Depuis le début de la crise sanitaire, le secteur culturel est véritablement mis à mal, et en particulier le secteur du cinéma. Fin mars, de nombreux cinéma ont été occupés dans toute la France par des manifestants favorables à une réouverture car selon leurs mots « la culture se meurt » ou encore « effacez nos métiers c’est la culture en danger ».
Mais de l’autre côté, la crise sanitaire a accéléré la consommation de produits culturels dématérialisés, ce qui a notamment profité aux plateformes de vidéo à la demande, comme Netflix ou Disney +. Or si cette tendance était amenée à perdurer, cela pourrait métamorphoser l’exploitation des œuvres cinématographiques.
Le 21 décembre 2020, une ordonnance transposant la directive européenne du 14 novembre 2018 relative à la fourniture de services de médias audiovisuels dite SMA a été signée et publié le 23 décembre 2020. L’ordonnance a transposé diverses mesures, notamment renforçant la transparence ou encore l’adaptation. Cette ordonnance a donc, au départ, rassuré les professionnels du cinéma. Mais en réalité, la mise en œuvre de certains points reste en suspens, et c’est le cas notamment de la chronologie des médias.
Un projet de contribution obligatoire des plateformes de vidéo à la demande
L’article 28 de cette ordonnance est relatif à cette chronologie des médias, qui pourrait, être amenée à s’adapter elle-aussi. Effectivement, le gouvernement a un projet de contribution obligatoire de la part des plateformes de vidéos à la demande pour la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Selon une décision du Conseil d’état en date du 1er avril 2021, cette contribution s’élèverait au versement de 20 ou 25% du chiffre d’affaire.
Or un tel effort ne semble pas réalisable sans contreparties. Alors que normalement un film diffusé en salle doit être diffusé sur d’autres supports, donc en DVD, télévision, et autre comme via les plateformes, après minimum 36 mois, une contribution obligatoire de la part des plateformes pourrait avoir pour contrepartie un assouplissement de ce régime, et donc une réduction de cette durée, notamment pour passer, selon les demandes des plateformes, de 36 mois à 12 mois.
Mais malheureusement cela aura pour conséquence de brouiller les frontières entre diffusion au cinéma et sur d’autres supports et nuire fortement au retour sur investissement des professionnels du cinéma.
Dans son avis du 17 mars 2021, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) admet qu’assujettir les plateformes à des obligations de contributions au financement d’œuvre cinématographiques françaises est une « difficile articulation » et donc une modulation des règles, telles que la chronologie des médias est envisageable. Mais ce projet attise les foudres de nombreux opposants.
Les professionnels du cinéma majoritairement opposés au projet
Nombreux sont les opposants, tel que par exemple Sidonie Dumas, présidente de Gaumont et de l’Association des producteurs indépendants (API) avait même émis l’hypothèse d’une « mort du cinéma dans quelques années » si cette tendance et ces mesures se concrétisaient.
De même dans une tribune du journal Le Monde, de nombreux cinéastes, parmi lesquels Olivier Nakache notamment, s’inquiétaient d’un tel bouleversement et assuraient qu’un « tel projet risque de fragiliser un écosystème sur lequel repose pourtant notre souveraineté culturelle ».
Le 31 mars 2021, le journal Les Inrocks a publié un article faisant part de la création d’un nouveau syndicat, l’U2R, signifiant Union des Réalisatrices et Réalisateurs, présidé par le réalisateur Laurent Jaoui. Ce dernier a ainsi indiqué qu’ « Avec l’arrivée des plateformes, comme Netflix, la distinction entre cinéma et télévision, petit et grand écran est devenu beaucoup plus floue ». Ainsi, ce nouveau syndicat a pour mission de représenter et défendre les droits des réalisatrices et réalisateurs, face aux multiples plateformes et lobbyistes.
Le gouvernement a fixé au 31 mars 2021, la date butoir pour un nouvel accord sur ces problématiques de chronologie des médias. Or en l’absence d’accord, le Gouvernement peut prendre, un décret pour fixer lui-même de nouvelles règles de diffusion.
Mais comme le précise une décision du Conseil d’état, précédemment citée, en date du 1er avril 2021, « Canal+ a saisi le juge des référés car il estimait ce délai trop court et affirmait que les plateformes étaient assurées dans tous les cas d’obtenir de nouvelles règles plus favorables de la part du Gouvernement ». En réponse, « Le juge a rejeté cette demande car il a estimé qu’il était impossible de prévoir les règles de diffusion qui pourraient être décidées par le Gouvernement dans ce scénario ». Ainsi, malgré le fait que Canal+ a tenté de montrer la nécessité de l’urgence sur cette question de la chronologie des médias, aux vues des conséquences majeurs que cela va engendrer, sa requête a été rejetée, au motif que « les effets économiques négatifs de la négociation imposée par le Gouvernement ou du dispositif qu’il pourrait adopter en cas d’échec de cette négociation ne sont pas connus à ce jour. La chaîne ne se trouve donc pas dans une situation d’urgence ». Un tel raisonnement reste assez discutable. Néanmoins, il convient d’attendre des précisions du Gouvernement, car l’accord sur la chronologie des médias est désormais expiré.
En tout état de cause, les plateformes de vidéo à la demande, et notamment Netflix semble cerner que l’enjeu, plutôt en leur faveur, est de taille, et commence de plus en plus à promouvoir le cinéma français, afin de « séduire » davantage. Netflix a récemment annoncé une vingtaine de nouvelles productions « made in France » pour 2021 afin de poursuivre selon ses termes « l’ancrage créatif et culturel en France ».
