport à la perception qu’en a le public pertinent, c’est-à-dire les consommateurs. Ce qui est complexe car il n’est pas facile d’appréhender le caractère distinctif d’une marque 3D. Selon les juges européens, la marque doit diverger de la norme ou des habitudes du secteur de manière significative. En effet, une marque dont la forme est essentiellement dictée par celle du produit ne peut être distinctive.

Néanmoins, dans un arrêt récent « Mikado » du 9 mars 2018, la Cour d’appel a confirmé le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris sur la validité de la marque tridimensionnelle portant sur un biscuit en forme de bâtonnet recouvert de chocolat à l’exception de l’un de ses embouts qui est beige-jaune. En l’espèce, la forme constituée par un embout biscuité ne résultait pas seulement d’une fonction technique du produit « destinée à éviter aux consommateurs de se salir les mains ». La marque tridimensionnelle Mikado déposée pour « un biscuit de type bâtonnet de forme longue et mince, nappé de chocolat à l’exception de l’embout resté biscuité, se distinguait des formes usuelles des produits commercialisés en ce domaine de forme généralement carrée, rectangulaire ou encore circulaire ». Selon la Cour d’appel, le signe distinctif par sa forme est « apte à assurer la fonction de garantie d’origine dévolue à la marque et revêt bien un caractère distinctif ».

 

La jurisprudence est donc irrégulière sur la validité de la protection d’une marque tridimensionnelle. La protection d’une forme par le biais d’une marque tridimensionnelle n’est pas impossible mais elle peut s’avérer difficile. La jurisprudence sera-t-elle prête à se positionner et à envisager pleinement la protection d’une marque tridimensionnelle ?

Manon HOTTIN

 

Sources :

http://www.irpi.fr/revuepi/themes.asp?type_doc=1&id=859&voir=fiche&typ_aff=theme&ARB_N_ID3=0&AUT_N_ID=0&ARB_N_ID=0&ARB_N_ID2=24&aaaa1=2001&aaaa2=2010&mm1=10&mm2=5&jj1=1&jj2=3&option=1&recherche=&param=avancees

https://www.wipo.int/wipo_magazine/fr/2009/01/article_0004.html

http://spiegeler.com/marque-tridimensionnelle-une-categorie-de-marque-part/

https://www.aquinov.fr/conseils-propriete-industrielle-sud-ouest/protection-de-la-forme-dun-produit-par-une-marque-tridimensionnelle/

https://www.unifab.com/wp-content/uploads/2016/06/MARQUES_TRIDIMENSIONNELLES.pdf

https://mbavocats.eu/de-limportance-de-la-forme-la-marque-tridimensionnelle-de-la-bouteille-de-cointreau-reconnue-par-le-tribunal-supreme-espagnol/

https://www.cabinet-hoffman.com/single-post/2018/10/29/Marque-tridimensionnelle-validit%C3%A9-du-signe-compos%C3%A9-d%E2%80%99une-forme-d%E2%80%99amphore

https://www.fidal.com/fr/actualites/la-protection-du-contenant-par-une-marque-tridimensionnelle-de-lunion-europeenne-les

https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006279682&cidTexte=LEGITEXT000006069414

https://www.inpi.fr/fr/comprendre-la-propriete-intellectuelle/la-marque

https://www.jurifiable.com/conseil-juridique/propriete-intellectuelle/droit-des-marques

Almdudler-Limonade A&S Klein c/ OHMI, aff. T-12/04, pt 34 ou affaire coca-cola

Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne : https://eurlex.europa.eu/legalcontent/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32017R1001&from=DA

Code de la Propriété intellectuelle

https://www.lagbd.org/index.php/L%27actualit%C3%A9_jurisprudentielle_des_marques_de_forme_(fr)

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