Future, Kanye West, Daft Punk, Burna Boy ou encore the Weekend, tous ces noms d’artistes vous parlent forcément. Ils ont tous un point commun, ils ont déjà « samplé » des musiques pour créer un nouveau morceau. En effet, aujourd’hui, de nombreux artistes que nous connaissons tous créent leurs musiques en utilisant des morceaux déjà connus. Ainsi, ils utilisent des « samples » ou « échantillons musicaux », en français.
Mais qu’est-ce que le sampling précisément ? Dans l’arrêt Pelham GmbH et al. c/ Hütter de 2019, la Cour de justice de l’Union Européenne a défini l’échantillonnage comme : « une technique qui consiste, pour un utilisateur, à prélever, le plus souvent à l’aide d’équipements électroniques, un échantillon d’un phonogramme, et à l’utiliser aux fins de la création d’une nouvelle œuvre. Cela constitue une forme d’expression artistique qui relève de la liberté des arts, protégée par l’article 13 de la Charte. » C’est donc le fait de se servir d’un extrait d’une œuvre préexistante pour l’incorporer dans une nouvelle œuvre.
Il est essentiel de rappeler qu’en France, tout créateur dispose d’un droit de reproduction sur son œuvre, qui consiste en un droit exclusif de l’auteur d’autoriser ou d’interdire la fixation matérielle de son œuvre sur un support dans le but de la communiquer au public de manière indirecte. Les contrefaçons (reproduction intégrale ou partielle définitive ou temporaire d’une œuvre, sans autorisation) sont punies de trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
La technique du sampling a émergé dans la fin des années 1970. Cette émergence est la conséquence directe d’un changement révolutionnaire qu’a connu l’industrie musicale dans les supports d’enregistrement sonore. En effet, la bande magnétique a été remplacée par le disque compact. Peu de temps après, avec la démocratisation d’internet et l’apparition des premiers graveurs de CD et donc des premiers téléchargements, la manière de créer de la musique s’est radicalement transformée. Aujourd’hui, l’échantillonnage est une technique reconnue, utilisée fréquemment et qui a redéfini la création musicale en offrant aux artistes un large éventail de possibilités pour expérimenter et innover.
Pourtant, dès le départ, cette technique n’a pas fait l’unanimité et notamment concernant les questions juridiques qu’elle faisait émerger. En effet, le premier groupe devenu populaire en ayant utilisé l’échantillonnage est le groupe américain de hip-hop Sugar Hill Gang. Dans son titre « Rapper’s Delight », le groupe a repris des extraits du morceau « Good Times » de Chic sans créditer les auteurs. Avec le temps, l’échantillonnage a pris de l’ampleur dans tous les genres musicaux et est finalement devenu populaire auprès du grand public.
Face à ce succès, il semblait essentiel de répondre aux différentes questions juridiques qui étaient apparues et d’encadrer cette pratique nouvelle du sampling. En effet, il arrive souvent que des musiques soient « échantillonnées » sans qu’aucune autorisation n’ait été demandée à l’artiste de l’œuvre initiale. Par exemple, en 2000, Eminem avait sorti son titre « Kill you » produit par Dr Dre et ce titre était basé sur un sample du morceau « Pulsion » du pianiste français Jacques Loussier. Cependant aucune autorisation n’avait été accordée par le pianiste qui avait alors engagé des poursuites judiciaires. L’affaire s’était finalement soldée par un arrangement à l’amiable (comme bien souvent dans ce genre de cas).
Ainsi, même les plus grands artistes utilisent l’échantillonnage pour créer. Le tableau se complexifie puisqu’aux questions juridiques s’ajoutent des questions culturelles mais surtout économiques. Comment concilier les droits des auteurs sur leurs œuvres et la nécessité de garantir la liberté de création concernant les productions musicales ?
C’est la question autour de laquelle a évolué le droit français en la matière. Ainsi, il est intéressant d’observer de quelle manière le droit met en balance, aujourd’hui, le respect des droits d’auteur lors de l’utilisation d’un échantillon d’une musique protégée et la nécessité de garantir la liberté de la création.
- Le sample, une technique peu acceptée à l’origine
Le droit d’auteur protège les œuvres musicales. Ainsi, avant toute utilisation d’une œuvre à quelque fin que ce soit, il est essentiel de demander l’autorisation à l’auteur et aux ayants-droit (aussi bien à l’artiste-interprète du titre, qu’au producteur ou à l’éditeur si l’auteur lui a cédé une partie de ses droits patrimoniaux). L’autorisation est toujours donnée en échange d’une contrepartie financière. Peu importe le but de l’utilisation de l’œuvre, qu’elle soit politique, commerciale, intéressée ou non, il est nécessaire de payer en amont. Dès lors, si aucune autorisation n’a été accordée (même après demande) ou si la personne n’est pas en capacité de fournir la contrepartie demandée, elle ne peut pas utiliser l’œuvre protégée. La seule possibilité d’utiliser une œuvre légalement, sans être redevable d’une contrepartie, est lorsque l’œuvre est tombée dans le domaine public et que, de ce fait, ni l’auteur ni les ayants-droit ne peuvent faire de réclamation. De même, tout le monde a le droit d’utiliser des œuvres sous licence Creative Commons.
