L’industrie audiovisuelle en temps de pandémie

Selon les prévisions de la CISAC, les droits collectés en 2020 à l’échelle mondiale, pour les créateurs de tous les répertoires, pourraient diminuer de près de 35%. Cela représenterait 3,5 milliards d’euros de perte de revenus. Cela effacerait cinq années de croissance. En effet, la pandémie a un effet dévastateur sur l’économie nationale et elle n’a pas épargné le secteur de l’audiovisuel. Au contraire, elle n’a fait qu’accentuer les faiblesses du secteur et a mis en lumière de nouveaux enjeux. Un tel impact n’est toutefois pas étonnant au vu des restrictions subies par l’industrie audiovisuelle. À titre d’exemple, en 2020, les salles de cinéma étaient fermées pendant 162 jours ce qui n’a permis que 65,1 millions d’entrées soit 30% de celles observées en 2019.

Le problème du partage de la valeur

Alors que la plupart des acteurs économiques du secteur ont vu leur activité largement décliner voir mise en pause, la vidéo à la demande a connu un développement fulgurant, en atteste l’augmentation de 15% du nombre d’abonnés de Netflix entre décembre 2019 et juin 2020. De même, la fréquentation des sites de partage de contenu comme Youtube a explosé. Or, si ce recours au numérique permet, dans une certaine mesure, de limiter les pertes de revenus liées au confinement, il replace au cœur du débat le problème du partage de la valeur.

En effet, celui-ci est au centre des discussions depuis de nombreuses années, notamment depuis la publication du rapport Lescure en 2013. Ce dernier souligne que les industries culturelles n’ont pas pleinement bénéficié de la valeur générée par la révolution numérique. Les fournisseurs sont en réalité les bénéficiaires de celle-ci. Dans le contexte actuel, où de nombreux artistes se retrouvent en difficulté financière, la valeur issue de la révolution numérique représente un enjeu de taille. Plus que jamais, la nécessité de transposer la directive Services de médias audiovisuels du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne du 14 novembre 2018 s’est fait ressentir.

Le 21 décembre 2020, l’ordonnance n°2020-1642 a finalement procédé à cette transposition. Celle-ci vient modifier la loi de 1986 relative à la liberté de communication et met en place deux mesures essentielles visant à rééquilibrer ce partage de la valeur. Elle prévoit que les éditeurs de services de télévisions et services de médias audiovisuels à la demande respectant certaines conditions sont soumis à une obligation de contribution à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. De même, les services étrangers ciblant le territoire français sont soumis à cette contribution.

Si ces dispositions ont attiré la colère des grandes plateformes étrangères, leur mise en place était nécessaire pour assurer un juste partage des revenus issus de la création. En plus d’offrir une solution à un problème persistant, elles font également office de mesures de soutien aux satellites de la création dans le contexte actuel.

Une situation possiblement aggravée par le comportement des acteurs face à la crise

Tout au long de la pandémie, de nombreux acteurs ont mis gratuitement à disposition leurs œuvres. Or, cela a inévitablement pour effet de faire perdre des revenus au secteur. Néanmoins, ces acteurs ont justifié leur acte par la spécificité de la situation actuelle. Toutefois, cet argument n’a pas semblé convaincre Francis Gurry, Directeur Général de l’OMPI entre avril 2009 et septembre 2020. Ce dernier a fait connaitre sa désapprobation pour la pratique en affirmant que « Pour casser un droit d’auteur, il faut démontrer qu’il y a un besoin spécial ». Or, il ne parvient pas à identifier un tel besoin puisque les biens culturels sont toujours accessibles en ligne. En effet, si les circonstances actuelles mènent nécessairement à une adaptation des pratiques, elles ne peuvent permettre de porter atteinte au secteur tout entier, souffrant déjà d’une perte importante de revenu. Il s’agit là de trouver un équilibre entre l’accès à la culture et la juste rémunération, non seulement des titulaires de droits mais aussi de tous les auxiliaires jouant un rôle dans la création. Au final, la culture a même été rendue plus accessible avec le confinement du fait du développement d’alternatives aux services physiques.

En effet, les grands groupes de production audiovisuelle ont notamment révisé leur stratégie. En décembre 2020, Warner Bros. Pictures a annoncé que les films prévus pour 2021 sortiront à la fois en salles et en exclusivité, pendant une période d’un mois, sur la plateforme HBO Max. Ce même type de mesure avait déjà été pris par Disney avec la création de la plateforme Disney+. Néanmoins, cette décision a beaucoup inquiété. En effet, on considère qu’elle aura des conséquences désastreuses sur les salles de cinéma. Tout d’abord, elle permet aux utilisateurs d’accéder aux films depuis chez eux en même temps que les salles. Cela aurait pour effet de les inciter à ne pas se déplacer. De plus, cela faciliterait les reproductions illégales de bonne qualité, qui seront alors disponibles en ligne dans un délai bien plus court. Si ce nouveau modèle reste, pour le moment, limité aux États Unis, le directeur de HBO Max a annoncé que sa plateforme allait se déployer dans d’autres pays dès 2021 en se basant sur des services qui diffusent déjà leurs programmes, comme les chaines OCS.

