Henri Desbois définissait l’oeuvre musicale comme une oeuvre constituée de « la rythmique, la mélodie et l’harmonie »[1].
L’oeuvre musicale s’apparente à une oeuvre d’art composée de sons et de rythmes dans laquelle on peut aussi trouver des paroles. C’est une création protégée par le Code de la propriété intellectuelle en tant qu’oeuvre de l’esprit dès lors qu’elle est mise en forme et qu’elle est originale. L’auteur d’une oeuvre crée. Il dispose de droits patrimoniaux mais aussi de droits moraux sur sa création, notamment le droit au respect de celle-ci.
L’interprétation d’une oeuvre musicale est quant à elle protégée par les droits voisins comme le dispose l’article L.212-1 du Code de la propriété intellectuelle :« A l’exclusion de l’artiste de complément, considéré comme tel par les usages professionnels, l’artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes. ». A la différence de l’auteur de l’oeuvre qui l’a créée, l’artiste interprète met sa personnalité au service de celle-ci. L’article L.212-2 du CPI énumère les droits dus à l’artiste interprète parmi lesquels on retrouve le droit au respect de son nom, de sa qualité, de son interprétation. Ce sont des droits inaliénables, imprescriptibles et personnels.
Il est possible de donner une « seconde vie » à une chanson grâce aux covers de plus en plus fréquentes. La reprise peut être simple, c’est-à-dire qu’elle correspond à une interprétation réalisée par un autre artiste que l’artiste originelmais la reprise reste conforme à l’original[2]. Cela signifie qu’il n’y a pas modification du texte ou de la mélodiecontrairement à l’adaptation qui est une nouvelle interprétation de la chanson. L’adaptation a lieu, la plupart du temps, lorsqu’une chanson est traduite dans d’autres langues. L’exemple le plus connu est celui de la chanson « Comme d’habitude » de Claude Francois devenue « My way » en anglais.
Les reprises de chansons ne portent-elles pas atteinte au droit d’auteur des créateurs originels ?
Pour répondre à cette question, il faut distinguer plusieurs cas de figures. En effet, le régime diffère selon l’exploitation qui est faite de la reprise : elle peut simplement être postée sur un site d’hébergement comme Youtube ou Dailymotion; sur les réseaux sociaux comme Instagram, Twitter ou Facebook, ou alors être commercialisée. De plus, il existe différentes formes de reprises : on peut reprendre une chanson à l’identique, tout comme on peut modifier le rythme de la musique ou ajuster certaines paroles, notamment dans un but parodique.
- La commercialisation des reprises de musique
Nombreux sont les artistes à avoir repris des chansons préexistantes à l’identique, plus ou moins avec succès. Mais comment commercialiser une reprise de musique ?
Un artiste interprète qui souhaite faire une reprise de chansons et la commercialiser à travers un support physique doit payer des droits à la SDRM (société pour l’administration du droit de reproduction mécanique) lors du pressage de la musique. Pour une exploitation digitale, ce paiement n’a pas à être effectué : les plateformes de streaming (Spotify, Apple Music, Deezer…) vont directement reverser les droits de reproduction mécanique à la SACEM. Par contre, si la reprise est distribuée en streaming hors de l’Europe, il faudra payer ces droits de reproduction mécanique à la SACEM.
Dans tous les cas, l’artiste interprète n’a pas à être sollicité par l’artiste de reprise puisqu’il est titulaire de droits voisins : il n’a pas créé la chanson mais l’a seulement interprétée une première fois. L’artiste interprète d’origine n’a que des droits sur l’enregistrement du morceau original mais pas sur la reprise. Il ne va pas non plus percevoir de rémunération en cas de reprise de la chanson. Seul l’auteur-compositeur aura des droits sur la reprise si l’oeuvre n’est pas tombée dans le domaine public évidemment[3].
