La voiture autonome : le monde de demain à notre porte ?

L’intelligence artificielle n’a jamais été aussi en vogue. Alors, pourquoi ne pas se mettre à rêver d’un monde du futur mélangeant les histoires respectives de I, Robot et Retour vers le Futur? Un monde où les humains cohabiteraient avec des robots. Un monde où ils se laisseraient transporter par des voitures volantes. La porte est ouverte, ne reste plus qu’à la franchir.

Bien que les voitures volantes n’existent qu’en fiction pour le moment, la voiture autonome, elle, parait être la voiture de demain. De nombreux projets prolifèrent dans l’ombre, dans l’attente de la mise au vert de tous les feux qui freinent son exploitation économique. Mais au stade du développement des prototypes, nombreux sont les enjeux juridiques, moraux et politiques, sources de controverses et de divergences d’opinion.

 

I – La nécessaire mise au diapason du juridique et de la technique

A/ Le développement technique en effervescence

 

Sur le plan purement technique, la voiture autonome existe déjà. Elle est d’ailleurs présentée comme réductrice du nombre d’accidents routiers, symbole d’une plus grande sécurité des passagers. Tous les constructeurs développent leur prototype et investissent des sommes colossales dans l’industrie automobile de demain. Mais celui qui semble le plus en avance, est sans nul doute, Tesla, qui commercialise déjà des véhicules équipés d’un pilotage automatique, sans cesse révisé et amélioré¹ . La présentation faite sur son site internet parait révolutionnaire : une voiture capable de s’adapter au traffic, de rester dans sa voie, d’en changer, et ce, sans l’intervention du conducteur. Elle est d’ailleurs équipée d’un réseau neuronal comprenant des logiciels de visualisation, de sonar, et de radar qui analysent en temps réel les données récupérées et permettent leur utilisation en mode de conduite autonome, même en temps de fortes pluies ou de brouillard. Le géant de l’automobile électrique parle même d’une voiture complètement autonome, capable de parcourir seule de longues distances. Il est en plus envisagé de permettre aux voitures de deviner la prochaine destination grâce à la synchronisation de son agenda électronique au réseau de son véhicule. La voiture de demain est donc à portée de main.

Cependant, un chauffeur est toujours exigé pour le moment. Malgré l’actionnement du pilotage automatique, il doit rester attentif et être capable de reprendre le contrôle à tout moment. L’autopilot doit donc rester sous la supervision du conducteur, censé garder les mains sur le volant.

Des faits d’actualité rappellent que tout n’est pas encore au point et que des failles subsistent. Dernièrement, en décembre 2018, un américain a été arrêté au volant de sa Tesla, endormi et sous l’emprise de l’alcool. La police a dû le poursuivre sur 11km et mettre en place un stratagème afin de faire s’arrêter la voiture, enclenchée en mode pilotage automatique. Plus tôt, en juillet 2016, Tesla déplorait le premier accident mortel impliquant un véhicule en pilotage automatique. Une collision mortelle survenue entre un semi-remorque et un véhicule autonome Tesla Model S : une forte luminosité a ébloui la voiture de telle façon que ni l’autopilot, ni le conducteur n’ont vu la remorque blanche arriver en face. Sans doute, le conducteur n’aurait-il pas pu éviter l’accident de toute façon.

Les modèles commercialisés par le constructeur Tesla se situent au niveau 3 de l’autonomie. Plus précisément, cela correspond à une automatisation conditionnelle où le conducteur n’a pas à surveiller le système en permanence, mais doit être en mesure de reprendre le volant selon les circonstances. En tout, 5 niveaux sont prévus. Le dernier correspondant à la suppression de toute intervention humaine, puisque le système serait capable de faire face à toute situation. Ainsi, la frénésie des constructeurs suscite de nombreuses interrogations sur le plan de la réglementation notamment. L’évolution de la législation n’est pas aussi rapide que l’évolution technologique.

 

B/ Un système législatif à la traine

 

Actuellement, seule la circulation à titre expérimental est autorisée. En France, l’administration nationale délivre au cas par cas des autorisations, en vertu de la loi de 2015 pour la transition énergétique et des autres textes d’application de cette même loi.

