Les licences FRAND : les atteintes au droit de la concurrence dans les négociations de licences FRAND

 

Dans le monde actuel, la technologie est en constante évolution. Il semblait dès lors fondamental de construire un milieu équitable où les brevets s’adaptent aux impératifs de développement et de compétitivité. 

C’est ainsi que dans les années 1990, avec cette montée en puissance des technologies de communication et des standards de l’industrie, sont apparues les licences FRAND. 

Ces licences sont concédées par les titulaires de Brevets Essentiels à une Norme (BEN). Ces brevets, qui peuvent être très nombreux, sont nécessaires à la constitution d’une certaine norme technique, un standard sur un certain marché. Il peut s’agir d’une norme telle que la 2G, 3G, 4G, 5G ou encore le Wi-Fi, le Bluetooth ou l’USB.

Dès lors, comme ces normes sont elles-mêmes nécessaires à l’entrée sur le marché de nouvelles entreprises, elles doivent être accessibles à tous afin de favoriser la concurrence et l’innovation. Ainsi, les titulaires de BEN s’engagent auprès d’organismes de normalisation, tels que l’ETSI (l’Institut Européen des Normes de Télécommunications), l’AFNOR (Association Française de Normalisation) ou l’ISO (l’Organisation Internationale de Normalisation), à concéder des licences aux utilisateurs de la norme selon des modalités et des conditions FRAND (Fair, Reasonable and Non Discriminatory), c’est à dire équitables, raisonnables et non discriminatoires. 

En effet, ce mécanisme peut paraître paradoxal puisque les BEN confèrent un monopole d’exploitation à un seul acteur sur une technologie essentielle à l’existence d’une norme, mais c’est également le fait qu’ils soient essentiels à une norme qui justifie le fait que ces brevets doivent pouvoir être utilisés par tous les acteurs engagés dans la production de produits standardisés afin de les laisser accéder aux marchés correspondants et encourager l’innovation. 

Ainsi, ces licences présentent une très bonne solution d’accès aux technologies indispensables à une norme en faisant coexister normalisation et droit de propriété intellectuelle sur les brevets d’invention 

Cependant, le manque d’encadrement des négociations des licences FRAND et la divergence des législations nationales a fait naître de nombreux litiges en droit de la concurrence qui vont faire l’objet de notre étude.

En effet, ce manque d’encadrement des négociations entre le titulaire d’un BEN et les potentiels utilisateurs a conduit à des contentieux relatifs aux montants des redevances (A). Cela a également mené à des questions quant à la portée de l’obligation du titulaire d’un BEN de concéder des licences FRAND et à l’abus de sa position dominante en cas de refus (B). Mais ces différents litiges ont permis de trouver des solutions, à l’échelle de l’Union Européenne notamment (C).

A.  Des risques liés aux négociations déloyales de licences FRAND

Tous ces conflits en matière de licence FRAND sont majoritairement liés au montant des redevances. En effet, comme dans toute concession de licence, le licencié doit payer des redevances au titulaire du brevet pour pouvoir user et jouir de l’invention, objet du brevet. Cependant, dans le cadre des licences FRAND ces redevances doivent, par définition, être équitables, raisonnables et non discriminatoires. Les textes et arrêts présentent ainsi plusieurs situations de déséquilibre dans l’économie de chacune des parties qui découlent du non-respect de ces conditions FRAND dans les négociations des redevances. On retrouve notamment le patent hold-up, le reverse hold up ou encore le patent ambush.

Le patent hold up est une stratégie consistant à « rançonner » les utilisateurs de la norme en invoquant des brevets à l’étendue incertaine. Le titulaire de BEN va par exemple monter un « hold up» en bloquant judiciairement des utilisateurs de cette technologie. Il va introduire une interdiction provisoire, ou menacer de le faire, sous réserve que le défendeur accepte une licence à un taux de redevance élevé. Le défendeur qui a souvent réalisé d’importants investissements afin d’intégrer les standards dans sa production, se trouve presque obligé d’accepter ce taux de redevance disproportionné.  

