Le droit à l’avortement et les données personnelles aux États-Unis

 

Récemment, le droit des femmes a été sévèrement bafoué par la Cour Suprême des Etats-Unis, ayant révoqué le droit constitutionnel à l’avortement le 27 juin 2022. Cette décision remet en cause la légalisation de l’avortement qui avait été consacré dans la célèbre décision Roe vs Wade en 1973.  Dès lors, l’élimination de ce droit sacré  a  eu des conséquences dévastatrices sur la santé des femmes et la santé publique. En effet, suite à cela, certaines cliniques de santé des femmes ont été dans l’obligation de fermer y compris celles qui offrent d’autres services de santé préventive comme la contraception, ayant pour corollaire de laisser de nombreuses communautés sans accès à des services de santé essentiels. 

Treize États ont déjà voté en amont des « triggers laws » c’est-à-dire des textes de loi pensés pour entrer en vigueur rapidement après la décision de la Cour Suprême.  En outre, sept Etats conservateurs ont déjà interdit l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et d’autres devraient suivre. 

En revenant sur l’arrêt Roe vs Wade, la Cour suprême octroie la possibilité à chaque Etat américain de prohiber ou d’autoriser l’avortement. 

Selon le communiqué de l’Electronic Frontier Foundation «  Celles et ceux qui cherchent, offrent ou facilitent l’accès à l’avortement doivent, désormais, partir du principe que toutes les données qu’ils et elles laissent sur Internet ou ailleurs peuvent être recherchées par les autorités ». 

C’est donc avec tristesse que ce communiqué reflète une surveillance numérique depuis la décision retentissante de la Cour suprême sur le droit à l’avortement.  En effet, une vaste inquiétude peut se ressentir par rapport aux données personnelles des utilisateurs qui peuvent être collectés par les entreprises du numérique, dont les autorités peuvent avoir accès. 

De nombreuses traces numériques sont laissées par les internautes allant de l’historique de la recherche jusqu’à la géolocalisation. De plus, cela peut être théoriquement utilisé par les autorités judiciaires au niveau de la procédure.  Par exemple, l’historique des requêtes Google peut être utilisé par la justice pour corroborer des preuves. C’est le cas si une personne fait des recherches sur des cliniques sur un Etat voisin disposant donc d’une législation différente comme l’autorisation à l’avortement ou des pilules nécessaires à un avortement. 

À titre d’exemple, l’affaire Fisher en 2018 impliquant la mort d’un nouveau-né où la mère a été inculpée de meurtre au deuxième degré. Suite à l’expertise par le médecin légiste, celui-ci a conclu que le bébé était vivant au moment de sa naissance et par conséquent, décédé par asphyxie. 

Les enquêteurs ont appris que l’accusée faisait des recherches sur des médicaments pour l’avortement, après avoir eu accès à ses données personnelles notamment son historique internet. Par la suite, l’accusée admet avoir effectué des recherches internets pour savoir comment provoquer une fausse-couche. 

Concernant les données de géolocalisation, celles-ci ne sont pas collectées exclusivement par Google et Apple mais aussi par des opérateurs mobiles. Dès lors, si certains Etats ont pour objectif de prohiber le fait de se rendre dans une clinique d’un État différent pour avorter et poursuivre toute personne qui envisage cela, les données de géolocalisation  seront sacrées dans la mesure où elles pourront tracer l’itinéraire de la personne poursuivie et faciliter son arrestation. 

À l’Etat du Texas, une loi a été votée en septembre 2021 permettant de poursuivre un conducteur de VTC ayant transporté une femme pour aller se faire avorter.

Également l’Etat du Missouri en début d’année où les législateurs ont proposé une loi permettant aux individus de poursuivre quiconque aidant une personne à traverser les frontières de l’Etat pour un avortement. Fort heureusement, ce projet de loi n’a pas été adopté. Nonobstant, suite au contexte actuel, car la décision Roe vs Wade est affaiblie, il serait possible que ce projet de loi puisse revoir le jour, peut être pas au Missouri, mais dans un autre Etat prohibant le droit à l’avortement. 

Pour contrer cette possible intrusion par les autorités américaines, les applications de suivi menstruel ont riposté. En effet, ces applications, dont les données sont extrêmement sensibles, sont en ligne de mire. C’est pour cela que l’application Flo a annoncé récemment le lancement d’un « mode anonyme » afin d’effacer tous les identifiants d’un compte.  À l’instar de l’application Natural Cycles ayant annoncé travailler sur une méthode d’anonymisation totale des données. 

