L’IA et le bouleversement du marché de l’emploi : entre opportunité et inquiétude

« Vous savez ce qu’on dit des lois ? Elles sont faites pour qu’on y désobéisse », voici la réplique d’un robot du film américain « I, robot » d’Alex Proyas sorti en 2004. Cette phrase reflète l’image plutôt négative que l’Occident a du robot et surtout de la crainte que cette machine inspire chez certains.

Pourtant, l’Intelligence Artificielle (IA) matérialisée sous forme de robot, androïdes, chatbot ou autre technologie, s’insère de plus en plus dans la société et notamment dans le monde du travail.

Pour rappel, le scientifique Marvin Lee Minsky en 1956 avait proposé une définition de l’IA, une technologie qu’il décrit comme une « construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique ». Il a ainsi résumé la conception que la majorité des individus ont de l’IA, c’est-à-dire un outil prolongeant la main de l’Homme. Pourtant, cette définition est aujourd’hui désuète et il existe des services de robotique poussés dans plusieurs domaines : industriel comme l’automobile, domestique, médical ou encore militaire avec les drones.

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L’IA a accompli des progrès considérables grâce à la collecte massive de données (big data). Ces données permettent à la machine d’optimiser son procédé de fabrication, à augmenter ces capacités de calcul et aux progrès algorithmiques en général. Mais ces avancées n’effacent pas le sentiment de crainte de la population qui se pose aujourd’hui de nouvelles questions, dont celle d’un possible remplacement de l’Homme par l’IA.

 

La robotique source de perte d’emplois

 

Un constat indéniable est que les conditions de travail et la qualité de vie sont améliorées par l’IA. Le machine learning (apprentissage automatique à partir de données) et le deep learning (apprentissage approfondi) permettent d’améliorer les prévisions économiques et techniques, et ainsi d’accroître les gains de compétitivité et de productivité. Le tout est de pouvoir concilier ce renouvellement technologique avec la réduction des pénibilités et des progrès en matière de qualité de vie au travail, sans mettre à mal le marché de l’emploi.

En 2018, une étude menée par le cabinet McKinsey (1) a montré qu’en 2055, le monde du travail sera entièrement remodelé. En effet, l’automatisation des processus de travail pourrait avoir des conséquences sur 60 % des emplois dans le monde. Le Forum économique mondial a d’ailleurs corroboré cette idée en estimant que 75 millions d’emplois serait modifiés par la technologie. Il est prévu que l’un des secteurs qui seront le plus vite concernés par l’IA est celui de l’hôtellerie, avec 72 % des emplois qui pourront être automatisés. Le groupe Accor en a d’ailleurs fait l’expérience fin 2016 grâce à un assistant virtuel, pour réserver et payer en ligne sans passer par un centre d’appels. Aussi un agent conversationnel permet de faire la conversation et raconte des anecdotes pour amuser et donc fidéliser la clientèle. Cette machine a ainsi obtenu de meilleurs résultats que le meilleur revenue manager.

Par appréhension d’une disparition de certains métiers, des travaux proposent de mettre en place des mécanismes pour décourager la robotisation, dont la taxe-robot pour compenser les suppressions d’emploi et financer des projets de formation, de réinsertion professionnelle ou des dépenses de sécurité sociale (2).

Or, comme l’a judicieusement précisé l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2019, il s’agit bien de modification et seul 14 % auront disparus dans vingt ans. Il faut en réalité parler de « mutation » de l’emploi et non de « disparition » (3).

http://www.economiematin.fr/news-robots-volent-travail-hommes

Aussi, les craintes qu’en à l’introduction de l’IA dans le monde du travail doivent être mesurées car c’est une entité qui est limitée. Elle dépend encore d’un contrôle humain minimal et n’est pas à 100 % autonome. Un robot n’éprouve pas d’émotion, ni d’empathie. Ce sont des spécificités et caractéristiques qui font la singularité de l’Homme. Autrement dit, l’Homme et l’IA sont complémentaires dans le monde du travail moderne.

Par exemple dans le domaine du transport et particulièrement de l’assistance à la conduite, l’IA accomplit l’ensemble des tâches mais le conducteur peut encore intervenir au besoin. L’IA a pour tâche d’optimiser la vitesse de circulation du véhicule, ce qui permet des économies d’énergie. Elle permet également un accroissement des cadences sur les voies ferrées favorable en matière de transport d’un grand nombre de voyageurs. Mais l’humain doit garder sa vigilance et le contrôle de la machine en cas de risques.

 

L’IA, un renouveau du marché du travail

 

La suppression des tâches en raison de leur automatisation ne signifiera pas forcément une suppression de l’emploi. Ces emplois seraient transformés, une situation qui soulève d’autres questions notamment en matière de compétences requises, de diplômes adaptés et surtout de formations adéquates.

