Avant de lire ces lignes, mettez-vous à l’aise, un casque sur les oreilles et écoutez-ceci. Vous voilà propulsez dans l’univers du mashup.
Le mashup, c’est quoi ce machin ?
Un mashup, c’est un peu comme une salade. Un mélange subtil d’œuvres préexistantes découpées « façon puzzle » pour obtenir une mix-ture aux saveurs nouvelles. Un mashup, c’est aussi l’occasion pour des artistes de travailler ensemble sans qu’ils ne soient au courant. Le mashupeur est un entremetteur. Quand une œuvre se présente à lui, il cherche celle avec laquelle ça match et les fait se rencontrer dans une toute nouvelle création.
Comme exemple populaire, nous pouvons citer le film La Classe Américaine : Le Grand Détournement de Michel Hazanavicius, diffusé en 1993. Ce film a la particularité d’être monté intégralement à partir de plusieurs scènes tirées de films produits par Warner Bros. Les dialogues ont été intégralement repensés et les scènes montées entre elles constituent une toute nouvelle histoire originale regroupant les plus grands acteurs de l’époque comme John Wayne, Paul Newman et Lauren Bacall.
Le mashup existe aussi dans le milieu musical et c’est sur celui-ci que nous nous attarderons. Deux morceaux, plusieurs artistes voire plusieurs époques cohabitent dans une toute nouvelle création. C’est le cas de Kanye West et Christophe dans Paradis Perdus de Christine and The Queens. C’est aussi le cas dans toutes les créations du collectif Mashup Superstars : Michel Berger et Dr. Dre / Britney Spears et The Eagles / Jain et Michael Jackson…
Aujourd’hui grâce à la multiplicité des plateformes de partage comme YouTube et Soundcloud, il est alors possible de partager ses créations home-made sur la toile. Et c’est bien à ce niveau-là l’intérêt de ce sujet ! En effet, si le mashup se démocratise sur les plateformes de partage, il ne faut pas oublier que les œuvres utilisées pour le réaliser sont protégées par le droit d’auteur et en réalité… la plupart des mashups sont des contrefaçons alors même que leurs auteurs ne souhaitent que diffuser sans attendre une réelle contrepartie si ce n’est d’être « vus ».
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Face à la pratique du mashup qui tend à se répandre de plus en plus, devient-il alors nécessaire d’adapter le régime du droit d’auteur afin d’appréhender cette pratique créative ?
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I – Le mashup : une œuvre dépendante des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante
Au regard de la définition du mashup, il est possible de le concevoir comme étant une œuvre protégeable par le droit d’auteur dès lors que celle-ci est extériorisée et fait preuve d’originalité[1]. Et en réalité, par la nature même de ce type d’œuvre, le mashup est déjà appréhendé par le Code de la propriété intellectuelle. Effectivement, l’article L113-2 al. 2 du CPI définie l’œuvre composite (ou dérivée) comme étant « l’œuvre nouvelle [incorporant] une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière. »
Aujourd’hui, avec l’avènement du numérique et la facilité de création, nous entendons de plus en plus parler d’œuvres transformatives pour désigner des contenus générés par des utilisateurs que l’on peut caractériser par une diffusion au public sur Internet et un effort de création qui est effectué en dehors des pratiques professionnelles[2]. Bien qu’on emploie de plus en plus ce vocable, il ne s’agit en réalité que d’une œuvre composite.
Si le mashup peut être une création à part entière et ainsi placer le mashupeur au rang d’auteur ayant des droits moraux et patrimoniaux, ce dernier doit néanmoins prendre des précautions. En effet, l’œuvre composite et donc le mashup a la particularité d’attribuer des droits à son auteur sous réserve qu’il ait obtenu les droits des œuvres préexistantes utilisées. Ce régime de dépendance du mashup envers l’auteur originaire des œuvres utilisées implique plusieurs difficultés tant du point de vue des droits patrimoniaux que les droits moraux.