En France, le risque posé par une telle mise en place reste limité. En effet, il existe un système de chronologie des médias introduit par la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle. Selon ce principe, il faut attendre 4 mois pour pouvoir acheter le film sur un support physique ou en video à la demande (VOD), 8 mois pour la télévision payante ayant signé un accord avec les organisations de cinéma (OCS) et 36 mois pour les plateformes de VOD sur abonnement (Netflix). Néanmoins, durant le confinement, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a autorisé plusieurs films à déroger à ces délais pour être proposés plus rapidement sur les plateformes de VOD. L’application d’un tel principe est donc à relativiser et le risque reste présent. D’autant plus que le gouvernement a exprimé son souhait de faire évoluer cette chronologie datant de 2009 pour permettre un partage plus rapide des films. Ces nouveaux délais sont actuellement en cours de discussion.

La fréquentation des sites illégaux : un problème persistant malgré le succès des services de vidéo à la demande

Une recherche menée par MUSO, une société britannique spécialisée dans l’analyse digitale, relève une augmentation de 41% en France de la fréquentation de sites illégaux entre fin février 2020 et fin mars 2020. En effet, malgré un attrait important pour la VOD et donc le streaming légal, la consultation de sites illégaux reste une pratique constante qui fait perdre plusieurs milliards d’euros chaque année à l’industrie créative. En France, l’Hadopi est compétente pour sanctionner les téléchargements illégaux. Toutefois, si l’intention derrière sa création est honorable, son action est insuffisante. Le maintien de l’autorité a un coût important, alors qu’elle n’engendre que peu de revenus. De plus, elle n’est pas en mesure de sanctionner toutes les pratiques illégales. À titre d’exemple, le streaming illégal n’entre pas dans son champ de compétence. La protection des œuvres en ligne n’est donc pas optimale. Or, dans le contexte actuel où l’utilisation des outils numériques a connu un fort accroissement et les revenus du secteur de l’audiovisuel ont largement baissé, cette perte issue de pratiques illégales n’en est que moins acceptable.

Toutefois, un projet de loi relatif à la protection de l’accès du public aux œuvres culturelles à l’ère numérique a été présenté en Conseil des ministres le 7 avril dernier. Ce projet fait suite à l’ordonnance du 21 décembre 2020 précédemment mentionnée. Il reprend plusieurs dispositions du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique du 5 décembre 2019. Il envisage notamment une fusion du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et de l’Hadopi pour créer l’Arcom. Cette autorité sera titulaire de diverses missions comme la sensibilisation contre le piratage ou encore la protection des œuvres. De plus, elle pourra publier une « liste noire » de sites portant atteinte, de manière grave et répétée, aux droits d’auteurs et droits voisins. Enfin, le texte prévoit la possibilité pour celle-ci, si elle est saisie, de se prévaloir d’une décision judiciaire passée en force de chose jugée pour demander à toute personne susceptible d’y contribuer, d’empêcher l’accès à tout site reprenant substantiellement le contenu du site jugé illicite et à un moteur de recherche ou fournisseur de noms de domaine, de déréférencer les sites concernés. A défaut de décision de l’Arcom, le juge pourra être saisi pour faire cesser l’accès aux sites litigieux.

Dans un avis du 22 mars 2021, le CSA a approuvé le projet en soulignant tout de même que la réussite de l’Arcom dépendra des moyens qui lui sont donnés. Nous espérons donc que ce rafraichissement des dispositions permettra à l’autorité compétente de mieux garantir le respect des œuvres malgré l’accroissement continu de l’activité en ligne.

Pour conclure, si le secteur de l’audiovisuel a largement été impacté par la pandémie, cette situation a permis de remettre au centre des discussions des préoccupations grandissantes depuis plusieurs années. De ce fait, les premières solutions ont pu être apportées. Toutefois, le secteur reste plongé dans une incertitude profonde. Si les prévisions pour l’année 2021 étaient positives puisque les chiffres devaient dépasser ceux de 2020, bien qu’ils restaient inférieurs à ceux de 2019, la nouvelle vague vient semer le doute quant au maintien de telles prédictions. La reconstruction va donc s’avérer lente. Aussi, beaucoup se posent la question de l’après Covid, notamment par rapport à la fréquentation des salles de cinéma. Face au développement des services de vidéos à la demande, certains se demandent si les cinémas auront des taux de fréquentations identiques à ceux pré-Covid. Bien qu’il y aura certainement un après Covid différent de ce que l’on a connu jusque-là, je me veux optimiste sur cette question puisque le visionnage de films en salle reste une activité sociale privilégiée des Français comme le montrent les résultats d’une étude menée fin mars 2020 par le groupe Vertigo Research. Selon celle-ci, aller au cinéma est la seconde activité la plus attendue par les Français une fois le confinement levé. Il n’y a donc aucun doute sur un retour dans les salles une fois les restrictions levées.

Loanne Dickely

 

Sources : 

MasterIPIT