Aujourd’hui, les affaires de contrefaçon et de validité des brevets Européens sont tranchées par les juridictions et les autorités nationales. Par conséquent, les décisions divergent en fonction de la juridiction devant laquelle les parties se placent. Et, cela a pour effet de créer une insécurité juridique et un « forum shopping » où les parties cherchent à tirer profit des différences entre les diverses juridictions nationales et leurs procédures en allant vers celle qui leur apportera la solution la plus avantageuse.
C’est pourquoi le 19 février 2013, un accord a été signé. Cet accord a pour objectif de mettre en place une juridiction unifiée du brevet ayant pour compétence exclusive le règlement des litiges relatifs aux brevets européens et aux brevets européens à effet unitaire. Cet accord a ainsi pour but de mettre en place une juridiction commune à la plupart des Etats membres, un tribunal unique jugeant de tous les contentieux relatifs aux brevets.
Et pour se faire, cette juridiction se composera d’un tribunal de 1ère instance, d’une Cour d’appel et d’un greffe. Le tribunal de 1ère instance sera composé de plusieurs divisions locales, régionales et d’une division centrale. La Cour d’appel quant à elle, aura son siège à Luxembourg.
Cependant, alors même que cet accord a été voté en février 2013 et signé par 25 Etats membres de l’Union Européenne, celui-ci n’est toujours pas entré en vigueur. En effet pour entrer en vigueur, celui-ci doit être ratifié par au moins 13 Etats signataires dont les trois Etats membres dans lesquels le plus grand nombre de brevets Européens produisaient leurs effets en 2012 à savoir l’Allemagne, la France et le Royaume Uni. En mars 2016, 9 Etats ont ratifié l’accord dont la France ainsi, ils manquent quatre ratifications.
Néanmoins, avec le Brexit, le « British Exit » désignant la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, la situation s’est complexifiée et beaucoup s’interrogent sur la question de savoir s’il faut ou non maintenir ce projet.
En effet, le 23 juin 2016, lors d’un référendum organisé par l’ancien Premier ministre David Cameron, 51,9 % des Britanniques ont choisi de quitter l’Union Européenne. Et, le Premier ministre Theresa May a déclenché le processus de retrait l’Union Européenne prévu par l’article 50 du Traité sur l’Union Européenne le 29 mars 2017. Ainsi, le Royaume Uni a à partir de cette date, 2 ans pour sortir de l’Union Européenne.
Par conséquent :
- d’un point de vue juridique, le Royaume-Uni peut ratifier cet accord malgré le referendum mais pour cela, il faudrait une forte volonté politique qui semble absente à ce jour,
- cet accord ne concerne que les Etats membres de l’UE ainsi, un Etat qui ne serait pas membre de l’UE ne pourrait devenir partie à cet accord,
- cet accord ne prévoit ni le cas d’un retrait de l’UE d’un Etat membre de l’UE ni le cas d’un retrait de l’accord d’un Etat membre.
Ainsi, il semble que dans tous les cas, l’accord nécessite des modifications. En effet d’un côté, si le Royaume Uni ratifie l’accord et sort effectivement de l’UE, l’accord ne se référant qu’à des Etats membres de l’UE doit nécessairement faire l’objet de modifications et, d’un autre côté, si le Royaume Uni ne ratifie pas, une modification de l’accord sera nécessaire pour qu’il puisse entrer en vigueur.
Egalement le 8 mars 2011, la Cour de justice de l’UE a rendu un avis sur cet accord ; dans lequel, elle souligne l’incompatibilité de celui-ci avec les fondamentaux de l’UE.
En effet :
- elle estime que la primauté du droit de l’Union a été oubliée dans le sens où la juridiction des brevets serait amenée à trancher des litiges sur les brevets en conformité avec le droit européen passé, présent et à venir; y compris sur des questions de droits fondamentaux qui peuvent se poser dans le cadre d’un jugement sur les brevets ainsi, une juridiction extérieure à l’Union serait amenée à se prononcer sur des droits fondamentaux des citoyens européens, sans que les institutions de l’Union aient le moindre mot à dire,
- elle estime que les litiges en matière de brevet doivent relever des tribunaux de chaque Etat membre ; ces derniers ne pouvant abandonner cette compétence au profit d’une juridiction créée par un accord international,
- elle estime que le projet remettrait en cause l’harmonisation du droit communautaire et l’assurance du respect de la législation européenne dans le sens où d’une part, les renvois préjudiciels ne pourront plus être assurés car, dans le cadre de ce projet, les renvois préjudiciels ne pourront se faire qu’à l’initiative de la juridiction des brevets excluant donc les juridictions nationales et d’autre part, dans le sens où les recours en manquement ne pourront plus être assurés car, la juridiction n’est plus dépendante d’un pays mais possède une personnalité juridique propre.
Ainsi, l’avis de la Cour de justice de l’UE oblige à repenser radicalement les fondements mêmes de ce projet afin qu’il respecte les valeurs démocratiques de l’Union.
Le 4 octobre 2017, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi en première lecture et, le 20 décembre 2017, les sénateurs ont à leur tour adopté le texte et ce sans modification. Mais une fois encore, une complication est survenue puisqu’une plainte a été déposée devant la Cour constitutionnelle Allemande ; cette plainte ayant pour objet de bloquer la dernière étape de la ratification par l’Allemagne de cet accord. En effet, un plaignant anonyme a déposé plusieurs plaintes devant la Cour constitutionnelle Allemande pour bloquer la ratification de la juridiction unifiée du brevet.
Cet accord va-t-il un jour entrer en vigueur ? Affaire à suivre…
Sarah Meunier
Sources :
–https://www.epo.org/law-practice/unitary/upc_fr.html#tab1
-https://www.epo.org/law-practice/unitary_fr.html
–http://www.loyerabello.fr/quest-juridiction-unifiee-brevet/
–http://www.dreyfus.fr/actualite/juridiction-unifiee-du-brevet-mise-en-place-au-printemps-2017/
–https://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-le-brexit.html