Finalement, la question qui peut être posée est de savoir si aujourd’hui il est véritablement possible de se détacher de ses plateformes ?
Une dérogation exceptionnelle annoncée par le CNC accentuant les tensions
Mardi 30 mars 2021, l’actualité faisait part de cet « embouteillage pour ces centaines (400 environ) de films qui attendent leur sortie en cinéma ». Le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) a ainsi annoncé le jeudi 1er avril 2021, une dérogation pour permettre exceptionnellement aux films destinés aux salles de sortir sur petit écran. Et en réalité ce « petit écran » est aujourd’hui quasiment indispensable aux regards de cet immense « embouteillage ». Dominique Boutonnat, président du CNC a ainsi annoncé « Il serait préjudiciable à la fois pour le public et pour nos créateurs qu’en raison d’un trop grand nombre de films disponibles, les grosses productions notamment américaines privent d’exposition les œuvres plus diversifiées. Il est fondamental que chaque œuvre puisse rencontrer son public ». Le CNC précise toutefois qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle qui ne remet pas en cause « la chronologie des médias ni son évolution prochaine ».
Une éventuelle solution : une nouvelle plateforme mise en place par les professionnels du cinéma
En guise d’éventuelle réponse à ce problème entre les professionnels du cinéma et les plateformes de vidéos à la demande, serait la mise en place par les professionnels du cinéma eux-mêmes d’une plateforme, pour ne pas être soumis aux « griffes » de ces géants.
En effet, en dehors de cette problématique liée à la chronologie de médias, si le petit écran était de plus en plus privilégié, les œuvres cinématographiques y seraient « sélectionnées » pour répondre aux attentent de la plateforme en particulier. Et ces dernières pourraient être amenées à refuser des films plus singuliers, ou avec des thèmes sujets à controverses, qui attireraient éventuellement moins de spectateurs. Par conséquents cela pourra être un frein considérable, et l’imagination et l’ambition de certains auteurs pourrait être « limité ».
Mais bien évidemment, se détacher de ces plateformes désormais très importantes, n’est pas si simple, et une mise en place effective d’un tel projet prendra du temps pour que les consommateurs soient réellement au rendez-vous.
Pourtant cela pourrait peut-être se concrétiser plus vite que prévue. Récemment la plateforme FilmoTV a été lancée par l’ARP, la Société civile des auteurs, réalisateurs, et producteurs, et cette incitative se veut être une « salle de cinéma en ligne ». Cette plateforme défend ainsi la cause des cinéastes indépendants.
Le réalisateur Jérôme Diament-Berger a ainsi indiqué « L’idée du cinéma en ligne est devenue une évidence avec la crise sanitaire, mais créer notre propre plateforme était trop compliqué. Nous avons trouvé un espace chez FilmoTV, la chaîne et plateforme VOD que dirige Jean Ollé-Laprune. C’est quelqu’un qui milite pour une cinéphilie œcuménique, sans esprit de chapelle, et qui avait déjà, dans son offre, beaucoup de films des membres de l’ARP ». L’approche de l’ARP incite à voir le cinéma français, sa richesse, sa créativité, mais que celle-ci reste aux mains des passionnés.
En tout état de cause, l’industrie cinématographique sur grand écran reste aujourd’hui paralysée, et il existe une réelle crainte pour la culture et son avenir.
Finalement aujourd’hui, le monde de la culture « en vrai », en physique, est en suspens. Cela parait déconcertant, bien qu’indispensable vu les conditions sanitaires. Toutefois cela freine clairement, voire tue dans l’œuf, de nombreux projets culturels, pourtant essentiels à la vie en société. La culture est aujourd’hui paralysée.
Donc préexiste actuellement cette impression que l’avenir du cinéma, et plus généralement l’avenir culturel, est en train de se jouer maintenant, et que les futures décisions gouvernementales et juridiques influenceront l’avenir de la culture. Le monde du numérique permet de ne pas nous déconnecter entièrement de la culture, mais en même temps va à une telle vitesse qu’il est souvent difficile de s’y adapter pleinement.
Mélinda GUREN
Sources :
- https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/chronologie-de-diffusion-des-films-sortis-au-cinema-le-calendrier-pour-la-definition-des-nouvelles-regles-n-est-pas-suspendu
- https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042722588/
- https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/face-au-risque-dembouteillage-le-cnc-facilite-encore-la-sortie-de-films-sur-le-petit-ecran-1303665
- https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/03/30/cinema-la-peur-du-grand-embouteillage-pour-les-plus-de-400-films-qui-attendent-leur-sortie_6075008_3234.html
- https://www.lefigaro.fr/cinema/la-pression-va-etre-tres-forte-a-la-reouverture-les-cinemas-face-a-un-embouteillage-de-films-20210404
- https://www.lesinrocks.com/cinema/quest-ce-que-lu2r-le-nouveau-syndicat-des-realisateurs-354441-31-03-2021/
- https://www.lefigaro.fr/cinema/les-realisateurs-francais-redoutent-l-impact-des-plateformes-sur-le-financement-du-cinema-20210312
- https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/10/nous-cineastes-ne-signerons-pas-un-accord-qui-risquerait-d-aneantir-le-financement-des-films_6072652_3232.html
- https://www.nextinpact.com/lebrief/46651/canal-echoue-a-faire-suspendre-calendrier-chronologie-medias
- https://www.filmotv.fr/cinema/les-films-de-l-arp/9146/1.html