Pour le moment, la réglementation est trop frileuse, alors que le nombre de textes législatifs à faire évoluer est considérable: règles de circulation, méthodes d’homologation, code de la route, sanction en cas d’infractions, responsabilité civile et pénale, conséquences en terme d’assurance à la suite d’un accident, la protection et le partage des données dont les machines seront en possession. Le défi est grand, tandis que les réflexions sur le sujet n’en sont qu’à leurs balbutiements.

Par ailleurs, le projet de loi Pacte viendrait compléter celle de 2015 dans le but d’élargir encore un peu plus le champ des possibles : possibilité d’expérimenter les véhicules sans personne à bord avec superviseur à l’extérieur, par exemple. Un décret publié le 28 mars 2018 prévoit notamment les conditions de délivrance et des modalités de mise en oeuvre de l’autorisation de circulation à des fins expérimentales. Cette mutation technologique majeure demande des ajustements juridiques considérables : une loi en construction, la LOM (Loi d’Orientation des Mobilités) devrait fournir un cadre juridique plus précis concernant la circulation de ce type de véhicule. La loi aurait pour vocation de permettre la circulation de voitures autonomes sur voie ouverte dès 2020 pour les navettes collectives et 2022 pour les véhicules particuliers. Ces enjeux sont complexes d’autant qu’ils sont pluridisciplinaires : en plus de concerner la voiture, il est nécessaire d’envisager la réglementation des systèmes et logiciels d’exploitation, ainsi que des cas d’usages possibles de la machine.

Dans un contexte d’internationalisation et d’européanisation, il est indispensable que l’Union Européenne se dote d’un cadre législatif convaincant et abouti dans ce domaine afin de permettre un développement compétitif au niveau mondial de cette filière industrielle. Encore faut-il que le législateur passe la seconde.

 

II – La peur de l’accident inévitable

A/ La question de la responsabilité

 

En parallèle, un élément essentiel freine les avancées : la perspective d’un accident. Cet évènement malheureux mais à prévoir amène à se poser la question de la responsabilité en premier chef². En effet, il existe une incertitude autour de la notion de conducteur et de la responsabilité à engager dans cette hypothèse.

Une machine n’est jamais infaillible, d’autant plus qu’elle aura été construire par l’Homme. Par ailleurs, même si la machine est présentée comme plus sécurisée, les aléas seront toujours présents (un défaut de fabrication, une panne du système, une météo dangereuse). En prime, un passage au 100% voiture autonome n’est pas envisageable de sitôt. Une cohabitation entre voiture sans conducteur et voiture avec est à prévoir, ce qui ne facilite pas les réponses à ces questions.

Si pour le moment, les constructeurs se dédouanent de toute responsabilité, comme le fait Tesla en précisant que le conducteur reste responsable de son véhicule, la solution pourra différer dans la mesure où la voiture n’aurait pas de conducteur. La situation est délicate : personne ne veut voir sa responsabilité engagée³. Il serait sévère de retenir celle du propriétaire du véhicule, simple passager, sans qu’il ait une quelconque maitrise des évènements. Mais il ne serait pas plus juste de retenir celle du constructeur, qui n’aurait lui non plus aucune maîtrise de l’utilisation faite du véhicule et des aléas de la circulation, comme un piéton qui traverserait de manière brusque au milieu de la route.

Cette question de responsabilité est celle qui semble poser le plus de problèmes: quelqu’un devra forcément s’acquitter de dommages et intérêts, mais qui pointer du doigt dans ces circonstances?

Dernièrement, le 4 octobre 2018, un procès fictif a été organisé par l’association Jurisnaute, avec sur le banc des accusés, l’intelligence artificielle. Était en cause un gigantesque accident, arrivé en 2041, mêlant des voitures autonomes, contrôlées par des logiciels intelligents ayant causé la mort de 50 personnes et fait des centaines de blessés. L’issue du procès est indicative mais permettra peut-être de présager les futurs choix politiques qui seront décidés : en l’espèce, l’humain, utilisateur de la voiture, est innocenté et l’intelligence artificielle condamnée. Ainsi, la société gérante de ces voitures autonomes est condamnée à une mesure de rééducation algorithmique et devra prendre en charge les dommages et intérêts demandés par la partie civile. Rien n’est dit quant à la responsabilité pénale.