Mais aussi, l’application Clue qui a publié un communiqué garantissant que toutes les données de ses utilisatrices et utilisateurs étaient hébergées en Europe. Par conséquent, l’entreprise n’a pas pour obligation de répondre aux demandes de la justice américaine concernant les données de santé de ses clients. 

Les plateformes ainsi que les principaux acteurs de la tech ont réitéré leur volonté d’être fervent au droit à l’avortement, en facilitant l’accès à l’IVG aux personnes qui ont en besoin. C’est le cas des directions de Meta, Microsoft ou encore Yelp ayant annoncé de mettre en place en interne pour leurs employés, des aides pour ceux qui auraient besoin de voyager dans un autre Etat pour avorter. 

Toutefois, aucun géant de la Silicon Valley (Google, Apple, Amazon) ne s’est prononcé à propos de cette problématique épineuse. En effet, la plupart d’entre eux dépendent de ces collectes de données personnelles tantôt sur leur fonctionnement interne, mais aussi leur modèle économique, par conséquent, ils disposent de peu de moyens de se défendre face aux demandes d’information émanant de la justice. 

Compte tenu de cela, certaines personnalités politiques cherchent à imposer aux plateformes de prendre leurs responsabilités.  C’est le cas de Sara Jacobs, représentante démocrate qui a déposé une proposition de loi intitulée «  My Body, My Data » en début juin. Ce texte a pour finalité de protéger les données personnelles des utilisatrices et utilisateurs en matière de santé.

En dépit du renversement du droit sacré à l’avortement, il n’en demeure pas moins que le combat ne soit terminé. 

Faisant l’objet de critiques, notamment pour sa défense jugée timorée à l’aune du droit à l’avortement, le président américain Joe Biden s’est rapidement ressaisie. Dès lors, il a pris une série de mesures réglementaires qu’il a annoncées sur Twitter le vendredi 8 juillet afin de lutter contre la « surveillance numérique » à laquelle les femmes pourraient être les victimes. 

 

 

Un des objectifs de ces mesures est de combattre la surveillance numérique, dans la perspective de protéger les informations de santé sensible. En effet, ce décret met en exergue de faire face à la menace potentielle pour la vie privée des patients causée par le transfert et la vente des données sensibles liées à la Santé et la surveillance numérique ( Sec. 4, b).

Également avec ce décret, Joe Biden demande au ministère de la santé et des services sociaux de prendre des mesures afin de protéger et d’élargir l’accès aux « médicaments abortifs ». A l’instar de garantir l’accès aux soins médicaux d’urgence, aux services de planification familiale et à la contraception.  

Ce décret souligne aussi la volonté d’organiser un réseau d’avocats bénévoles afin que les Américaines puissent se déplacer librement à l’intérieur des Etats-Unis pour avorter sans que leur comportement ne soit qualifié comme étant répréhensible, et cela, même si elles résident dans un Etat interdisant l’avortement. 

Suite au contexte actuel sur le droit à l’avortement, qu’adviendra-t-ils des prochains jours, semaines, mois et années à compter de la décision de la Cour Suprême ? Certes, l’amoindrissement du droit à l’avortement ressuscite une volonté de mieux protéger les femmes à qui ont a enlevé l’octroi de ce droit sacré.  Toutefois, une prise de conscience du droit à l’avortement ne peut être unanime, certains adversaires à ce droit argue des arguments de considérations religieuses, etc. Pourquoi retirer un droit sacré qui a été consacré antérieurement et qui est le fruit de divers combats ? Malheureusement, cela ne peut que constituer un retour en arrière et par conséquent, un affaiblissement des droits des femmes…

 

Cédric Neldé KOSSADOUM

Sources : 

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/06/27/avortement-aux-etats-unis-les-geants-du-numerique-face-au-danger-lies-aux-donnees-personnelles_6132221_4408996.html

https://www.theguardian.com/world/2022/may/03/us-abortions-travel-wave-of-restrictions

https://www.fastcompany.com/90764437/these-tech-companies-are-pledging-to-pay-for-abortion-travel

https://sarajacobs.house.gov/uploadedfiles/mybodymydataactlegislativetext.pdf (projet de loi « My body, my data ) 

https://www.protocol.com/newsletters/sourcecode/texas-abortion-law-tech?rebelltitem=1#rebelltitem1

https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/08/avortement-joe-biden-prend-des-mesures-pour-proteger-les-donnees-personnelles_6133995_3210.html

https://www.letemps.ch/images/chapatte/fin-droit-lavortement-aux-usa (image) 

https://www.whitehouse.gov/briefing-room/presidential-actions/2022/07/08/executive-order-on-protecting-access-to-reproductive-healthcare-services/

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