La stratégie du reverse hold up consiste, de la part du défendeur cette fois-ci, à faire usage de l’invention sans autorisation et, devant le fait accompli, une fois seulement que le titulaire du BEN en question se manifeste, à négocier une licence à prix réduit ou bien à obliger le titulaire de droit à s’engager dans un procès long et coûteux.

Le patent ambush, littéralement « brevets en embuscade », constitue une variante du patent hold up. Selon les professeurs Azéma et Galloux, ici, le titulaire du brevet qui participe à un processus de standardisation menée par un organisme de normalisation, omet de déclarer l’un de ses brevets essentiels couvrant une partie de la technologie en cause. Une fois que le standard a été adopté et que les utilisateurs ont modifié leur production pour s’adapter à la norme, le titulaire va opposer le brevet non déclaré et proposer des licences dessus à des taux de redevance élevés, plus élevés que les montants des licences FRAND, puisque par définition les montants des redevances des licences FRAND doivent être raisonnables et accessibles. Les entreprises qui ont modifié toute leur production pour s’adapter se trouvent coincées, à l’intérieur de la technologie qu’elles ont adoptée. Dans ce cas, trois options désavantageuses s’offrent à elles : soit elles acceptent le prix élevé, soit elles utilisent le brevet en cause sans autorisation et risquent de faire face à une action en contrefaçon, ou alors les entreprises peuvent également décider de sortir du marché.

Des questions ont été soulevées quant à la participation des détenteurs de BEN à ces opérations de standardisation et si cela impliquait une obligation de leur part de déclarer l’ensemble de leurs droits intellectuels. Comme ces mécanismes de standardisation ont un fondement contractuel, l’obligation de bonne foi de l’article 1135 du Code civil et la sécurité juridique pourraient être invoquées. Selon les professeurs Azéma et Galloux, « une obligation de divulgation apparaît dès lors comme un mécanisme indispensable à la réalisation de l’économie contractuelle » et donc, même si l’obligation de divulgation n’est pas stipulée expressément, elle devrait être tout de même reconnue implicitement. Un tel scénario fut l’objet de l’affaire Rambus aux Etats-Unis et en Europe avec une enquête de la Commission européenne en 2007. Cette dernière avait d’ailleurs estimé que la non révélation de ses brevets de la technologie DRAMS constituait un abus de position dominante de sa part.

 B)   L’action en contrefaçon du breveté contre l’utilisateur de la norme avec lequel une licence Frand n’a pas été conclue

Selon la jurisprudence européenne, la position dominante est définie comme étant « une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs ».

La position dominante en matière de BEN paraît donc évidente puisque le titulaire d’un BEN est titulaire d’un brevet qui est indispensable à tout concurrent envisageant de fabriquer des produits conformes à la norme à laquelle est lié ce brevet et peut donc bénéficier d’un pouvoir lui conférant la liberté d’un comportement indépendant sur le marché, affranchi des contraintes extérieures liées aux réactions des concurrents. La Commission européenne a ainsi reconnu la position dominante de Motorola sur le marché de la concession de licences de technologies, pour la norme GPRS et celle de Samsung pour la norme UMTS (3G).

Cependant, notre étude va plutôt porter sur l’abus de cette position dominante déjà établie. La notion d’exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 102 du TFUE est une “notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui, sur un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence”.

Ainsi la question de l’abus de position dominante s’est posée pour les actions en contrefaçon introduites par le titulaire d’un BEN, pourtant engagé à délivrer des licences FRAND, à l’encontre d’un contrefacteur.

Cet engagement de délivrer des licences à des conditions FRAND crée des attentes légitimes auprès des tiers que le titulaire du BEN leur octroie effectivement ces licences. En effet, l’obtention de cette licence est indispensable à ces entreprises souhaitant entrer sur le marché concerné puisqu’un brevet, même essentiel, ne peut être utilisé licitement sans contrat. Ainsi, un refus du titulaire du BEN d’octroyer cette licence peut constituer en principe, un abus au sens de l’article 102 TFUE relatif à l’abus de position dominante dans le marché intérieur. 

