L’INPI enregistre la première marque sonore française !

L’institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI), depuis toujours réticent à l’enregistrement de marques non-traditionnelles, enregistre la première marque française sonore proche « d’un bruit de l’espace » et publie cet évènement le 17 janvier 2020 au Bulletin Officiel de la Propriété Intellectuelle (BOPI).

 

Un enregistrement inédit en droit de la propriété industrielle

En effet, ceci est la première fois que l’INPI accepte une demande de marque sonore pour opposition. Cette marque a été déposée le 26 décembre 2019 par Janmal LARBI, elle est constituée d’un fichier audio MP3 de 30 secondes, ainsi, ce fichier est intégré dans la page web accessible via l’URL qui figure sur la publication au BOPI. En outre, la demande dont cette marque fait l’objet couvre la classe de produits ou services 9 qui concerne notamment : « les appareils pour la transmission du son, appareils pour la reproduction du son, dispositif de protection personnelle contre les accidents ».

Dans sa publication, le rapport de l’INPI prévoit en tant que description de cette marque : qu’ « Or-ion est un son qui élève le taux vibratoire de toute matière et il est un harmoniser énergétique ». Selon les auditeurs, elle s’apparente à un « bruit du cosmos » ou encore à un « train à grande vitesse entrant en gare ».

 

Un débat de longue date autour de la reconnaissance des marques non-visuelles

Pourtant, le combat n’était pas gagné d’avance car effectivement, les marques non-traditionnelles ont jusqu’alors fait l’objet de multiples refus et ce, tant au niveau national qu’européen comme le montre la décision du Tribunal de l’Union Européenne (TUE) datant du 13 septembre 2016, Affaire Globo Comunicacao et Participacoes contre l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO). À cette occasion, le Tribunal s’était prononcé sur un recours contre le refus de l’office européen d’enregistrer une marque sonore représentée par : « deux sol dièse, un premier noir accentué pour un temps, une seconde branche pointée longue de deux temps, prolongée par une ronde de quatre temps, représentées sur une portée ». Dans cette décision, les juges suprêmes ont d’abord rappelé l’obligation (à cette époque) d’une représentation graphique précise. Il s’agissait en l’espèce également de produits et services de classe 9 et il a été jugé que ce son audio court, ne pourrait être perçu comme une indication de l’origine des produits, mais uniquement comme indiquant « la simple mise en marche du support de données ou programme informatique d’une application pour appareils électroniques ».

De ce fait, ce signe distinctif composé d’une bande sonore, fut alors jugé trop banal et ne permettant pas la compréhension de la marque comme telle.

 

La reconnaissance des marques non-traditionnelles fait depuis longtemps débat, à l’occasion de son cours dispensé à l’université Paris-Saclay, la professeure Mme GROFFE expliquait l’exemple de la célèbre marque Abercrombie and Fitch. En effet, cette dernière s’était clairement démarquée et avait fondé son succès sur le fait que les magasins de la marque étaient très parfumés par les fragrances de leur industrie et au-delà de la marque classique de cette entreprise, c’est cette particularité à travers ce concept de distinction olfactif que le public retenait et par lequel il était attiré.

Dans un premier temps, ces marques furent expressément rejetées du Traité sur le droit des marques de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Néanmoins, elles ont fini par être admises avec les Accords sur les Aspects des Droits de la Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC) mais à la condition « qu’ils soient perceptibles visuellement », sans oublier la condition de représentation graphique qui demeurait prévue en droit français. C’est d’ailleurs ce dont disposait également le droit de l’Union Européenne, aux travers des directives de l’OHMI et la jurisprudence de la Cour de Justice européenne. Cependant, dans une décision en date du 27 novembre 2003 « la lettre à Elise » a pu être consacrée comme telle mais cela restait une exception. Enfin, cette acceptation semble très tardive au regard du fait que l’admission de la marque sonore est possible en principe depuis 1991 en France. De ce fait, le législateur français s’est depuis toujours positionné en précurseur en la matière, au sein de l’Union Européenne.

Maître Julie JACOB expliquait dès 2009 dans un article de presse que : « la marque sonore, expression musicale de la marque verbale, offre l’avantage en tant que signe distinctif sensoriel, d’être reconnue et mémorisée universellement ». Elle relate l’exemple du très célèbre rugissement de lion de la Metro Goldwin Mayer déposé dès 1994, dans le monde du cinéma.

 

Une innovation rendue possible dans le contexte actuel

 Ainsi, depuis décembre 2019, il est possible de déposer une marque sous forme de fichier audio MP3 devant l’INPI, c’est-à-dire une marque sonore qui n’a de ce fait pas d’intitulé puisqu’elle est uniquement constituée de ce son spécifique et nécessairement original. Cette évolution, tant attendue pour certains, pose beaucoup de questions pour d’autres  et parmi celles-ci : comment opérer la comparaison entre deux sons ? Ou encore quid d’un titre sur le son qui permettrait de discuter et identifier verbalement cette marque ? Ou enfin, les entreprises se saisiront-elles de cette opportunité pour déposer leur marque phonétique ?

En effet, cela a été rendu possible grâce à la transposition de la loi « Paquet marques » puisque l’exigence d’une représentation graphique des marques a disparu des lignes de l’article L.711-1 du Code de Propriété Intellectuelle. Dès lors, il est désormais possible de déposer de nouveaux types de signes distinctifs tels que : les marques sonores, multimédia ou « de mouvement » par le biais d’une empreinte numérique.

L’ère du droit du numérique et de l’innovation poursuit son ascension et plusieurs aspects fondamentaux du droit des marques sont modifiés, sur le plan terminologique, structurel ou encore purement juridique. Les marques sonores auront ainsi, comme les marques existantes une vocation distinctive sur le marché et cela permettra également aux personnes de pouvoir identifier et relier un goût, une odeur ou notamment un son à une entreprise en particulier. Il n’est pas choquant que le rattachement si précieux du droit des marques au sens de la vue s’essouffle, par exemple pour des potentiels clients malvoyants, l’identification d’un signe distinctif se ferait beaucoup plus naturellement à travers la perception d’un autre sens, dont l’ouïe.

Cependant, le fait de reconnaitre ces marques inhabituelles pourraient chambouler le décor du droit de la propriété intellectuelle et causer quelques confusions. En effet, il est certain que le public n’est pas familier avec ce genre de signes distinctifs et cherchera naturellement un complément de signe distinctif « classique » afin de comprendre la marque. De plus, cela pourrait engendrer une privatisation de nombreux éléments au-delà des marques existantes et ainsi diminuer le fond commun ou encore, apporter quelques confusions.

Ainsi, cet événement innovant ouvre les portes à toutes les marques inhabituelles telles que les marques sonores, olfactives ou encore gustatives, mais il reste encore à savoir quel sera le sort et les effets qui vont découler de cette demande inédite de marque sonore, acceptée pour la première fois en France.

 

 

Victoire Goubet

 


 

Sources :

MasterIPIT