Avez-vous déjà eu la désagréable sensation qu’on vous associait à une image qui ne vous correspondait pas, et ce, alors qu’on ne vous a absolument pas demandé votre avis ? C’est la mésaventure qu’a vécu le fameux groupe de Rock’n Roll anglais « The Rolling Stones » en ayant la surprise de découvrir que l’un de leurs morceaux « You can’t always get what you want » avait été passé lors des meetings politiques servant la campagne du gagnant de la présidentielle américaine, Donald Trump alors qu’il n’avait jamais donné son autorisation à cette utilisation.
Déjà confronté à ce genre de déconvenues, le groupe a immédiatement réagi en demandant au magnat de l’immobilier par l’intermédiaire d’un porte-parole le 4 mai 2016 d’arrêter la diffusion de ces titres lors de ces événements.
.
En droit d’auteur français, le fondement visé par les membres du groupe serait celui du droit moral de l’auteur prévu à l’article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle et défini par le professeur Pierre-Yves Gautier comme « le lien juridiquement protégé unissant le créateur à son oeuvre et lui conférant des prérogatives souveraines à l’égard des usagers, l’oeuvre fût elle entrée dans le circuit économique ». Plusieurs droits précis découlent du droit moral et parmi eux se trouve le droit au respect de l’esprit de l’oeuvre. Il intervient lorsque l’on a pas d’atteinte à l’oeuvre elle-même mais à son contexte. Cela ne se manifeste pas de façon tangible mais ledit contexte dans lequel elle s’insère peut dénaturer l’esprit de l’oeuvre.
.
Il s’agit d’une approche très intellectualisée du droit moral. Elle est donc plus fuyante à caractériser mais elle n’en est pas moins pertinente car le droit moral est une dimension extrapatrimoniale de protection de l’oeuvre qui vise une philosophie personnelle. Cela va de pair avec la vision personnaliste du droit d’auteur en France liée à l’empreinte de la personnalité de l’auteur qui est aussi « une empreinte de nos convictions personnelles » selon le professeur Julie Groffe.
.
Le juge a par exemple reconnu une atteinte à l’esprit de l’oeuvre suite à une action des ayant-droits d’Hergé, auteur de la célèbre BD « Tintin ». En l’espèce, on avait une reproduction de certaines vignettes de ladite BD dans un catalogue de vente aux enchères, la Cour d’appel de Paris le 14 mars 2007 accepte de caractériser l’atteinte spirituelle, à l’esprit de l’oeuvre car elles apparaissaient au milieu de vignettes de BD érotiques. Pour les titulaires du droit moral, cet environnement sexuel est en contradiction total avec l’univers de Tintin, et la Cour d’appel a jugé cet argument comme recevable, il y avait une dénaturation de l’esprit de l’œuvre.
.
Cependant, cette vision n’est pas celle retenue par le droit exercé aux Etats-Unis, dit traditionnellement droit de Copyright, qui a une logique plus économique que personnaliste, beaucoup plus tournée vers l’investissement. Le système américain est en effet davantage irrigué par l’idée d’encouragement ou de récompense de cet investissement notamment financier. C’est ce qui explique qu’au niveau fédéral, le droit moral n’est pas reconnu comme une composante du copyright. Les États-Unis ont en effet formulé une réserve à ce sujet lors de leur adhésion à la Convention de Berne de 1886. C’est la législation sur la diffamation et la concurrence déloyale qui sert de fondement de protection des oeuvres pour les auteurs. La question s’est un peu améliorée à ce sujet grâce à l’exception permise par la loi sur les droits des artistes d’oeuvres visuelles (Visual Artists Rights Act), adoptée en 1990, qui reconnaît un droit moral aux seuls créateurs des arts plastiques, photographiques et vidéos, excluant ainsi les compositeurs et paroliers du champ de la protection et prenant uniquement en considération les droits à l’attribution et à l’intégrité.
.
Ainsi, la justice américaine semble être plus du côté de Donald Trump et cela se confirme dans les faits puisque le Président des Etats-Unis n’a pas hésité à poursuivre l’utilisation des chansons du groupe sans être inquiété, ce qui n’a pas manqué de faire réagir certaines personnes qui en ont touché un mot au célèbre chanteur du groupe, Mick Jagger lors d’une séance de questions/réponses sur Twitter qui a simplement expliqué que la loi américaine autorisait ses citoyens à jouer la musique qu’ils souhaitent dans les lieux publics, rendant le groupe impuissant face à cette utilisation qu’ils refusent pourtant.
.
Cet état du droit aux Etats-Unis peut être critiquable, surtout pour les juristes de droit français souvent très attachés à la visée personnaliste du droit d’auteur qui protège l’oeuvre mais également l’auteur perçu comme un être créatif tellement obnubilé par son travail qu’il en oublie presque les impératifs juridiques que nécessitent une telle protection justifiant ainsi son importance illustrée par le droit au respect de l’esprit de l’oeuvre. La question donne d’autant plus lieu à débat dans un contexte aussi délicat que l’association d’une oeuvre à des idées politiques, oeuvre d’un groupe qui n’a jamais souhaité afficher les siennes…
Maroussia Duran
1ère année Master IP/IT
Sources :
- Cours magistral de Julie Groffe
- Code de la Propriété Intellectuelle
- ww.wipo.int
- Huffington Post : http://m.huffingtonpost.fr/2016/11/09/donald-trump-utilise-encore-cette-chanson-des-rolling-stones-qu/
- Le Monde : http://mobile.lemonde.fr/elections-americaines/article/2016/05/05/les-rolling-stones-demandent-a-donald-trump-d-arreter-d-utiliser-leur-musique_4914012_829254.html
- Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_d’auteur_aux_États-Unis