En réalité, une mise en balance entre les intérêts juridiques des parties est nécessaire. D’un côté, le fait d’admettre que l’exercice d’une action en contrefaçon constitue un abus de position dominante conduirait à altérer le droit fondamental du breveté à une protection juridictionnelle effective, puisqu’il ne pourrait pas introduire de demande en justice. D’un autre côté, la sécurité juridique et le libre jeu de la concurrence impliquent à fortiori de favoriser l’obtention de licences sur des inventions normalisées afin de ne pas bloquer l’accès au marché.

Finalement, le fait que le brevet soit essentiel à une norme doit forcément limiter l’exercice de l’action en contrefaçon afin d’éviter que le titulaire du brevet puisse “exclure l’apparition ou le maintien sur le marché de tels produits fabriqués par des concurrents et ainsi se réserver la fabrication de ces produits”.

C’est cet équilibre que va tenter d’apporter la CJUE dans un arrêt Huawei c/ ZTE en offrant un mode d’emploi et une prévisibilité aux parties et surtout aux titulaires de BEN afin qu’ils puissent intenter une action en contrefaçon, sans qu’elle dégénère en abus de position dominante. Le litige soumis à la Cour de justice par un recours préjudiciel, oppose l’entreprise Huawei, titulaire d’un brevet essentiel à la norme 4G déclaré à l’ETSI, à l’entreprise ZTE Deutschland. En l’espèce, les deux entreprises sont entrées en pourparlers afin de s’accorder sur une licence FRAND, mais ne sont parvenues à un aucun accord au terme de cinq mois de négociation. La société Huawei proposait le paiement d’une redevance tandis que la société ZTE souhaitait une concession de licences réciproques. La société Huawei a finalement assigné en contrefaçon la société ZTE devant le juge allemand qui, selon Huawei, aurait commercialisé des produits fonctionnant sur la base d’une norme exploitant son BEN sans verser de redevance.

La Cour vient ainsi éclairer les conditions selon lesquelles une action en contrefaçon introduite par un titulaire de BEN ne constitue pas un abus de position dominante et distingue pour cela deux types de demandes : les demandes en cessation de l’atteinte ou en rappel des produits contrefaisants d’un côté (a) et de l’autre, les demandes visant à obtenir des dommages et intérêts ou la communication de données comptables (b). Le professeur Caron parle d’action avec finalité d’interdiction ou de réparation.  

a) Les demandes en cessation de l’atteinte ou le rappel des produits contrefaisants

Concernant ces demandes, une réponse avait déjà été apportée dans un arrêt Orange Book (KZR 39/06). Le juge allemand avait conclu que le breveté qui agissait en contrefaçon contre un tiers pouvant prétendre à une licence ne commettait un abus de position dominante qu’à des conditions déterminées tenant notamment à ce que le défendeur ait proposé de manière inconditionnelle de conclure un contrat de licence n’ayant pas pour seul objet de couvrir les cas de contrefaçon.

La Commission européenne, quant à elle, avait considéré par des communiqués de presse contre Samsung , que l’exercice d’une action en cessation est illicite, sur le terrain de l’abus de position dominante, dès lors que cette action porte sur un BEN, que le titulaire de ce BEN a indiqué être disposé à concéder des licences auprès d’un organisme de normalisation  et que le contrefacteur est lui-même disposé à négocier une telle licence. Le problème avec cette décision réside dans le fait de retenir comme critère d’un tel abus la disposition à négocier du contrefacteur ; car c’est une notion ouvrant à de nombreuses interprétations et assurant une trop large liberté au contrefacteur. Si la seule disposition à négocier suffisait il serait beaucoup trop simple de faire taire les actions en cessation des titulaires de BEN.

La Cour vient éclairer et préciser cette question de l’action en contrefaçon d’un titulaire de BEN demandant la cessation de l’atteinte ou le rappel des produits contrefaisants et pose ainsi les étapes à suivre:

1- Compte tenu du grand nombre de brevets essentiels existants (4700 en l’espèce), le titulaire doit donner un préavis au contrefacteur en précisant le brevet et les actes qui lui sont reprochés.

