La parodie procède de la liberté d’expression qui ressort notamment de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (ayant valeur constitutionnelle). Cela permet de justifier l’atteinte au droit d’auteur. Ce droit fut principalement une création prétorienne de la fin du XVIIIème siècle à la loi n°57-298 du 11 mars 1957 qui codifia ces principes.
Afin d’éviter tout impérialisme dans l’exploitation du droit d’auteur et de préserver des valeurs fondamentales, des exceptions aux droits patrimoniaux de l’auteur furent consacrées. L’exception de parodie en est une illustration. Elle est désormais codifiée à l’article L.122-5 4° [1] du Code de la Propriété intellectuelle qui reprend mot pour mot l’article 41 4° de la loi de 1957 précitée. Le sujet traité dans le mémoire étant le droit d’auteur, il faut que le travail parodié soit reconnu comme une œuvre de l’esprit afin que ce droit puisse être appliqué.
L’article L.122-5 4° du Code de la Propriété intellectuelle emploie trois expressions : la parodie, le pastiche, la caricature. Originellement, cette distinction n’est pas vaine car « la parodie vise les œuvres musicales ; le pastiche vise les œuvres littéraires ; la caricature a trait aux œuvres d’art. »[2] Différents genres sont donc visés par chaque expression et une loi est propre à chacune d’entre elles : cela explique le terme de « lois du genre ». Cependant, comme le relève Sylviane Durrande, ces trois types de travaux sont « destinés à provoquer le rire »[3] et les termes sont aujourd’hui englobés au sein d’une même exception : la parodie « inclut le pastiche […] et la caricature »[4]. L’énumération de ces deux dernières formes dans le CPI servirait simplement à étendre le champ d’application de l’exception en matière de droit d’auteur. La CJUE semble également aller dans ce sens en employant, dans son arrêt du 3 septembre 2014[5] le terme « parodie » quand il était clair au regard des faits qu’elle était face à une caricature.
Les genres s’étant regroupés au sein de « l’exception de parodie », les « lois du genre » permettant de mettre en œuvre cette exception se sont également uniformisées. En effet, elles sont une création progressive de la jurisprudence française et c’est en cela que l’arrêt du la CJUE de 2014 est si important : si l’exception de parodie fut reconnue par la directive 2001/29/CE (article 5, paragraphe 3, sous k) ), elle ne prévoyait aucune condition d’application. L’arrêt de la CJUE vient donc expliciter des conditions d’application pour tous les Etats de l’Union, permettant ainsi une harmonisation (certains Etats ne reconnaissaient d’ailleurs pas l’exception expressément jusqu’alors).
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Est-il permis de penser que le respect des « lois du genre » sera désormais une condition suffisante pour permettre une parodie en droit d’auteur français ?
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I – La recherche traditionnelle d’un équilibre entre la parodie et l’oeuvre
A – Des « lois du genre » au « juste équilibre » : continuité et évolution des critères théoriques
Le contenu de l’article L.122-5 4° du Code de la Propriété intellectuelle (et donc de l’article 41 4° de la loi de 1957 avant lui) s’explique de deux façons. Premièrement, les trois genres étant distingués par le passé, les « lois du genre » de chacune d’entre elles l’étaient également. Deuxièmement, la définition desdites lois ne parût pas nécessaire car la loi de 1957 était une codification de la jurisprudence antérieure et le législateur remet donc au juge le soin de faire évoluer les « lois du genre » à son gré.
Les « lois du genre » semblent aujourd’hui fixées au nombre de trois en droit français. La première peut être qualifiée d’ « intention humoristique »[6] : le juge n’évalue pas l’effet comique (ni le mérite de l’œuvre parodique) mais observe s’il existe une volonté de transmettre un message informant le public de son opinion ou de ses sentiments de manière humoristique (ce qui va au-delà de la simple critique)[7]. La seconde loi (davantage développée par la suite) est l’absence de confusion entre la parodie et l’œuvre à laquelle elle s’attache (ou la personnalité de son auteur). Cela semble logique et est parfaitement illustré par l’arrêt « Couchés dans les Foins »[8]. La troisième « loi du genre » est l’absence d’intention de nuire, relevant davantage du domaine de la responsabilité civile que de celui du droit d’auteur, ce dernier étant amoral. « La parodie ne doit pas cautionner l’excès »[9] et ne peut donc constituer une « reproduction intégrale ou quasi intégrale »[10] : le parasitisme et la diffamation sont à proscrire.