Le travailleur dont l’emploi a été modifié devra avoir les qualifications requises pour conserver sa place, mais aussi pourrait être amené à effectuer de nouvelles tâches induites par ces technologies. Comment le droit du travail va-t-il s’adapter à ces nouveaux enjeux ?

 Il conviendra surtout de déterminer si l’évolution des tâches du salarié doit conduire à une modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail.

Quoi qu’il en soit, 85 % des emplois de 2030 n’existent pas encore aujourd’hui (4). L’IA comme beaucoup d’autres innovations technologiques, nécessite un traitement de gros volumes de données. De cette façon le métier de data scientist est en voie de développement et fait partie des exemples d’emplois créés grâce à cette évolution. Il est possible de citer une autre nouvelle profession comme celle de responsable de la sécurité informatique qui voit son importance croitre au regard du caractère sensible des données.

Amazon qui a rapidement saisit l’enjeu de la refonte des emplois a annoncé une dépense de 700 millions de dollars pour recycler un tiers de ses salariés américains (5).

Une étude publiée en 2017 estimait que l’IA pourrait créer 21 millions d’emplois (6). Toutefois, les nouveaux métiers engendrés ne seront pas tous des métiers hautement qualifiés. Les disparités professionnelles et l’échelle sociale ne seront pas dissoutes par ce bouleversement technique. Ainsi, des personnes devront s’atteler à la récolte et aux ajustements de données, à l’entretien ou encore à la maintenance des machines.

 

Le robot nouveau collaborateur de l’humain

Mais encore une fois l’humain en tant que travailleur, a son rôle à jouer et ne peut être complètement remplacé, particulièrement pour ses capacités créatives et émotionnelles.

Aujourd’hui, la compétence phare de l’IA est la data science, mais pour qu’un projet soit abouti il faut également faire appel à la programmation informatique, le design, l’administration de bases de données, etc.

Ainsi il s’agit davantage de compétences collaboratives entre humain et robot, d’interaction avec l’IA. « En effet, au lieu de se concentrer soit sur la vision très secondaire de l’IA en tant qu’outils, soit à l’opposé de la considérer comme un générateur autonome, il faut reconnaître que la véritable faculté à exploiter vient du partenariat entre deux systèmes distincts (humain et machine) avec chacun ses spécificités » (7). L’homme en tant qu’inventeur, technicien, producteur ou encore fournisseur doit de plus accompagner ce changement pour une meilleure adaptabilité et acceptation du robot en société. Les managers doivent gérer cette relation homme-machine et veiller au partage équitable des gains de productivité.

 

https://alain.le-diberder.com/la-prehistoire-des-robots-ou-les-robots-reves-davant-les-vrais-robots/

De plus, il est encore difficile d’admettre que l’IA n’ait pas besoin de l’humain pour fonctionner et créer. Il ne faut pas négliger l’étape préparatoire d’une tâche automatisée, qui comprend plusieurs actes généralement à la charge d’une personne physique. Le robot, bien qu’il n’ait pas besoin d’instructions est encore dépendant de l’Homme pour lui fournir une base de connaissances et de compétences.

Il ne s’agit encore une fois que de gagner en rapidité pour certaines actions complexes (comme des calculs), ou de diminuer la pénibilité du travail (comme avec le transport de charge lourdes ou la réalisation de gestes répétitifs). Deliveroo a par conséquent, fait le choix depuis janvier 2017 d’utiliser un algorithme de machine learning du nom de Frank qui lui permet de fluidifier son système logistique. La durée de livraison a de cette manière baissée de 20 % en France.

Finalement, si l’IA peut réduire la pénibilité physique, sur le plan des pénibilités psychiques, il semble qu’elle accroît les exigences attentionnelles et émotionnelles dans beaucoup de métiers. Le Conseil d’orientation pour l’emploi a souligné ces effets « ambivalents voire opposés » (Les impacts sur le volume, la structure et la localisation de l’emploi, préc.). Il y a donc un risque de surcharge cognitive à cause de la vigilance permanente sur la machine, facteur de stress.

Emma MIQUEL

 

Sources :

  • McKinsey Global Institute, Harnessing automation for a future that works, rapport, janv. 2017.
  • DELPHINE GARDES, « Le droit à l’emploi face à l’intelligence artificielle », Dalloz Droit social 2021 p.115.
  • SOPHIE FANTONI-QUINTON, « L’intelligence artificielle, porteuse de risque ou promesse d’amélioration pour la pénibilité et la qualité de vie au travail ? », Dalloz Droit social 2021 p.128.
  • Dell Technologies et l’Institut pour le futur (ITFT), Emerging technologies’impacton society & work in 2030, rapport, sept. 2017.
  • BEN CASSELMAN and ADAM SATARIANO « Amazon’s Latest Experiment: Retraining Its Work Force », The New York Times, July, 11, 2019.

 

  • EMMA MIQUEL, « Le robot ‘’créateur’’ et le droit d’auteur », Mémoire Avril 2021, Université Paris-Saclay.

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