2- Si le contrefacteur exprime sa volonté de conclure un contrat de licence à des conditions FRAND, le titulaire du BEN doit lui faire une offre écrite et concrète à ces conditions en précisant le montant de la redevance et ses modalités de calcul afin de respecter son engagement auprès de l’ETSI.

3- Le contrefacteur présumé doit alors donner suite à cette offre avec diligence conformément aux usages commerciaux. Par contre, si le tiers n’accepte pas l’offre, la qualification d’abus de la position dominante est exclue, sauf s’il soumet au breveté, dans un bref délai et par écrit, une contre-offre concrète correspondant selon lui, aux conditions FRAND.

4-S’il utilise les éléments du BEN avant la conclusion de l’accord et si sa contre-offre est rejetée, le contrefacteur devra garantir le titulaire du droit qu’il lui paiera une redevance pour les exploitations non autorisées passées et présentes en constituant une sûreté ou une consignation.

5-Enfin, si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la fixation de la redevance juste et raisonnable, elles peuvent recourir aux services d’un tiers indépendant statuant à bref délai.

Sans oublier que parmi toutes ces étapes, le contrefacteur a toujours la possibilité de contester la validité du brevet et le caractère essentiel de la norme puisque ces critères ne sont pas vérifiés par l’organisme de normalisation.

 Ainsi, s’il respecte ces conditions et qu’il ne parvient pas à conclure une licence  «  FRAND  », le breveté d’invention peut alors intenter une action en contrefaçon sans craindre qu’elle se transforme en abus de position dominante.

b) Les demandes visant à obtenir des dommages et intérêts ou la communication de données comptables

  Concernant les demandes en dommages et intérêts, ou la demande de communication de données comptables, la Cour estime qu’elles ne sont pas par elles-mêmes susceptibles d’avoir des effets sur le marché contrairement aux actions principales en cessation ou en rappel des produits, donc l’action en contrefaçon sur ces demandes ne pourra dès lors être jugée abusive.

Sur ce point la décision de la Cour est critiquable puisque, même si de prime abord ces demandes peuvent sembler entraîner des conséquences moins graves que la cessation de l’atteinte ou le rappel des produits, ces demandes peuvent tout de même dégénérer en abus.. En effet, à travers la communication de données comptables, le risque d’espionnage économique est bien réel. Le professeur Passa apporte également un tempérament, puisque selon lui , « il est évident que celui qui est condamné pour contrefaçon au paiement de D&I au titre de la commercialisation passée de produits est vivement incité à cesser cette commercialisation pour éviter une nouvelle condamnation pécuniaire » et donc la présence de ses produits sur le marché est évidemment affectée.

De plus, le breveté aurait la possibilité d’échapper à la qualification d’abus de sa position dominante à partir du moment où il réclamerait seulement des dommages-intérêts pour les actes passés, en se réservant la possibilité d’introduire d’autres actions du même type pour les actes ultérieurs.

C) Des solutions favorisant la loyauté en matière de négociation de licence FRAND

a) Les faibles solutions apportées par la CJUE

Malgré les critiques qui ont été émises quant à l’arrêt Huawei c/ ZTE rendu par la CJUE, on ne peut pas ignorer le fait qu’elle apporte tout le même quelques solutions notamment dans les situations de patent hold up et reverse hold up.

En effet, l’obligation imposée au titulaire du BEN d’indiquer le brevet contrefait « en précisant la façon dont celui-ci a été contrefait » et en proposant « une offre concrète et écrite à des conditions FRAND » permettrait de décourager les patents hold-up.