A titre d’exemple, en 2013, les chanteuses France Gall et Jenifer se sont livrées à une véritable bataille médiatique[4]. Jenifer avait sorti un album intitulé « Ma déclaration », entièrement composé de reprises des plus grands titres de France Gall. Or, France Gall affirmait ne pas avoir donné son autorisation au projet. Universal, producteur de l’album de reprises, se défendait en affirmant : « Nous n’avions pas juridiquement besoin de l’aval de France Gall car nous avons respecté les oeuvres initiales ». France Gall n’est pas auteur des chansons, elle est seulement l’artiste interprète de celles-ci, souvent rédigées par Michel Berger ou Serge Gainsbourg. En tant qu’artiste interprète pouvait-elle s’opposer à cet album de reprises ? Jenifer n’avait aucune obligation légale de solliciter France Gall pour faire une reprise des chansons qu’elle avait interprétées, par contre, l’usage dans l’industrie musicale veut que l’artiste interprète puisse être mis au courant de la reprise. France Gall, en tant qu’artiste interprète ne pouvait donc pas s’opposer aux reprises faites par Jenifer. Il est à noter que France Gall n’a touché aucun centime de l’album « Ma déclaration » de Jenifer puisque seuls les compositeurs des chansons originaires – ou leurs ayants droit – ont pu toucher une rémunération.
- Les reprises de musiques sur Internet
Ces dernières années, le développement des plateformes d’hébergement et des réseaux sociaux a engendré la prolifération des reprises de chansons. Justin Bieber, Kendji Girac, Angèle et tant d’autres se sont faits connaitre en postant sur Youtube ou Instagram des reprises de chansons.
Mais quelles sont les règles à respecter pour ne pas porter atteinte aux droits d’auteur du créateur de l’oeuvre originaire ?
Pour publier une reprise sur Internet, il est nécessaire d’obtenir l’aval de l’auteur-compositeur et des éditeurs de phonogrammes au risque d’être accusé de contrefaçon. Pour cela, il suffit de demander l’autorisation à la SACEM : lorsqu’une chanson fait partie du répertoire de la société de gestion collective, elle peut être interprétée librement par un artiste, en contrepartie, une rémunération doit lui être reversée.
Pour faire une reprise conforme à l’originale et la publier sur Youtube, il n’y a aucune autorisation à demander au créateur originel tout simplement car la célèbre plateforme a passé un accord avec la SACEM : Youtube versera directement à la SACEM les rémunérations qui lui sont dues. Par contre, cet accord ne vaut pas si l’artiste interprète publie sa reprise sur une autre plateforme d’hébergement, Dailymotion par exemple. Néanmoins, l’accord de l’auteur-compositeur de la chanson originale sera obligatoire, même sur Youtube, lorsque la vidéo publiée est une adaptation de l’originale c’est-à-dire qu’il y a une modification des paroles ou de la mélodie.
Malgré cet accord, les reprises publiées sur Youtube restent soumises à un algorithme appelé « Content ID » qui se déclenche automatiquement lorsqu’une vidéo publiée « inclut du contenu protégé par des droits d’auteur »[5]. La vidéo pourra être bloquée ou démonétisée si une personne (souvent les sociétés titulaires de droits d’auteur) revendique une contrefaçon.
Pour éviter toute atteinte aux droits d’auteur, le mieux à faire est de regarder, sur Youtube, l’onglet « Créer » puis « Règles relatives à la musique » qui répertorie la plupart des chansons avec la manière dont elles peuvent être utilisées et dans quel pays[6]. Par exemple, la chanson « The Next Episode » de Dr. Dre, ne peut, ni figurer dans une vidéo, ni être reprise sous peine de voir sa vidéo supprimée. A contrario, la chanson « Careless Whisper » de George Michael peut être reprise dans le monde entier. Ce sont les ayants droit qui fixent ces règles.
Sur les réseaux sociaux, rien ne semble s’opposer au fait de poster des reprises sans l’accord des auteurs initiaux. Cependant, pour certains, l’article 13 de la directive européenne sur le droit d’auteur engendrerait une disparition de cette pratique. Le 4 septembre 2018 un internaute avait tenté de publier sur Facebook une reprise de Bach au piano. Facebook, à travers un algorithme, n’avait pas autorisé la diffusion de cette vidéo qui serait contraire au droit d’auteur de Jean-Sébastien Bach pourtant décédé il y a 268 ans[7].
Pour les opposants à l’article 13 de la directive européenne, le problème est que la systématisation de cet algorithme filtrant empêchera la diffusion de certaines oeuvres, dont les reprises de musiques, parfois tombées dans le domaine public. Malgré certaines erreurs qui pourront survenir à travers le filtrage obligataire, l’article 13 reste une véritable aubaine pour les artistes qui seront, enfin, rémunérés à leur juste valeur sur Internet.
