La protection des expositions d’œuvres d’art par le droit d’auteur

En droit d’auteur, le titulaire des droits patrimoniaux dispose d’un droit de reproduction et d’un droit de représentation de l’œuvre. Au titre de son droit de représentation, régi par l’article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle[1], il peut ainsi communiquer l’œuvre au public – cette communication se faisant, pour les œuvres d’art visuelles ou plastiques, notamment par le biais d’expositions.

L’exposition d’œuvres d’art, telle qu’on la trouve par exemple dans les musées, relève de prime abord de ce droit de représentation. A ce titre, l’artiste est censé donner son autorisation par le biais d’un contrat écrit et percevoir une rémunération. L’exposition n’est alors qu’un moyen de diffusion de l’œuvre, un lieu permettant sa communication au public.

Cependant, la pratique des milieux culturels et artistiques a considérablement évolué ces dernières années[2] en développant l’activité de curateur – de l’anglais curator – autrefois dénommé « commissaire d’exposition ». Le curateur est celui qui monte une exposition, qui effectue le choix des artistes et des œuvres exposées, détermine la scénographie ou encore le discours qu’il souhaite porter à travers l’exposition. Il peut finalement se révéler être lui-même un véritable artiste, usant d’une liberté de choix créatifs pour présenter de manière originale un ensemble d’œuvres d’art réalisées par d’autres artistes.

Dès lors, pourquoi ne pas envisager une protection de l’exposition elle-même par le droit d’auteur, lorsqu’elle répond aux exigences d’originalité et de mise en forme ?

 

Une œuvre d’art originale et mise en forme

A première vue, l’exposition semble tout à fait susceptible de présenter les caractères requis pour être protégée par le droit d’auteur. En effet, elle constitue d’abord une œuvre de l’esprit en ce qu’elle met en jeu un travail intellectuel et créatif visant à présenter un ensemble particulier d’œuvres d’art, dans un espace défini, et pour une certaine durée. Ces trois éléments peuvent d’ores et déjà procéder des choix du curateur ou du commissaire d’exposition. Mais la liberté de création de ce dernier s’exprime surtout par le dialogue qu’il permet entre ces éléments, par l’interaction qu’il suscite entre l’espace et les œuvres.

Ce dialogue, fruit de l’imagination du curateur, peut présenter une véritable originalité au sens du droit d’auteur. Que ce soit par le choix des œuvres opéré, par leur placement dans l’espace ou encore par le discours qui les entoure – une exposition comporte souvent des panneaux informatifs qui servent de support au thème et aux messages que l’ensemble veut faire passer – de nombreux éléments permettent au curateur d’imprimer sa personnalité dans l’exposition et de faire preuve d’une véritable originalité, qui rend son œuvre unique et distincte.

Quant à la condition de mise en forme qui est requise pour permettre la protection par le droit d’auteur, elle est également remplie puisque l’exposition prend ici forme à la fois dans l’espace et dans le temps. La cour d’appel de Paris a ainsi déjà eu l’occasion, dans un arrêt du 2 octobre 1997, de considérer une exposition, en l’espèce le « Musée du Cinéma Henri Langlois », comme une « œuvre de l’esprit bénéficiant de la protection légale »[3].

 

L’absence de qualification juridique précise

Néanmoins, cet arrêt relativement inédit[4] ne résout pas le problème de la titularité des droits sur l’œuvre que constitue l’exposition. Celle-ci pose en effet la question de sa qualification précise : si l’exposition d’œuvres d’art est elle-même une œuvre, il n’en demeure pas moins qu’elle est constituée presque exclusivement d’autres œuvres, celles-ci étant présentées au titre du droit de représentation dont disposent leurs auteurs et devant a priori apparaître physiquement au sein de l’exposition. La raison d’être historique de l’exposition – communiquer des œuvres d’art au public – n’est certes plus suffisante aujourd’hui pour la définir, mais pose problème en ce qui concerne son appréhension par le droit.

Quel est exactement le statut de l’exposition-œuvre de l’esprit ? S’agit-il d’une œuvre composite au sens de l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle[5], où l’exposition incorporerait différentes œuvres d’art ? Il semble difficile de retenir cette qualification dès lors que le texte précise que cette incorporation est réalisée « sans la collaboration » de l’auteur de l’œuvre préexistante. Or, pour les exposer, une autorisation des auteurs des œuvres présentées est requise ; l’auteur ou du moins le titulaire du droit de représentation – le propriétaire de l’œuvre – collabore pleinement en vue de diffuser l’œuvre au sein de l’exposition.

La qualification d’œuvre collective paraît aussi malaisée : comment envisager que les différents artistes, auteurs des œuvres exposées, acceptent que leur contribution personnelle se fonde dans l’ensemble « sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct »[6] ?

On pourrait enfin tenter de retenir la qualification d’œuvre de collaboration de l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle, lorsque plusieurs personnes physiques ont concouru à sa réalisation. Les artistes et le curateur auraient ainsi tous apporté leur contribution pour constituer l’exposition-œuvre de l’esprit : les auteurs d’œuvres d’art apportant les pierres à l’ouvrage, et le curateur le ciment permettant de donner forme à la construction. La qualification semble cependant là aussi bancale, en ce que l’œuvre finale – l’exposition – ne saurait se passer des œuvres qui la constituent, tandis que ces dernières en sont le plus souvent indépendantes. Leur vie d’œuvre est autonome ; elles n’ont pas été nécessairement créées en vue de cette exposition particulière. Le principe d’une égalité entre les coauteurs d’une œuvre de collaboration semble dès lors difficile à mettre en œuvre. En outre, les auteurs des œuvres exposées n’ont pas forcément eu leur mot à dire dans la conception de l’exposition ; ils ne paraissent alors pas légitimes à disposer de droits sur cette exposition au titre de leur prétendue qualité de coauteur.

Finalement, la question de la protection de l’exposition par le droit d’auteur, qui semblait avoir été résolue par la jurisprudence, demeure partiellement en suspens. Peu d’affaires étant portées devant les juridictions, il est dès lors difficile de lui donner un meilleur éclairage… On observe toutefois que le juge a ici choisi d’accompagner une certaine évolution de l’art, qui permet à l’exposition elle-même d’accéder au rang d’œuvre d’art. Or, comme cette dernière ne se confond pas toujours avec la notion d’œuvre de l’esprit, il est d’autant plus remarquable que la cour de Paris ait franchi ce pas loin d’être évident.

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006069414&idArticle=LEGIARTI000006278904

[2] https://www.droit-creation.fr/lexposition-doeuvres-dart-et-le-droit-dauteur/

[3] CA Paris, 1e ch., 2 octobre 1997 ; obs. B. Edelman Rec. Dalloz 1998, p. 312 ; note C. Colombet, Rec. Dalloz 1999, p. 64.

[4] Bernard EDELMAN, « Une exposition peut être une œuvre de l’esprit », Recueil Dalloz 1998, p. 312.

[5] https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006278882&cidTexte=LEGITEXT000006069414

[6] Article L. 113-2 du CPI.

Raphaëlle Nordmann

MasterIPIT