Depuis le début de la campagne présidentielle, le sujet de la propriété intellectuelle s’est plusieurs fois invité au cœur du débat. En effet, déjà quatre affaires relatives à des accusations de contrefaçons ont été révélées, notamment en droits d’auteur et en droit des marques. Cela paraît surprenant pour des candidats supposés être juridiquement accompagnés.
Dans l’ordre des festivités nous pouvons citer :
Clip de campagne d’Eric Zemmour : assignation en contrefaçon du droit d’auteur
Afin d’annoncer sa candidature à la présidentielle, Eric Zemmour a publié, le 30 novembre 2021, une vidéo rythmée par l’utilisation d’images d’archives et d’extraits d’œuvres. Au total, ce sont plus de 114 séquences litigieuses qui ont été relevées dans cette vidéo d’une dizaine de minutes qui compte aujourd’hui plus de trois millions de vues.
Or M. Zemmour ne possédait pas les droits pour reproduire ces extraits. Mais surtout, les ayants droit n’avaient pas été contactés au préalable de la diffusion de cette vidéo.
Le candidat a donc fait l’objet de plusieurs assignations en contrefaçon de droits d’auteur devant le tribunal judiciaire de Paris. Parmi les demandeurs figurent des scénaristes, des réalisateurs, des entreprises privées, mais aussi la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), principal organisme de gestion collective des droits d’auteur.
Une brève davantage détaillée sur l’affaire avait été publiée le 5 décembre 2021.
Une audience a eu lieu le 27 janvier dernier durant laquelle Me Thierry Marembert (avocat de Gaumont, du studio de production EuropaCorp et du réalisateur Luc Besson) a rappelé que ses clients n’avaient jamais « accordé l’autorisation d’utiliser des extraits […] pour des partis politiques. » Il réclame 55 000 € de dommages et intérêts à titre de réparation ainsi que le retrait d’images du clip. Le tribunal rendra sa décision le 4 mars prochain.
Peut-être les juges retiendront-ils l’exception de courte citation qui ouvre la possibilité d’utiliser une œuvre sans l’autorisation de l’auteur ? Cependant, les conditions pour en bénéficier – qui sont respectivement la brièveté, la justification et la citation de l’auteur – ne semblent pas réunies en l’espèce.
En effet, aucun crédit n’est mentionné, étant donné que ni le nom des auteurs, ni leur qualité n’apparaît dans la vidéo. Me Chatel, l’avocat de la SACD, y voit une atteinte au droit moral justifiant sa demande de retrait des extraits. Il ajoute que l’utilisation des œuvres n’est aucunement justifiée.
Il serait donc étonnant qu’une telle exception soit retenue par le tribunal.
Valérie Pécresse porte atteinte aux droits de la marque « Kärcher »
Dans le cadre d’un entretien accordé au journal La Provence, le 6 janvier 2022, la candidate du parti Les Républicains a affirmé vouloir « ressortir le Kärcher de la cave » afin de nettoyer les quartiers. La formule fait écho à celle utilisée en 2006 par Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’intérieur.
Ces propos n’ont pas manqué de faire réagir les titulaires de la marque Kärcher qui, dans un communiqué de presse ont demandé aux personnalités politiques et aux médias « de cesser immédiatement tout usage de sa marque dans la sphère politique » car cela porte atteinte à la marque et aux valeurs de l’entreprise.
En réalité, cela n’est pas la première fois que le signe Kärcher, protégé au titre du droit des marques, est utilisé comme tel dans la vie courante. Il est d’ailleurs rappelé dans ce même communiqué que le groupe se bat depuis de nombreuses années pour « que sa marque ne soit pas exploitée sur la scène politique française ».
Or au-delà de l’atteinte portée à la marque, c’est surtout la dégénérescence qui représente ici le risque majeur. Car si la marque Kärcher devient une marque générique, c’est-à-dire « la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service » (article L. 714-6 du Code de la propriété intellectuelle) elle encourt la déchéance. Une telle sanction s’impose en effet lorsque le signe utilisé à titre de marque souffre d’un excès de notoriété au point de ne plus être perçu comme une marque par l’utilisateur final, mais comme le nom commun désignant un produit ou un service. Les exemples sont aujourd’hui nombreux : « Piña Colada », « Quies », « Caddie », « Sopalin » et bien d’autres…
La réaction du groupe Kärcher s’avère donc parfaitement légitime et justifiée.
L’allocution controversée de Marine le Pen devant la Pyramide du Louvres
Le 11 janvier, Madame Le Pen publiait une allocution filmée devant la Pyramide du Louvre. Quelques heures plus tard, le Musée du Louvre faisait savoir qu’aucune autorisation n’avait été accordée pour ce tournage afin d’utiliser l’image du célèbre monument. On peut relever ici une atteinte potentielle aux droits de la propriété intellectuelle.
En effet, la reproduction de la pyramide est soumise à l’autorisation de son auteur. Car malgré l’ancienneté du palais du Louvre, qui relève du domaine public, la pyramide est pour sa part toujours protégée au titre du droit d’auteur, son architecte (Ieoh Ming Pei) étant décédé il y a moins de 70 ans.