L’arrêt de la CJUE de 2014 fait de la parodie une « notion autonome de l’Union » et en vient (classiquement) à rechercher un « juste équilibre » entre les droits en cause (comme dans les arrêts « Padawan »[11] et « Painer »[12] par exemple) qui étaient, d’une part, les intérêts et les droits des ayants droit et, d’autre part, la liberté d’expression de la personne se prévalant de l’exception de parodie.[13] La recherche d’un « juste équilibre » est le but du juge français au travers des « lois du genre » (ou du juge belge par les « usages honnêtes »). Les conditions données par la CJUE pour y parvenir sont que la parodie n’a pas besoin d’être originale, qu’elle doit « évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci »[14] (condition proche de la seconde loi du genre), et que la représentation doit « constituer une manifestation d’humour ou une raillerie »[15] (condition similaire à la première loi du genre). La troisième loi du genre semble être la réelle distinction entre les « lois du genre » françaises et le « juste équilibre » européen : la CJUE affirme dans son raisonnement qu’il faut tenir compte de « toutes les circonstances de l’espèce », condition plus large que l’absence d’intention de nuire.
La CJUE semble donc adopter un raisonnement plus pragmatique, allant au-delà des « lois du genre ». Cependant, en pratique, les juridictions du fond montrent qu’elles sont capables d’aller plus loin que les « lois du genre » en incluant une réelle balance des droits fondamentaux dans leur raisonnement.[16]
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B – L’exercice compliqué d’absence de confusion
Afin de se prévaloir de l’exception de l’article L.122-5 4° du Code de la Propriété intellectuelle, la parodie ne doit pas porter atteinte au droit moral de l’auteur. L’exception doit être appliquée de manière utile. La seconde « loi du genre » paraît donc être un réel enjeu car la première de celles-ci semble respectée dès lors qu’un message est exprimé et la troisième est moins fréquemment engagée que la seconde.
Ainsi, il faut créer une impression d’ensemble différente afin d’éviter que le public ne pense que la parodie est une œuvre de l’auteur parodié par exemple. Le fait d’ « introduire un décalage de style ou une différence d’inspiration suffisamment forts pour que le risque de confusion soit éliminé »[17] pourrait suffire par moments. C’est ce qui ressortait de l’arrêt « Couchés dans les Foins » précédemment cité, et c’est la raison pour laquelle les parodies de films d’horreur sont souvent admises : le décalage de style balaye les risques de confusion. Si la différence de genre des deux œuvres peut aider également, mais elle n’est pas nécessaire.[18] Les « lois du genre » servent donc à fournir un « effet utile » à l’exception de parodie, ce que la CJUE cherche également et rappelle brièvement également dans le point 23 de l’arrêt de 2014.
Malgré tout, des confusions restent possibles et l’auteur de l’œuvre parodiée ne reçoit pas nécessairement la reconnaissance qui lui est due. Selon Sylviane Durrande, s’il est impossible d’exiger une reconnaissance immédiate de l’œuvre parodiée, il faut une « perception immédiate de l’existence d’une parodie »[19] car la reconnaissance de l’œuvre parodiée n’est pas une condition de l’exception mais seulement une condition de sa réussite.[20] La condition serait, sinon, trop sévère mais cela montre bien l’exigence d’une « vivacité d’esprit »[21] et d’une culture que le public n’a pas toujours.
Un problème ressortant de l’arrêt de la CJUE de 2014 est que, selon celle-ci, la parodie n’induit pas que l’œuvre dérivée « devrait pouvoir raisonnablement être attribuée à une personne autre que l’auteur de l’œuvre originale lui-même, devrait porter sur l’œuvre originale elle-même ou devrait mentionner la source de l’œuvre parodiée » (point 21). Cela induirait des conséquences néfastes pour certains auteurs.[22]
Cependant, comme le relève Olivier Pignatari, en pratique « les œuvres inconnues sont rarement parodiées, personne ne pourrait en pareil cas véritablement apprécier la parodie. »[23] De plus, Henri Desbois affirmait déjà de son temps que l’auteur tire plus d’avantages de l’existence la parodie que d’une action en contrefaçon[24] : tôt ou tard la source ressort (particulièrement avec internet aujourd’hui).
De ce fait, l’emploi des « lois du genre » permettent bien de faire respecter un « juste équilibre » entre les droits en recherchant l’ « effet utile » de l’exception, tels que voulu par la CJUE désormais : si la recherche d’une balance des libertés fondamentales est explicitée, les « lois du genre » peuvent sembler ne plus suffire.