Faire accepter l’échantillonnage comme une technique de création à part entière et non comme du vol a été un grand défi. L’affaire Marc Cerrone c/ Alain Pilniak présentée devant la cour d’appel de Paris en 2004 illustre bien le problème. En effet, les juges ont considéré que « la technique du sample constituait une altération de l’œuvre première, et qu’elle ne pouvait être pratiquée sans l’autorisation de l’auteur de l’œuvre initiale sous peine d’être qualifiée de contrefaçon dès lors que les exceptions légales prévues ne pouvaient pas s’appliquer. »
Certains ont tenté de justifier l’échantillonnage par l’exception de courte citation, permettant de citer une œuvre sans devoir payer des droits d’auteur. Mais dans l’affaire SPPF, UPPFI c./ SA Chérie FM, SA NRJ de 2002, le TGI de Paris a écarté cette possibilité. En effet, une citation qui entrerait dans l’exception de citation se doit d’être brève, de mentionner la source et l’auteur et d’avoir pour but d’édifier le public (d’un point de vue scientifique, critique, polémique ou encore pédagogique). Or les deux derniers critères sont très rarement remplis en matière musicale selon la jurisprudence.
Les droits moraux des auteurs constituent un autre point de blocage. En effet, en vertu du droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, il n’est pas permis de dénaturer l’œuvre première, même pour en créer une nouvelle. De ce fait, il est interdit de reprendre l’œuvre première pour la modifier.
Malgré ces interdictions bien connues, tous les artistes ne respectent pas les règles. Par exemple, Damso n’a pas « clearé » son échantillon du piano de “I Heard A Sigh” du groupe Cortex, sur son titre “Amnésie” (c’est-à-dire qu’il n’a pas demandé l’autorisation avant de l’utiliser). Il est probable que les ayants droit aient intenté une action puisque le titre du rappeur a disparu de toutes les plateformes d’écoute en 2017.
D’autres auteurs ont cependant su être plus ingénieux. Plutôt que de respecter les contraintes imposées par le droit d’auteur, les artistes utilisant des samples ont cherché à modifier au maximum les extraits repris d’autres titres originaux. Dès lors que les extraits ne sont plus reconnaissables, ils deviennent originaux et les artistes ne peuvent plus être sanctionnés pour contrefaçon.
- La question actuelle de la protection du sampling
Une des premières affaires qu’a connue la France en matière de sampling concernait la reprise d’un titre du musicien Maceo Parker par les humoristes « Les Inconnus » pour réaliser une parodie musicale en 1993. Les juges avaient condamné ces derniers car l’échantillon sonore prélevé était reconnaissable dans le nouveau phonogramme. Mais des artistes ont repoussé les limites du sampling en créant des compositions uniques qui intègrent subtilement différents échantillons sonores pour produire des sonorités originales. Le sampling s’est alors transformé en un art complexe et respecté, entraînant également une évolution juridique.
L’arrêt du 15 mai 2015, rendu par la Cour de cassation a divisé la doctrine. L’affaire porte sur l’incorporation d’une photographie dans une peinture par un artiste-peintre. Le photographe a poursuivi le peintre pour atteinte aux droits d’auteur en faisant valoir qu’il y avait eu contrefaçon de sa photographie. Cependant, c’est au regard de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme dont le peintre se prévalait que la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de la liberté de création, partie intégrante de la liberté d’expression.
Bien que cette affaire porte sur des arts plastiques, sa solution est facilement transposable en matière musicale. En effet, cette mise en balance des intérêts inhérents au droit d’auteur et à la liberté de création est pertinente pour l’échantillonnage. Cet arrêt permet d’affirmer qu’en vertu de la liberté de création, une œuvre composite peut se servir d’une œuvre première. Dès lors, un morceau utilisant un sample pourrait être considéré comme une œuvre composite et bénéficier d’une protection similaire.
Le 29 juillet 2019, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu une décision importante en matière de sampling. Elle rappelle que « la reproduction par un utilisateur d’un échantillon sonore, même très bref, d’un phonogramme doit, en principe, être considérée comme une reproduction partielle de ce phonogramme ». Cependant elle précise que « dans l’exercice de la liberté des arts », si l’échantillon est utilisé sous forme modifiée et non reconnaissable à l’écoute dans une nouvelle œuvre, il n’y a pas de reproduction. Selon elle, il convient de mettre en balance le droit de la propriété intellectuelle avec les autres droits fondamentaux, et notamment avec la liberté de l’art, consacrée par l’article 13 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne. Ainsi, l’utilisation d’un échantillon suffisamment modifié pour ne pas être reconnaissable ne nécessite pas l’autorisation des ayants-droit.