De plus, la Cour permet au prétendu contrefacteur de poursuivre l’exploitation des inventions brevetées à condition qu’il se comporte loyalement, selon les « usages commerciaux » et sans user de « tactiques dilatoires », c’est à dire en consignant par exemple les redevances, en fournissant une garantie bancaire, ou encore en constituant une sûreté. Cela permet d’éviter les scénarios de reverse hold up puisque si le contrefacteur ne fait pas preuve de loyauté, l’action en contrefaçon intentée par le titulaire du BEN ne pourrait être qualifiée d’abusive et le contrefacteur serait perdant.

b) Les apports du droit étranger suite à l’arrêt Huawei c/ ZTE

Bien que les indications de la Cour de justice aient apporté quelques certitudes aux acteurs du marché, leur application concrète reste sujette à une large interprétation. Des précisions ont été apportées par des juridictions étrangères.

Par exemple, en Allemagne, il a été jugé dans une décision NTT DoCoMo contre HTC qu’une contre-offre de licence FRAND présentée 18 mois après la première offre du breveté était trop tardive et ne pouvait faire obstacle à la demande d’interdiction du breveté. De plus, dans un arrêt Philips c/ Acer, la même juridiction allemande a décidé qu’une sûreté limitée aux redevances dues pour le territoire allemand était insuffisante lorsque les activités de l’utilisateur des brevets essentiels sont plus larges. Il a également été indiqué qu’une offre FRAND intervenue trop tardivement dans la procédure devait être refusée ; et que le breveté avait l’obligation de donner des informations sur le calcul des redevances proposé dans son offre, notamment en fournissant les licences conclues avec des tiers pour les mêmes brevets

Au Royaume-Unis, le juge britannique a émis une critique sur la réponse apportée par la CJUE dans un arrêt Unwired Planet c/ Huawei. En effet,  pour des faits similaires, le juge s’était simplement basé sur les obligations contractuelles qui entourent les engagements FRAND au lieu de s’attarder sur la concurrence déloyale.

Il a ainsi précisé que les engagements pris par le breveté auprès de l’ETSI de concéder une licence FRAND à tous tiers constituent une stipulation pour autrui, à laquelle est soumis le règlement de l’ETSI. Cela signifie que tout tiers peut déjà agir sur le fondement contractuel afin d’obtenir une licence FRAND avant que les actions n’aillent trop loin et que la concurrence déloyale soit choisie.

En Asie, les juridictions chinoises et indiennes, quant à elles, mettent  en œuvre des règles de négociation plus proches de l’arrêt de la CJUE en se basant sur la responsabilité de chaque partie dans l’échec des négociations.

c) Les solutions apportées par la Commission Européenne

 La Commission Européenne a pris en considération l’ensemble des décisions qui ont été rendues concernant ces négociations déloyales des licences FRAND et les différentes solutions qui ont été apportées au niveau national. Elle a ainsi fait une proposition de règlement le 27 avril 2023 au Parlement européen. La proposition a notamment pour objectif d’organiser la négociation et la conclusion des licences FRAND et clarifier le régime juridique applicable en la matière. L’instrument choisi par la Commission européenne n’est pas hasardeux, puisque le règlement, contrairement à une directive, sera directement applicable et permettra de créer une procédure commune de détermination des conditions FRAND.

Ainsi, les titulaires de BEN en vigueur dans un ou plusieurs États membres, représentant au moins 20 % de l’ensemble des BEN d’une norme, peuvent demander la nomination d’un conciliateur (art. 17) ou un avis d’expert sur une redevance globale (art. 18) puisqu’au-delà du fait que l’établissement des redevances soit compliqué, les conditions FRAND sont différentes d’un secteur à l’autre.  

Dans certaines circonstances, le titulaire de BEN et l’utilisateur devront également tenter de convenir d’une redevance selon des conditions FRAND dans une durée maximale de 9 mois, avant de pouvoir entamer une procédure juridictionnelle. Cela encourage les parties à négocier de bonne foi et à trouver un accord entre elles avant d’avoir recours aux tribunaux.

La doctrine a un avis assez mitigé sur ce règlement. K. Bentaïeb regrette notamment  le fait que la proposition de règlement formulée par la Commission européenne n’évoque pas explicitement les sanctions en cas d’abus de position dominante du titulaire du BEN . J. Passa quant à lui, souligne le fait que le texte présente des lacunes en ce qu’il ne précise pas plus les exigences FRAND.