Subordonné à son autorisation, l’auteur sera contraint de reverser une rémunération sur les fruits de l’exploitation de son œuvre. Cependant, l’auteur du mashup bénéficie tout de même d’une autonomie car il jouit bien de droits distincts portant sur le mashup. Dans les limites autorisées par le contrat de cession des droits de l’œuvre préexistante, il peut donc, seul, décider des conditions d’exploitation du mashup. Aussi, la qualité d’auteur d’un mashup sera attribuée à son seul créateur et non à l’auteur de l’œuvre d’origine.
Du point de vue du droit moral et surtout au nom du droit au respect de l’œuvre, l’auteur du morceau utilisé pourra faire obstacle à l’exploitation du mashup dans la mesure où son morceau a été modifié sans son consentement. Cependant, le créateur de mashup va être amené à adapter l’œuvre existante pour l’incorporer comme il l’entend dans sa réalisation. Nous pouvons donc considérer le mashup comme étant une adaptation. Dans la célèbre affaire des Dialogues des Carmélites[3], la Cour de cassation a estimé que l’adaptation n’était pas contraire au droit au respect de l’œuvre préexistante dans la mesure où elle ne dénaturait pas celle-ci. Par transposition, nous pouvons donc déduire que l’auteur d’un mashup sera légitime à adapter les œuvres préexistantes dans la mesure où elles ne sont pas dénaturées.
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Mais quel est le destin d’un mashup diffusé sans l’obtention des autorisations nécessaires ?
Toujours dans une logique d’attention, le plus important réside seulement dans le processus de création et de diffusion afin de partager ce qu’ils créent et non d’en retirer des bénéfices. La majorité des mashupeurs sont en fait « monsieur tout-le-monde » et les créateurs ont souvent une vie professionnelle à côté ne se souciant donc pas d’une éventuelle exploitation. La plupart du temps lorsqu’effectivement, un ayant-droit ou auteur se manifestent pour faire obstacle à la diffusion d’un mashup, le créateur de celui-ci ne va pas chercher à les contrer et va retirer des réseaux son œuvre dérivée. Mais aujourd’hui les systèmes de protection développés par les plateformes comme le Content ID de Youtube place les auteurs de mashup dans une incertitude totale lorsqu’ils publient leurs créations, car, en cas de concordances avec une œuvre protégée, plusieurs sanctions sont prévues comme la suppression de la musique du contenu voire du contenu entier. Et c’est ce point particulier qui pose souvent problème aux auteurs de mashup.
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Quelles alternatives existe-t-il en droit positif pour les créateurs de mashup ?
Par le droit d’auteur actuel, nous pouvons penser à certaines exceptions, présentées par l’article L122-5 du Code, qui exonèreraient l’auteur de mashup à demander les autorisations nécessaires aux auteurs originaires.
- L’exception de courte citation MAIS : le droit français exige une double condition de brièveté ainsi qu’une utilisation à des fins de critique, polémique ou pédagogique, conditions qui ne peuvent s’appliquer que rarement au mashup de plus, la jurisprudence française admet cette exception seulement pour les œuvres littéraires.
- L’exception de parodie, admise plus largement et pourrait s’appliquer au Mashup MAIS : seulement, la finalité du processus créatif des mashupeurs n’est pas, a priori, de faire rire et de constituer une manifestation d’humour.
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II – Les interventions législatives envisageables pour légitimer le mashup musical
L’obtention simplifiée d’une autorisation par les créateurs de mashup :
Des systèmes de licences peuvent être une solution. Ces micro-licences permettraient aux créateurs de mashup de pouvoir diffuser leurs œuvres librement sur leurs sites internet personnels comme un blog sans qu’aucune exploitation commerciale ne puisse générée de bénéfices. Il serait toutefois difficile pour les créateurs de faire des démarches une par une auprès de chaque auteur des morceaux qu’ils utilisent. C’est pourquoi, il faudrait mettre en place un système centralisé des demandes d’autorisation qui serait alors semblable aux catalogues de musiques libres de droit que l’on peut déjà trouver en ligne comme Audio Jungle ou Musilib.
