L’IA : la nouvelle muse de l’artiste

Qu’est-ce que l’Art ? Voilà un débat qui ne cesse de passionner et déchirer ceux qui tentent d’y répondre depuis plusieurs siècles. Et cette question n’en est que plus brûlante dans un monde numérisé où le statut de l’artiste ne fait qu’évoluer ainsi que les médiums d’expressions. Face à ces bouleversements, à qui attribuer la titularité des droits d’auteur ?

Désormais, l’intelligence artificielle est utilisée dans le processus de création et un nouveau courant artistique voit le jour.  En témoigne le collectif « Obvious », composé d’artistes ayant pour but de créer des œuvres d’art avec des algorithmes d’intelligence artificielle. L’usage des algorithmes vient bouleverser la conception classique de ce qu’est l’Art car il n’est plus nécessaire d’avoir des connaissances en dessin, peinture ou en sculpture. Tout le monde peut être artiste s’il dispose d’un système informatique assez puissant. Il devient difficile de différencier une œuvre imaginée par l’homme d’une œuvre conçue par une IA. Comment la distinguer lorsqu’une machine apprend à imiter le peintre ? Lors de l’expérience The Next Rembrandt menée par Microsoft, une machine a été entrainée à peindre comme Rembrandt jusqu’à l’épaisseur du coup de pinceau du maître. L’œil le plus aiguisé n’a pas pu faire la différence. Mais alors, si la création artistique et le sensible est à portée des programmes informatiques, la frontière entre l’homme et la machine ne devient-elle pas floue ? Car si une intelligence artificielle peut produire, créer et imaginer une œuvre et susciter chez celui qui la regarde une telle émotion, alors qu’est-ce qui distingue la machine de l’homme ? L’Art n’est-il pas ce qui distingue l’Homme des autres espèces ? N’est-ce pas le propre de l’homme de créer ?

https://news.microsoft.com/europe/features/next-rembrandt/

Quoi qu’il en soit, la création artistique n’est plus le propre de l’homme. Mais alors comment créer avec des algorithmes d’IA ? Les nouveaux algorithmes sont écrits pour analyser et apprendre un esthétisme spécifique à partir de milliers d’images. Pour reprendre l’exemple du collectif, « Obvious » produit des oeuvres à partir de l’algorithme GAN (Generative Adversarial Network), conçu par Ian Goodfellow en 2014. Cet  algorithme est composé de deux parties, à savoir une partie qui va générer des images, et plus exactement des œuvres d’art, après avoir traité des milliers d’images. Et une autre partie – le « discriminant » – qui est un réseau évaluant les images créés par le premier et qui doit pouvoir distinguer les vraies et les fausses images. L’idée ici, est que le générateur va produire des œuvres ayant une telle parenté avec les œuvres produites par l’homme que le réseau discriminant sera trompé et ne parviendra pas à faire la différence entre les œuvres produites par la main de l’homme et celles produites par l’IA.

La création artistique avec des algorithmes d’IA suit cinq étapes. Dans un premier temps, il convient de déterminer quel sujet traiter, en trouvant des thèmes spécifiques comme les estampes ou le portrait. Une fois le sujet déterminé, il faut trouver une base de données contenant un grand nombre d’images. Il est alors intéressant d’avoir des bases de données exclusives, et non plus des banques d’images gratuites, afin de produire quelque chose d’original et d’unique qui n’est pas accessible à tous. A partir de cette base de données, il faut déterminer quels algorithmes utiliser, ces algorithmes générant différents visuels. Parmi les visuels produits, l’artiste doit se prêter à un travail de curation des images afin de pouvoir délivrer un message précis. L’artiste ne se contente pas que récupérer les images proposées mais vient déterminer les plus pertinentes afin de créer un ensemble cohérent. Après cette sélection attentive, l’artiste doit choisir comment présenter les œuvres. Il lui est alors possible d’opter pour des présentations digitales ou de produire des œuvres physiques qui sont au plus près des œuvres dans lesquels les algorithmes ont puisés. Dès lors, l’artiste joue un rôle actif et n’est pas « esclave » de la machine. Il sélectionne les bases de données, les œuvres finales et peut même modifier l’algorithme selon sa volonté.

Mais alors peut-on dire que l’IA permet à tous d’être artiste, de créer ? Cela soulève une vraie question. Car ne sommes nous pas déjà artistes avec nos appareils photos ? N’est-il pas aujourd’hui offert à tous la possibilité de capturer un instant, avec un point de vue purement personnel, avec un choix en terme de cadrage, de lumière ? La réponse, me semble-t-il, est non. Car le meilleur technicien photo n’est pas le meilleur photographe. Au fond, tout le monde peut être artiste, il suffit d’être créatif et de trouver son moyen d’expression, d’avoir la démarche. Mais peu sont ceux qui font cette démarche. L’IA ouvre la porte pour devenir artiste à une nouvelle population qui s’intéresse à la technologie.