Quoi qu’il en soit, ce 28 février 2024, le Parlement européen a voté en faveur du nouveau règlement. Le texte doit encore être approuvé par les Etats-Membres.

 

Idil SENOL

BIBLIOGRAPHIE :

Sources primaires :  

Textes législatifs en droit de l’UE :

  • COMMUNICATION DE LA COMMISSION, Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux accords de coopération horizontale, 2011/C 11/01 
  • ETSI directives, art. 2 : «Purpose », version 33, mai 2014
  • Lignes directrices concernant l’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie, 2014/C 89/03.
  • Proposition de règlement du Parlement européen et du conseil, relatif aux brevets essentiels à des normes et modifiant le règlement, à Bruxelles, 27/04/2023

Textes législatifs en droit interne : 

  • Article L611-1 du Code de la Propriété Intellectuelle
  • Article 17.2 Charte des droits fondamentaux de l’UE
  • Article 102 TFUE

Arrêts :

  • CJCE, 14 févr. 1978, aff. 27/76, United Brands
  • CJCE 5 octobre 1988. – AB Volvo contre Erik Veng (UK) Ltd
  •  Bundesgerichtshof, BGH; 6 mai 2009 Orange-Book-Standard (Az. KZR 39/06)
  • CJUE, 16 juill. 2015, aff. C-170/13, Huawei Technologies Co. Ltd c/ ZTE Corp. et ZTE Deutschland GmbH ; note Arnaud LATIL
  • Cour de Mannheim, 29 janv. 2016, NTT DoCoMo c/ HTC
  • Cour de Mannheim, 4 mars 2016, Philips c/ Acer
  • Cour de Düsseldorf, 31 mars 2016, St Lawrence c/ Vodafone, 4a O 126/14.
  •  Delhi High Court, 10 juin 2016, Ericsson c. Lava
  • Patents Court, 5 avr. 2017, Unwired Planet c. Huawei, [2017] EWHC 711
  • Cour de Düsseldorf, 13 juill. 2017, 4a O 154/15, Sisvel c/ ZTE
  • C.D. Court of California, 21 déc. 2017, TCL c. Ericsson, SACV 14-341
  • Shenzhen Intermediate People’s Court, 11 janv. 2018, Huawei c/ Samsung; 
  •  CJUE Motorola c/ Commission, 14 septembre 2022

Sources secondaires :

Manuel :

  • J.Azéma et J.-C.Galloux (2017). Droit de la propriété industrielle, 8e éd. Paris : Dalloz, 1316 p.

Articles et revues :

  • A.Latil : Contrefaçon de brevets essentiels à une norme: les conditions de l’abus de position dominante précisées
  • C. Caron, Brevet d’invention : L’efficacité des licences dites « FRAND », Source Lexis 360 Intelligence – Revues – La Semaine Juridique – Édition générale n° 21 du 20 mai 2013 – Propriété intellectuelle
  • C. Caron: 5e Ch., 16 juil 2015, aff. C-170/23 : Brevet d’invention- Un cocktail explosif : abus de position dominante, action en contrefaçon, brevet essentiel à une norme et licence FRAND
  • J. Passa, Brevet – Action en contrefaçon concomitante à la négociation d’une licence FRAND sur un brevet essentiel à une norme : conditions de l’abus de position dominante, Prop. indus. nov. 2015
  • L. Idot, Chronique Droit européen de la concurrence : pratiques anticoncurrentielles – Une stabilisation de la jurisprudence en matière d’abus de position dominante ?
  • M. Cartapanis, « La Commission européenne propose des règles s’appliquant aux brevets sur des technologies essentielles à une norme », D. actu. 5 juin 2023 
  • M. Nussenbaum, B. Feauveaux, « Licences Frand : comment réconcilier les positions irréconciliables des parties ? », Prop. intell. 2020, n° 76, p. 161-166
  • P. Debré, S. Corbineau-Picci, « Brevets essentiels : FRANDez-vous en terre inconnue », Prop. indus. 2018, étude 10

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