- La question de l’adaptation d’une chanson dans un but parodique
L’exception de parodie figure à l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle : « Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…) 4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ». La parodie doit tout de même respecter certaines règles : il ne doit pas y avoir de risque de confusion avec l’oeuvre parodiée et la parodie doit avoir pour but de faire rire. Toutes les oeuvres peuvent être parodiées que ce soit les bandes dessinées, les tableaux, les livres ou encore les musiques.
Dans le cas des musiques, on ne parle plus de reprise mais d’adaptation étant donné qu’il y a une modification, la plupart du temps, des paroles. Dans un jugement en date du 9 janvier 1970, le tribunal de grande instance de Paris a admis qu’en matière musicale, la parodie existe seulement si l’auteur voulait obtenir un effet caricatural, étranger à l’oeuvre d’origine, sans risque de confusion. Si la chanson parodiante respecte ces règles, l’auteur de la parodie n’aura pas à demander l’accord de l’auteur de l’oeuvre originale grâce à cette exception alors qu’elle est nécessairement demandée lors de l’adaptation d’une musique, sans but parodique.
On peut contester le caractère de cette exception : certes, elle a été créée dans un objectif de liberté mais la parodie peut parfois porter atteinte aux droits des auteurs de l’oeuvre parodiée de manière considérable. Notamment car le droit de paternité n’a pas à être mentionné; tout comme l’oeuvre parodiante peut porter atteinte à l’intégrité de l’oeuvre parodiée. Il faut qu’il y ait un juste équilibre entre la liberté de l’adaptateur et le respect de l’auteur de l’oeuvre originaire.
Par exemple, Dieudonné avait adapté la chanson « Shoahnanas» sur une musique d’Annie Cordy[8]. La Cour de justice de l’Union Européenne n’a pas reconnu le caractère parodique de cette adaptation du fait des propos « clairement antisémites et négationnistes qui sont exclusifs de toute intention humoristique », la Cour a d’ailleurs tenu à rappeler «l’importance du principe de non-discrimination fondée sur la race, la couleur et les origines ethniques ». Le tribunal de grande instance de Paris, le 15 juin 2017 a, en plus, admis qu’il y avait un délit d’injure publique envers un groupe de personnes par rapport à leur appartenance religieuse, l’exception de parodie ne pouvait donc être admise du fait du manque d’objectif humoristique. Au-delà du caractère discriminatoire de la chanson parodique, cette adaptation porte réellement atteinte à l’oeuvre originale, la chanson d’Annie Cordy. Aurait-elle accepté, si son accord avait été obligatoire, que l’une de ses chansons soit adaptée avec un caractère antisémite ?
Dans d’autres affaires, les juges ont admis la parodie malgré quelques controverses comme lorsque la Cour de cassation a reconnu, le 12 janvier 1988, l’exception de parodie à Thierry Leluron pour avoir adapté la chanson « Douce France » de Charles Trenet, devenue « Douces transes ». Certains auteurs avaient critiqué cette position voyant dans l’adaptation de Thierry Leluron une moquerie envers l’homosexualité de Charles Trenet.
Toutes ces situations possibles engendrent de nombreuses incertitudes sur les droits et les obligations conférées à l’artiste de reprise.
Clara Bedhome
[1]« Besoin de rien, envie de droit : à qui appartient la musique », Binge Audio
[2]https://www.hedayatmusic.com/blog/a-t-on-le-droit-de-faire-des-covers
[3]https://www.legavox.fr/blog/maitre-vanessa-fitoussi/reprise-chanson-originale-paye-quoi-12192.htm
[4]http://leplus.nouvelobs.com/contribution/884858-france-gall-vs-jenifer-en-tant-qu-interprete-elle-n-a-aucun-droit-sur-ses-chansons.html
[5]https://support.google.com/youtube/answer/6013276?hl=fr
[6]https://www.youtube.com/music_policies?ar=2
[7]http://fr.newsmonkey.be/article/25899
[8]Cour de « Droit de la propriété littéraire et artistique », M. Xavier DAVERAT