La solution résiderait aussi dans la possibilité pour les auteurs de se réapproprier leurs droits de sortes qu’ils décident par eux-mêmes des usages de leurs œuvres. C’est ce que propose les licences Creative Commons qui s’organisent avec différents pictogrammes correspondant à des règles juridiques spécifiques.
L’auteur peut alors créer un régime juridique à la carte applicable aux œuvres. Un créateur de mashup pourra alors, en toute légitimité et sans demander une autorisation spécifique, utiliser un morceau préexistant sous licence Creative Commons à partir du moment où son auteur aura permis sa modification. La limite de ces licences se situant, sans surprise, dans l’exercice du droit moral des auteurs.
Cependant cela impliquerait que les règles juridiques assorties soient remaniées d’un point de vue rédactionnelle permettant aux auteurs premiers de connaître l’étendue de leurs engagements. Ensuite, le système d’organisation des droits actuel est tant implanté qu’il semble que ce mécanisme ait des difficultés à s’articuler avec les productions, les éditeurs de musique et les sociétés de gestion collective.
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L’obtention d’une autorisation par les plateformes hébergeant les mashups :
Les sociétés de gestion collective ont déjà passé des accords avec les plateformes de partage permettant de créer des mécanismes comme Content ID. Il serait alors plus judicieux de mettre la plateforme au premier rang dans l’obtention des autorisations plutôt que de s’adresser directement aux créateurs amateurs de mashup. Cela permettrait un système centralisé des demandes d’autorisations et sans inconvénients pour les créateurs. L’idée serait alors d’insérer une clause dans les Conditions Générales d’Utilisation de la plateforme que les utilisateurs acceptent pour pouvoir notamment publier du contenu. Cette clause aurait pour but de consentir à un mandat au profit des plateformes représentants ainsi les utilisateurs clients qui diffusent leurs contenus. Il s’agirait d’un mécanisme global où la plateforme va, au nom de ses utilisateurs, obtenir les autorisations des contenus publiés.
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L’émergence de l’exception des contenus créés par des utilisateurs :
Cette exception permettrait à un utilisateur d’incorporer dans une œuvre qu’il crée une œuvre préexistante en totalité ou en partie[4]. Le Canada a été le premier État à prendre l’initiative d’intégrer une telle exception[5] permettant ainsi l’usage du mashup dans le respect de certaines conditions.
Les conditions d’application :
- L’œuvre incorporée doit avoir été divulguée au public ;
- Le créateur doit également utiliser une source licite ;
- Le contenu découlant de l’incorporation de l’œuvre préexistant doit être une œuvre protégée par le droit d’auteur ;
- Si les circonstances le permettent, le créateur devra mentionner la source de l’œuvre utilisée ainsi que les noms des auteurs ;
- Le nouveau contenu ne doit pas nuire à l’exploitation de l’œuvre utilisée ;
- Le contenu généré ne doit pas être utilisé à des fins commerciales.
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Le problème : Si le créateur ne tirera effectivement aucun bénéfice commercial de la diffusion, les plateformes vers lesquelles le créateur peut se tourner, comme Youtube ou Souncloud, qui hébergent le contenu auront quant à elles une finalité économique. Pour bénéficier de l’exception et seulement dans cette situation, le créateur d’un mashup devrait alors passer par un site personnel pour diffuser sa création, ce qui est tout à fait envisageable pour le mashup.
Le projet de directive déposé par la Commission Européenne en septembre 2016 relative au droit d’auteur dans le marché unique numérique va sûrement amené à réfléchir sur ce sujet[6]. La commission culture et éducation du Parlement européen a d’ailleurs apporté plusieurs amendements permettant de considérer les contenus générés par des utilisateurs[7].