Dans un arrêt du 8 février 2023, la Cour de cassation va plus loin que la CJUE. En l’espèce, les auteurs-compositeurs de l’œuvre « The Bridge is Broken » accusent les auteurs de l’œuvre « Goodbye » d’avoir fait une reprise à l’identique d’un extrait de leur œuvre. La Cour de cassation n’a pas retenu la contrefaçon, estimant que l’élément repris ne participait pas à l’originalité de l’œuvre. En effet, elle a repris les conclusions de la cour d’appel de Paris qui avait déclaré que l’extrait repris de l’œuvre n’était pas « un élément déterminant permettant de caractériser la personnalité de l’auteur et qu’il ne participait pas de l’originalité de l’œuvre première prise en son ensemble ». Ainsi, une certaine marge d’appréciation est laissée aux juges pour garantir la juste balance des intérêts en présence. Ils regardent désormais si l’extrait utilisé participe ou non à rendre l’œuvre première originale.
En outre, la Cour de cassation prend également en considération le fait que les auteurs de « Goodbye » avaient procédé eux-mêmes à leur propre enregistrement de l’extrait repris. Dès lors, ni les artistes interprètes ni les producteurs du phonogramme ne pouvait faire jouer une action au titre des droits voisins. En effet, ces derniers peuvent normalement interdire la reproduction de la séquence sonore qu’ils ont respectivement interprétée et fixée, dans le cas où cette reproduction interviendrait sans leur autorisation, peu importe le caractère original ou non de l’extrait. Cependant en l’espèce, ils auraient dû ramener la preuve que l’extrait du phonogramme de « The Bridge is broken » était exactement le même que celui utilisé dans « Goodbye ». Les demandeurs ont tenté de démontrer que c’était bien le cas notamment par le fait que les extraits comprenaient les mêmes subtilités (telles que des notes étouffées ou une fausse note sur un accord principal), mais cela n’a pas convaincu la cour d’appel. La Cour de cassation jugeant en droit et non en fait, elle n’est pas revenue sur l’appréciation souveraine des juges de la cour d’appel sur ce point.
Pour conclure, on constate que le droit au sample est actuellement en évolution et que les juges nationaux sont de plus en plus favorables à protéger l’utilisation d’échantillons dans des compositions afin de garantir une certaine liberté de création. Le droit en la matière évolue d’un droit à l’utilisation d’un échantillon d’un phonogramme modifié et non reconnaissable, vers un droit à l’utilisation d’un échantillon ne participant pas à rendre l’œuvre originale. Il est de toute façon nécessaire d’encadrer au mieux cette technique qui aujourd’hui occupe une réelle place dans le processus de création de nombreux artistes. Plusieurs auteurs parlent aujourd’hui de la possible consécration d’un droit au sample même si pour le moment, le terme de « sample » en lui-même n’est inscrit dans aucun texte législatif.
Actuellement, la pratique du sampling connaît une véritable extension et autant les auteurs des morceaux samplés que ceux utilisant cette technique du sampling semblent trouver leur compte. Par exemple, l’instrumentale du titre « Au DD » de PNL reprend exactement la création d’un musicien australien. Mais cette création a pour particularité d’être libre de droits. En effet, l’auteur-compositeur-interprète a expliqué qu’il vendait des musiques libres de droits via un logiciel de loops. Ainsi, un extrait de son titre « Amber In Blood » est présent sur le logiciel et peut être réutilisé par n’importe quel utilisateur de la plateforme payante qui voudrait créer un morceau. En général, les beatmakers utilisent ces logiciels pour créer des morceaux instrumentaux. La pratique du sampling semble donc elle-même évoluer, laissant place à la création et à la réinterprétation à de faibles coûts pour les nouveaux créateurs, et à différentes possibilités de rémunération pour les auteurs via une vente de leurs compositions aux plateformes.
Jeanne BUCLEZ
Sources :
https://www.inpi.fr/valoriser-vos-actifs/faire-face-la-contrefacon/quest-ce-quune-contrefacon
CPI, art. L. 335-3.
CORDé Thomas, « L’usage et l’encadrement du sampling », Légipresse, 2023/HS1 (N° 68), p. 23-30. DOI : 10.3917/legip.hs68.0023.
https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-legipresse-2023-HS1-page-23.htm
https://hiphophero.com/story-behind-the-sample-the-sugar-hill-gang-begin-it-all-with-chic/
https://jack.canalplus.com/articles/lire/une-breve-histoire-des-proces-lies-aux-samples
Paris, 4e ch. – sect. B, 22 oct. 2004, Marc Cerrone c/ Alain Pilniak et al. par CORDé Thomas, « L’usage et l’encadrement du sampling », Légipresse, 2023/HS1 (N° 68), p. 23-30. DOI : 10.3917/legip.hs68.0023.
https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-legipresse-2023-HS1-page-23.htm
https://www.murielle-cahen.com/publications/sample.asp
Civ. 1re, 15 mai 2015, FS-P+B, n° 13-27.391
CJUE, 29 juillet 2019, aff. C-476/17, §29
CJUE, 29 juillet 2019, aff. C-476/17, §34
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 8 février 2023, 21-24.980, Inédit
https://www.lesinrocks.com/musique/lhistoire-du-sample-derriere-le-au-dd-de-pnl-152543-10-05-2019/