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II – L’extension possible du champ de protection de l’œuvre en droit d’auteur
A – La possible consécration d’une protection pragmatique
Le « juste équilibre » pourrait être déséquilibré par la notion d’ « intérêt légitime » des ayants droit employée dans l’arrêt de la CJUE de 2014 (point 31) car elle semble pouvoir déterminer, de manière très pragmatique, l’issue d’une affaire : si la solution de la Cour est à saluer, l’ « intérêt légitime » est une notion vague. A quels droits doit-on l’appliquer ? [25] Le terme est-il synonyme d’ « intérêt à agir » ? [26]
Malgré ces incertitudes, la CJUE confirme sa conception de la balance des droits fondamentaux par la mise en place d’une approche in concreto. Le problème demeure que la CJUE ne fournit que des critères négatifs à appliquer en matière de parodie et n’opère pas le contrôle elle-même dans cet arrêt : elle n’effectua pas la recherche d’équilibre et ne releva que l’atteinte au principe de non-discrimination.
Il reviendra donc sûrement aux juges nationaux d’effectuer la balance des droits fondamentaux, notamment à l’aide du « test des trois étapes » (qui fût déjà employé en France[27]) quand il n’a pas déjà été mis en œuvre par le Législateur. Ce test fait, d’ailleurs, également référence aux « intérêts légitimes du titulaire des droits ». Les « lois du genre » pourraient ne plus suffire et les juges nationaux semblent destinés à opérer une balance très pragmatique des droits fondamentaux, tel qu’amorcée par les juges du fond[28].
L’arrêt du 3 septembre 2014 demeure néanmoins essentiel car il n’y avait jusqu’alors aucune définition de la « parodie » telle que prévue par la directive 2001/29 : une première harmonisation des conditions d’accès à une telle qualification est résumée au point 33 de l’arrêt. Cela est notamment nécessaire en raison du développement d’internet et de la circulation simplifiée des œuvres et donc des contrefaçons.
Si la directive en question ne prévoyait pas la transposition obligatoire de l’ « exception de parodie », celle-ci relève de la liberté d’expression garantie au niveau international[29] et de l’Union[30]. Aussi, si l’obligation de transposer une telle exception au droit d’auteur n’était alors qu’implicite, l’arrêt de 2014 vient imposer aux Etats membres de la prévoir ; à défaut, ils ne permettraient pas la mise en œuvre effective de la liberté d’expression[31].
L’arrêt semble donc incomplet mais il demeure déterminant et fût peut-être volontairement vague : si un arrêt futur de la CJUE servira à préciser la notion de parodie et la mise en œuvre de cette exception, la Cour semble laisser (dans un premier temps) aux Etats membres le temps de la mettre en place (de même qu’une application correcte d’un « juste équilibre »).
B – La question de l’œuvre parodique
Pour être protégée en tant qu’exception aux droits patrimoniaux de l’auteur, la parodie n’a pas besoin d’être « originale ». Cette condition, pourtant nécessaire pour la caractérisation d’une « œuvre de l’esprit », serait trop sévère et c’est également ce que confirme CJUE dans son arrêt de 2014 (point 33[32]). Une telle condition serait excessive et surprotectrice de l’œuvre originelle. Le fait de l’évincer permet de réaffirmer que la parodie est une manifestation de la liberté d’expression (et de création).
La seule forme d’originalité exigée est de « présenter des différences perceptibles par rapport à l’œuvre originale parodiée »[33] (ce qui se rapproche des « lois du genre ») et fait penser à une appréciation accueillante : la CJUE semble exiger une appréciation des travaux au vu des différences et non des ressemblances. Il convient donc de chercher un équilibre entre les ressemblances (permettant la référence à l’œuvre parodiée) et les distinctions (permettant d’éviter les confusions).
Si une parodie n’a pas besoin d’être originale, elle peut cependant l’être et ce sera souvent le cas en pratique. Une telle originalité lui permettra d’accéder à une protection plus efficace que celle d’exception aux droits patrimoniaux de l’auteur : la qualification d’ « œuvre de l’esprit » (à condition que toutes les autres conditions soient respectées). Cette originalité pourrait être caractérisée de plusieurs manières. Premièrement, le fait de respecter la seconde « loi du genre » et de parvenir à détourner une œuvre (dramatique par exemple) dans un style comique afin de faire rire le public pourrait être qualifié d’original. Deuxièmement, l’effet de balancier à respecter pourrait être relevé : parvenir à être suffisamment proche de l’œuvre originale pour y faire référence, tout en étant suffisamment éloigné d’elle pour éviter le parasitisme est une manifestation d’originalité. De ce fait, il est souvent clair que lorsque la parodie entre dans les gonds des « lois du genre » (et surtout la seconde), une certaine originalité en vient à être caractérisée par le juge.