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La mise en balance des intérêts entre le créateur de mashup et les auteurs des œuvres incorporées :
Le contrôle de proportionnalité est présenté comme un outil permettant de trancher les conflits entre le droit d’auteur et d’autres droits fondamentaux comme, en ce qui nous intéresse par rapport au mashup, la liberté de création. Seulement, comme l’illustre l’arrêt Ashby Donald[8], le droit d’auteur est souvent prédominant et les juges européens le font prévaloir au détriment de la liberté d’expression. Néanmoins, l’arrêt Klasen contre Malka récent de la Cour de cassation de 2015 vient fragiliser la protection du droit d’auteur allant au-delà des exceptions imposées par le Code de la propriété intellectuelle. En effet, l’arrêt d’appel est cassé au visa de l’article 10.2 de la Convention EDH portant sur les restrictions à la liberté d’expression en ce que les juges auraient dû « expliquer de façon concrète en quoi la recherche d’un juste équilibre entre les droits en présence commandait la condamnation. »[9] Cette décision serait-elle une invitation pour les juges du fond à procéder constamment à un contrôle de proportionnalité dans le cadre des œuvres transformatives ? Elle doit néanmoins être relativisée car elle reste floue, ne traduisant pas les modalités à prendre en compte dans la recherche d’équilibre à opérer. Le contrôle de proportionnalité implique néanmoins une plus forte insécurité juridique et notamment pour les auteurs des œuvres réutilisées.
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Conclusion
La récente loi française du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création à l’architecture et au patrimoine dispose dans ces premiers articles que « la création artistique est libre » et que « la diffusion de la création artistique est libre. Elle s’exerce dans le respect des principes encadrant la liberté d’expression et conformément à la première partie du code de la propriété intellectuelle. » Ainsi, l’articulation entre liberté de création et la protection du droit d’auteur est de plus en plus au premier plan. Cependant, l’absence de contentieux sur le sujet et cette recherche d’équilibre ne permet pas d’avoir une position certaine sur l’avenir du mashup. Si aujourd’hui, le droit positif ne permet pas d’appréhender le mashup musical créé par un utilisateur, tout porte à croire que des évolutions du droit positif vont intervenir dans les prochaines années, que ce soit par une intervention législative ou par un mouvement de jurisprudence, permettant alors aux créateurs de mashup de diffuser leur création.
Lisa Painault
1ère année Master IP/IT
[1] Conditions de protection découlant de l’article L111-1 al. 1 du CPI « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »
[2] OCDE, Participative web and user-created content: web 2.0, wikis and social networking, 2007, p. 18 : “These characteristics lay the ground for identifying a spectrum of UCC although they are likely to evolve over time. Publication requirement (…). Creative effort (…). Creation outside of professional routines and practises (…).”
[3] Cass. Civ. 1re, 22 novembre 1966 Dialogues des Carmélites
[4] Nabhan Vincent, « L’exception de contenu non commercial généré par l’utilisateur en droit canadien», 10 mars 2016, Dalloz IP/IT 2016. 156
[5] Article 29.21 de la loi C-42 sur la modernisation du droit d’auteur le 29 juin 2012
[6] Proposal for a DIRECTIVE OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL on copyright in the Digital Single Market COM/2016/0593
[7] DRAFT OPINION of the Committee on Culture and Education for the Committee on Legal Affairs on the proposal for a directive of the European Parliament and of the Council on copyright in the Digital Single Market 2016/0280(COD) “To create this fourth pillar, the Rapporteur first defines the notion of ’user-generated content’, which is at the core of most user practices online. As user-generated content may comprise extracts of copyright-protected works in a way that is not harmful for the rightholders – already a widespread practice despite the legal uncertainty around it – the Rapporteur creates a new mandatory exception protecting the use of such extracts provided that they meet certain requirements ensuring that the use is proportionate.”
[8] CEDH, 10 janvier 2013, req. n°36769/08, Ashby Donald et autres contre France
[9] Cass. Civ. 1re, 15 mai 2015 Klasen contre Malka n°13-27391