Bien qu’il faille nécessairement établir un nouveau régime juridique propre à ce domaine, serait-il possible de s’imprégner de ceux préexistants comme celui de la responsabilité des produits défectueux ou de celui du fait des choses pour déterminer le responsable ?

 

B/ L’humain au cœur des préoccupations

 

Parmi toutes ces questions primordiales face à la mutation technologique à laquelle nous faisons face, il est également celle de la moralité⁴ . En reprenant le dilemme de l’accident inévitable, des choix moraux devront être faits, forcément sanglants. Sans conducteur, la voiture aura quelques secondes pour opérer un choix, guidée par des indications données au préalable.
Récemment, pour essayer de recueillir la vision des citoyens du monde, un site internet, nommé Moral Machine⁵ , proposait aux utilisateurs une mise en situation. Occupation quelque peu morbide, il n’est pas toujours aisé de choisir la mort d’un plutôt qu’un autre. Mais ces questions taboues doivent être posées et une ligne directrice fixée. A chaque question, le scénario prévoyait au moins la mort d’une personne quelle que soit la proposition choisie: mais qui sauver de la veuve ou l’orphelin?

Cette étude avait pour vocation de faire s’entamer d’éventuelles réflexions sur le sujet. En premier lieu, les réponses varient selon le type de société et la culture de la personne interrogée (individualiste et collectiviste). Certains sanctionneront alors le non-respect des réglementations du code de la route, tandis que d’autres privilégieront le nombre, ou encore la jeunesse à la vieillesse. Encore faut-il que les capteurs de la voiture soient capables d’analyser tous ces facteurs assez rapidement pour effectuer ce choix.

Trois principes fondamentaux peuvent se dégager des choix opérés par les participants : il semble plus important de protéger les humains plutôt que les animaux, de sauver le plus grand nombre de vies, et enfin de sauver en priorité les enfants. Cependant, ces scénarios sont limitatifs et la question de la prévisibilité de la situation est incertaine : il est impossible de connaitre à l’avance l’issue d’un accident. L’étude est par ailleurs irréaliste dans la mesure où elle n’exprime pas toute l’amplitude des situations possibles. Mais il est indéniable que les véhicules devront faire des choix selon des directives données au préalable. Dans ce cas, l’étude permet d’avoir un aperçu.

Pour finir, les données personnelles ne doivent pas être laissées pour compte. La thématique est en plein essor ces derniers temps et il semble que l’intelligence artificielle puisse emporter certaines dérives. Dans une économie qui devient de plus en plus virtuelle, les données n’ont jamais eu autant de valeur. Et les piratages n’ont jamais été aussi nombreux. Alors, une voiture autonome capable de deviner le trajet à réaliser en se basant simplement sur les indications fournies par l’agenda électronique de l’utilisateur ne présage rien de très rassurant. Comment garder l’once de vie de privée, qu’il nous reste, privée dès lors?  Chaque nouvelle invention technologique grignote encore un peu plus les limites de notre intimité. Attention alors à la cybercriminalité et au piratage des données collectées, par les véhicules utilisés.

Mais revenons à la réalité. Tous ces enjeux sont un frein majeur à la commercialisation de ce type de véhicule. Une chose est sûre: le permis de conduire a encore de beaux jours devant lui.

 

Philippine MILLET

 

https://www.tesla.com/fr_FR/autopilot?redirect=no

2  « La voiture autonome : aspects juridiques » – Etude par Iris M. BARSAN, Communication Commerce électronique n° 2, Février 2018, étude 3

3 « Accident mortel de Tesla: qui est responsable d’un accident de voiture autonome? », 2016, Grégory Rozières, Huffington Post

4 « De l’intelligence artificielle à la morale artificielle Les dilemmes de la voiture autonome », Hervé Croze, La Semaine Juridique Edition Générale n° 14, 2 Avril 2018, 378

http://www.cnrs.fr/fr/voitures-autonomes-et-choix-moraux-quen-pensent-les-internautes

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