Dès lors, sans autorisation préalable délivrée par les héritiers de l’architecte, Marine Le Pen ne pouvait représenter la pyramide dans sa vidéo, à moins que ne joue l’exception de panorama. Selon les termes de l’article L122-5 du CPI « la reproduction et la représentation, sans usage commercial, par une personne physique, d’une œuvre architecturale placée en permanence sur la voie publique ne peut être interdite par l’auteur ». Reste à prouver ses conditions d’application.
Il est ici pertinent de s’interroger : La représentation de la pyramide a-t-elle été réalisée par Marine Le Pen en tant que personne physique ou bien par son parti titulaire de la personnalité morale ? De même, un contenu visant à promouvoir un candidat pour une élection est-il vraiment dénué de toute fin commerciale ?
A noter que dans une affaire similaire, le Tribunal Judiciaire de Paris a fait application des exceptions de panorama et de courte citation dans le cadre de la reproduction d’une œuvre de street art au sein d’un clip de campagne dédié à JL. Mélenchon pour la présidentielle de 2017 (décision en date du 21 janvier 2021).
En temps normal, lorsqu’une entreprise veut associer son image à celle du Louvre, elle doit conclure un « contrat de partenariat » qui donne lieu à rémunération. Or le Rassemblement National n’a pas entrepris cette démarche, qui aurait finalement eu de fortes chances d’être refusée étant donné le caractère politique de la démarche. Afin d’éclairer le débat, le directeur de campagne de Marine Le Pen demande des détails sur ce qui avait été « convenu et facturé à Emmanuel Macron pour l’occupation de l’esplanade avec un usage monumental de la pyramide en meeting géant » lors de son élection en 2017.
Il sera dès lors intéressant d’étudier la réponse apportée par le musée du Louvre qui n’a, à l’heure actuelle, ordonné aucune demande de retrait du clip litigieux.
Jean Lassalle accuse Éric Zemmour de plagiat
Le candidat est accusé une nouvelle fois d’actes de contrefaçon de droits d’auteur pour avoir adopté comme identifiants de campagne pour son parti « RECONQUÊTE! », des logos que Jean Lassalle accuse d’être des « copies presque intégrales » du logo de son mouvement « RÉSISTONS! ».
Il semble pour le moment que le parti « RÉSISTONS! » concentre sa réclamation sur la contrefaçon du seul monogramme constitué d’une lettre et d’un signe de ponctuation. Alors de telles revendications ont elles des chances d’aboutir d’un point de vue juridique ?
Dans les faits, les logos sont donc composés de la lettre R et d’un point d’exclamation rouge, seul l’ordre des couleurs diffère : une lettre blanche sur fond bleu contre une lettre bleue sur fond blanc (cf. images ci-contre: à gauche, le logo de Jean Lassalle, à droite, celui du parti d’Eric Zemmour).
En propriété littéraire et artistique, l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose : « Sont [considérées] notamment comme œuvres de l’esprit […] les œuvres graphiques et typographiques ». De plus, il est admis qu’une simple lettre figurant sur un logo puisse être protégée du fait de son « graphisme particulier ». De tels logos peuvent ainsi bénéficier de la protection accordée par le droit d’auteur, sous réserve qu’ils remplissent la condition fondamentale d’originalité.
L’avocat du parti « RÉSISTONS! » estime que le logo en question est une véritable création de l’esprit protégée dès son extériorisation. Il rappelle que ce logo est celui utilisé depuis la campagne présidentielle de 2016, soit exploité de manière ininterrompue depuis plus de 5 ans. Il s’appuie, pour justifier ses propos, de sa divulgation et de son exploitation au travers de produits dérivés (tee-shirts, badge …) et de supports de communication (site web, réseaux sociaux…). Il ne lui sera également pas difficile de prouver que sa typographie et son aspect spécifique portent la marque de la personnalité de son auteur.
Ces éléments semblent présumer la titularité des droits d’auteur dont le parti « RÉSISTONS! » dispose sur son logo. Bien qu’il soit également possible de considérer que l’association de la lettre R et d’un point d’exclamation relève du domaine de l’idée et soit donc, à ce titre, insusceptible d’appropriation.
Une lettre de mise en demeure datée du vendredi 14 janvier dernier a été adressée au représentant légal de « RECONQUÊTE! » dans laquelle il était demandé de faire cesser l’usage des logos litigieux dans un délai de huit jours. Ces accusations écrites ont été publiées par M. Lassalle lui-même via son compte Twitter.
« La proximité des logos (….) est telle qu’elle constitue de fait un acte de contrefaçon, qui ne peut perdurer ».
Cette mise en demeure étant restée sans suite, l’avocat du mouvement « RÉSISTONS! » a adressé, le 4 février, une requête au président du tribunal judiciaire de Paris aux fins de saisie-contrefaçon. Jean Lassalle souhaite que soit saisi le matériel de campagne d’Eric Zemmour et ainsi interdire l’utilisation du logo RECONQUÊTE! ».
Reste à suivre l’actualité pour voir jusqu’où iront les poursuites judiciaires engagées.
Manon CAPLIER
Sources :
https://www.rtl.fr/actu/politique/jean-lassalle-accuse-eric-zemmour-de-plagiat-7900114653
https://blip.education/politique-et-droit-dauteur-episode-2-rrrrrr-par-vincent-mauriac