Il est facile de critiquer une telle approche de l’Art. Y’a-t-il véritablement un travail artistique ? De tels artistes ne viennent-ils par remplacer l’art et l’artiste communément entendu ? En réalité, non. Le terme « remplacer » est inadéquat. Car n’est-ce pas la vocation des artistes de venir bousculer des postulats, des règles, des conventions ? Souvenons-nous des critiques au début de la photographie en 1850. A ce titre, Eugène Delacroix, lors de l’apparition de la photographie, affirmait que « l’artiste risque de devenir une machine attelée à une autre machine ». Ainsi, les mêmes craintes existaient et continueront d’exister. Comment l’Art et l’artiste pouvaient-il survivre face à un appareil pouvant capturer l’instant en quelques secondes alors qu’un peintre devait prendre plusieurs heures, jours, semaines voire plusieurs mois pour capturer l’instant.

La preuve en est, aujourd’hui la photographie n’a pas fait disparaître l’Art. Bien au contraire, elle est venue en étendre le champ, pour devenir un art à part entière. Et c’est ce que fait aujourd’hui l’intelligence artificielle. Il faut la voir comme outil de création parmi d’autres qui ne vient pas remplacer l’art « classique » mais qui vient l’enrichir. Ces nouveaux artistes expérimentent et trouvent de nouvelles façons de créer des œuvres d’art.

L’IA ne met pas à mal l’Art, et vient étendre le champ des possibles, les moyens d’expressions.  L’IA est aujourd’hui la nouvelle muse de l’artiste.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c1/Edmond_de_Belamy.png

Sur une note plus personnelle, il y a un long chemin avant que la machine ne remplace l’artiste. Car lorsqu’il s’agit de créer, la machine puise dans le patrimoine artistique – tout comme l’homme me dira-t-on –  mais, la machine ne peut s’affranchir, ne peut prendre du recul et s’inspirer du sensible comme le ferait l’homme. Les œuvres créées à partir d’un IA, lorsqu’il s’agit de produire quelque chose d’inédit, ne sont en rien comparables aux chefs d’œuvres de l’homme. À ce titre, le portrait Edmond de Belamy du collectif Obvious, vendue à près d’un demi millions de dollars par la maison de vente Christie’s a beaucoup été comparé aux œuvres du peintre Francis Bacon, la parenté se trouvant dans des visages comme effacés. Il me semble bien hasardeux de comparer deux œuvres dont la qualité de l’une ne serait se mesurer à la force et la puissance émotionnelle de l’autre. Dès lors, ceux qui crient à la mort de l’Art n’ont pas de quoi s’inquiéter, l’IA est à voir comme un nouveau médium et ne vient en aucun cas détrôner l’artiste.

Etude pour un autoportrait (Triptyque), 1985-86, huile sur toile – Via @francis_bacon_daily

Enfin, peut se poser la question des droits d’auteur. Qui les détient ? Serait-ce la machine ? L’œuvre d’une IA peut-elle être qualifiée d’œuvre de l’esprit ? L’IA peut-elle être considérée comme créateur ?

L’IA, on l’a vu, est un outil, un moyen d’expression. L’utilisation d’une technologie ne fait en aucun cas obstacle à l’application du droit d’auteur. Le problème réside ici dans l’autonomie de l’IA lors de la création artistique. Rappelons que pour bénéficier d’une protection au titre des droits d’auteur, le Code de la propriété intellectuelle dispose qu’une œuvre doit être une « œuvre de l’esprit » portant « l’empreinte de la personnalité » de l’auteur. L’esprit est le propre de l’homme. Or, le rôle de l’humain est ici réduit, bien que présent, au bénéfice de la machine. La Cour de cassation a déjà jugé qu’une personne morale ne peut pas avoir la qualité d’auteur car dénué d’esprit[1]. On peut donc comprendre qu’a contrario, seule une personne physique peut être qualifié d’auteur. Concernant l’empreinte de la personnalité, celle-ci caractérise l’originalité d’une œuvre.  Comment reconnaître l’empreinte de la personnalité d’une IA alors que celle-ci n’est qu’une machine ?  Une machine privée de conscience, d’émotions, de désir, d’élan créatif et surtout, sans personnalité juridique. Le refus de cette reconnaissance traduit une conception humaniste et personnaliste du droit d’auteur selon laquelle la création est le propre de l’Homme.

Mais alors à qui attribuer ces droits ? En sélectionnant les algorithmes d’apprentissage de l’IA, en choisissant une œuvre parmi des milliers générées, l’humain réalise une œuvre de l’esprit. S’il a agi seul, il peut alors revendiquer la qualité d’auteur. ‘S’il s’agit d’un groupe de personnes, alors il faudra recourir à la notion d’œuvre collective de l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle. Ainsi, le collectif Obvious sera investi des droits d’auteur.

Bien que l’œuvre collective témoigne d’une conception moins personnaliste mais plus économique du droit d’auteur, celle-ci permet toutefois, à l’heure actuelle, de résoudre la question de la titularité des droits sur une œuvre produite par une IA. Cependant, la question risque de se poser à nouveau à mesure que l’IA gagnera en autonomie, et le droit devra s’adapter et très certainement innover afin d’apporter une réponse adéquate.

Clara HUET

[1] Cass. Civ. 15/01/2015 n°13/23566

Sources :

MasterIPIT