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Conclusion
Il est permis de penser que l’exception de l’article L.122-5 4° du Code de la Propriété intellectuelle a un bel avenir devant elle. De plus, les « lois du genre » ne sont sûrement pas mortes mais viendront à s’adapter à leur époque et évoluer avec celle-ci.
Benjamin Chahkar
1ère année Master IP/IT
[1] « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : […] 4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre. »
[2] C. Colombet, Propriété littéraire et artistique et droits voisins, Précis Dalloz, 9ème édition, 1999, pt. 234
[3] S. Durrande La parodie, le pastiche et la caricature, dans Propriétés intellectuelles : mélanges en l’honneur de André Françon, Dalloz, 1995, p.134
[4] Ibid. p.137
[5] CJUE, grande Chambre, 3 sept. 2014, C-201/13 (« Johan Deckmyn et a. c/ Helena Vandersteen et a. »
[6] O. Pignatari, « Juridique – Droit d’auteur – L’exception de parodie », JAC 2015 n°25 p.37
[7] Voir notamment CA Paris, 11 mai 1993, « Société Sebdo et Jacques Faizant c/ Editions Enoch » (« Les Feuilles mortes »)
[8] Trib. Com. Seine, 26 juin 1934 (voir notamment C. Colombet, Propriété littéraire et artistique et droits voisins, Précis Dalloz, 9ème édition, 1999, pt. 234)
[9] C. Caron, Droit d’auteur et droits voisins, Lexis Nexis 4ème édition, 2015, pt. 387
[10] CA Paris, 27 nov. 1990 (« La parodie ne saurait justifier la reproduction intégrale ou quasi-intégrale de l’œuvre originale », D. 1991 p.35)
[11] CJUE 3ème chambre, 21 oct. 2010, C‑467/08 (« Padawan »)
[12] CJUE 3ème chambre, 7 mars 2013, C-145/10 (« Eva-Maria Painer »)
[13] CJUE, grande Chambre 3 sept. 2014, C-201/13, point 27
[14] CJUE, grande Chambre, 3 sept. 2014, C-201/13, pt. 33
[15] Ibid.
[16] Civ. 1, 15 mai 2015, n°13-27391 (« Klasen »)
[17] F. Pollaud-Dulian, Propriété intellectuelle : le droit d’auteur, Economica, 2ème édition, 2014, pt. 1228
[18] CA Paris, 18 févr. 2011, « Sté Arconsil c/ Sté Moulinsart et a. » n°09/19272
[19] Civ. 1, 12 janv. 1988, n°85-18787 « Ed. Salabert c/ Le Luron » (« Douces Transes »)
[20] S. Durrande, La parodie, le pastiche et la caricature, dans Propriétés intellectuelles : mélanges en l’honneur de André Françon, Dalloz, 1995, p. 138
[21] Ibid. p. 141
[22] F. Pollaud-Dulian, « Exception. Parodie. Droit moral. Artiste-interprète. Liberté d’expression », RTD. com. 2014 p.815
[23] O. Pignatari, « Juridique – Droit d’auteur – L’exception de parodie », JAC 2015 n°25 p.37
[24] H. Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 3ème édition, 1979, pt. 254
[25] I. Tricot-Chamard, « La parodie d’une œuvre selon la CJUE », Les Petites Affiches, 05/12/2014, n°243 p. 3
[26] L. Marino, « Bob et Bobette au pays de la parodie », Gazette du Palais, 05/03/2015, n°64 p. 14
[27] Civ. 1, 28 févr. 2006, n°05-15.824 (« Mulholland Drive »)
[28] . Civ. 1, 15 mai 2015, n°13-27391 (« Klasen »)
[29] Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (article 10)
[30] Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (article 11)
[31] « Or, il est constant que la parodie constitue un moyen approprié pour exprimer une opinion. » CJUE, grande Chambre, 3 sept. 2014, C-201/13 (« Johan Deckmyn et a. c/ Helena Vandersteen et a. » (pt 25)
[32] « La notion de « parodie », au sens de cette disposition, n’est pas soumise à des conditions selon lesquelles la parodie devrait présenter un caractère original propre, autre que celui de présenter des différences perceptibles par rapport à l’œuvre originale parodiée… »
[33] CJUE, grande Chambre, 3 sept. 2014, C-201/13 (« Johan Deckmyn et a. c/ Helena Vandersteen et a. » (pt. 21)