La directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique est actuellement au cœur des sujets d’actualités. Après avoir été adopté par le Parlement le 18 Septembre dernier, ce texte doit encore faire l’objet de discussions. Tandis que l’article 13 a été à l’origine d’un profond bouleversement en obligeant les plateformes à verser aux ayants droits une rémunération, l’article 11 de la même directive n’est pas sans conséquence pour la société de l’information. En effet, ce dernier instaure un « droit voisin » au profit des éditeurs de presse en cas de republication d’un article. Comme le soulève la proposition de directive, le « passage d’une presse écrite à une presse numérique a bouleversé l’économie des éditeurs de presse »[1]. A cela s’ajoute un effondrement du marché publicitaire de la presse, soit une baisse selon la SCAM[2] de 54% en neuf ans, qui a un impact sur la pluralité de l’information.
Une protection essentielle pour les éditeurs de presse
Cette directive qui instaure un « droit voisin » pour les éditeurs de presse marque une profonde évolution pour ces derniers. Les éditeurs de publications de presse ne sont pas reconnus comme des titulaires de droit et la mise en place de concessions de droits est difficile et son respect d’autant plus complexe avec le passage au numérique. Désormais, les éditeurs de presse pourront protéger leurs publications en accordant des licences relatives à l’utilisation en ligne de leurs publications et auront le droit de percevoir une rémunération par les services d’agrégation en fonction du nombre de clics sur les liens qui reprennent le contenu de ces publications. Ce projet de loi ne délaisse pas totalement les journalistes puisque ces derniers percevront une part de la recette supplémentaire perçue grâce à ce nouveau « droit voisin ».
Cet article 11 de la directive apparait comme une mesure de sauvegarde face à la prise de pouvoir des GAFA afin d’assurer la pérennité du secteur de l’édition à travers l’octroi d’une contribution financière aux éditeurs dans la production de publications de presse, et ce par une harmonisation européenne. La reprise du contenu informationnel par les plateformes sans rémunération aux éditeurs nuit à la durabilité de la presse. Google et de nombreux autres agrégateurs ne produisent pas, ou de manière limitée, leur propre contenu éditorial. C’est pourquoi cette directive est largement soutenue par les éditeurs de presse. Néanmoins, elle comporte quelques limites. En effet, l’agrégateur, pour échapper au devoir de rémunération, ne devra pas utiliser les titres ou extraits de publications de presse, ni les adresses URL mais il aura l’obligation d’utiliser des mots clés renvoyant aux publications.
La durée d’un tel droit était au départ prévu pour vingt ans mais le Parlement l’a réduit à cinq ans, ce qui apparait comme légitime puisqu’une telle longévité n’a pas d’intérêt étant donné que la presse en ligne est déterminée par la nécessaire actualisation de l’information.
Cette directive tend à protéger les publications de presse, c’est-à-dire « uniquement les publications journalistiques, diffusées par un prestataire de services, périodiquement ou régulièrement actualisées sur tout support, à des fins d’information ou de divertissement »1 comme par exemple les journaux quotidiens ou les mensuels généralistes ou spécialistes. Les publications à des fins scientifiques ou universitaires ne devraient pas bénéficier d’une telle protection.
La directive vise en particulier les « snippets » qui sont de courts extraits d’articles de quelques phrases que l’on retrouve sur les réseaux sociaux et qui sont parfois partagés en masse par un simple clic. Les entreprises de presse à l’origine de ces articles pourraient ainsi désormais être rémunérées lorsque les plateformes du Web redirigent les internautes vers leurs publications.
L’opposition des agrégateurs : l’exemple de Google Actualités
L’enjeu d’une telle directive est ainsi de rééquilibrer la part des recettes entre la presse et les puissants du Web et notamment le duopole Google/Facebook. La presse a perdu de sa manne financière tandis que les agrégateurs s’enrichissent parallèlement.
Les géants du Web ne l’entendent pas de cette manière et procèdent à un fort lobbying. Les enjeux de cet article 11 sont ainsi mis en péril par les menaces de certains agrégateurs et en particulier Google actualités. En effet, Google actualités, qui agit comme un simple mais important relai qui redirige l’audience, refuse de payer une telle rémunération aux éditeurs de presse. Une telle menace n’est pas sans risque puisque l’adoption d’une loi similaire en Espagne a conduit à la fermeture de ce service d’actualité, provoquant une chute dans les audiences des médias. La clôture du service d’un tel géant en Europe aurait un impact direct pour la presse en ligne au sein de l’Union européenne. De plus, le but poursuivi par cette directive serait donc détourné puisqu’au final les éditeurs de presse ne recevraient pas de rémunération supplémentaire et leurs publications seraient moins relayées. Tout est une question de compromis et les mesures de rétorsion que pourrait prendre Google en Europe dépendra du texte de final.
Vers une modification de l’information ?
Il convient de se demander si cette protection sera efficace car avec le numérique l’information est rapidement communiquée ainsi le contrôle de sa diffusion peut apparaitre comme une tâche complexe et la mise en place d’un filtrage peut être défavorable aux petits éditeurs. Par ailleurs, et comme les opposants le soulignent, cet article aura peut-être comme effet de dissuader les plateformes de republier ces publications.
Pour atténuer les effets d’une telle disposition, les députés ont prévu une exception qui consiste pour les agrégateurs de presse à utiliser des mots clés plutôt que les titres ou des extraits des publications de presses protégées ainsi que les adresses URL afin d’échapper à la rémunération due aux éditeurs de presse. Cette exception renforce le fait que les idées sont de libres parcours et que seule la forme est protégée par cet article. Mais une interdiction totale de l’utilisation d’hyperliens aurait pour conséquence de réduire la consultation des sites de presse, ce qui n’est pas recherché par les éditeurs de presse. Cette interdiction aurait également un impact sur l’information des citoyens qui n’auraient plus le même accès à l’information pourtant essentiel dans une démocratie. Certains craignent une censure ou une limitation des contenus accessibles sur internet ainsi qu’une surveillance du Net portant atteinte à des droits fondamentaux. « Les États devraient s’abstenir de mettre en place des lois nécessitant la surveillance proactive ou le filtrage des contenus, qui est en porte-à-faux avec le droit à la vie privée et se transformera probablement en censure »[3], déclarait David Kaye, rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’opinion et d’expression, dans un avis.
Ainsi plusieurs enjeux sont en balance, d’un côté la nécessaire rémunération des éditeurs de presse par les agrégateurs face à la numérisation de la presse et d’un autre côté l’accès à l’information qui peut être menacé par la fermeture des agrégateurs importants qui relaient l’information. Si cette nouvelle mesure présente encore certains risques ou imperfections telles que la limitation voire une décentralisation de l’information si les agrégateurs ne jouent pas leur rôle, elle permet néanmoins une répartition plus équitable de la richesse et un soutien à une presse largement paupérisée et affaiblie. Elle contribue en cela à soutenir le pluralisme de l’information et in extenso la démocratie.
Clara DELAMARE
[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52016PC0593