« Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…)
11° Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial. (…) ».
Voici l’article 39 de la Loi n° 2016-1321 pour une République numérique du 7 octobre 2016 qui a introduit l’exception de panorama en droit de la propriété intellectuelle. Le droit français prévoit en effet, que les œuvres artistiques et architecturales sont couvertes par le droit d’auteur jusqu’à soixante-dix ans après la mort de l’auteur. Or, celle appelée « liberté de panorama », permet librement, sans autorisation ou versement de droits, d’user d’images d’œuvres présentes dans l’espace public.
Les débats parlementaires à ce sujet ont été plutôt houleux, puisqu’il s’agissait d’un côté de préserver les intérêts des usagers d’internet postant des photos sur leurs réseaux sociaux face à de telles œuvres, et de l’autre côté, prendre en compte la situation de l’artiste de rue. Cet enjeu a été rappelé en 2020 lors de la campagne des municipales à Paris.
L’exception de panorama de nouveau sous le feu des projecteurs
Christian Guémy de son nom de street artist « C215 », a vu sa fresque, une Marianne asiatique symbole de la diversité et réalisée dans le 13e arrondissement, repris par les comptes Twitter et Facebook du comité local d’En Marche pour les législatives. Sur la photographie de la fresque, le slogan « En Marche » avait été ajouté.
L’auteur de la fresque s’est prévalu de son droit d’auteur et a réclamé des dommages et intérêts au parti politique pour utilisation non autorisée de son œuvre.
Sur sa page Facebook, le parti En Marche de Paris 13 a notamment publié : « Nous pensions (…) que ces images étaient dans le domaine public et non protégées. ». Il a fait remarquer que l’œuvre était visible dans l’espace public, ce qui laissait penser à une possible diffusion sans nécessaire autorisation.
Le tribunal judiciaire de Paris, par un jugement du 21 janvier 2021, a récemment admis le droit d’auteur de l’artiste, au travers de ses choix esthétiques et du message qu’il a voulu faire passer. Cependant, aucune atteinte à son droit moral n’a été reconnue.
En effet le message politique du parti, favorable à la diversité culturelle, rejoignait en quelque sorte celui de la fresque et n’était donc pas de nature à porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre litigieuse. Sur le terrain des droits patrimoniaux, le juge a considéré que la reproduction n’était pas illicite au regard de la fameuse exception de “panorama”.
Il faut préciser que cette exception n’est pas nouvelle, la jurisprudence l’admettait déjà mais ne façon restreinte. Déjà en 1995, la Cour de cassation avait pu dire que « la représentation d’une œuvre située dans un lieu public n’est licite que lorsqu’elle est accessoire par rapport au sujet principal représenté ou traité ». Il s’agissait de promouvoir la liberté d’expression et surtout faciliter l’usage non commercial de photographies prises en souvenir par des particuliers.
Une exception étendue aux « graffitis »
Les juges dans cette affaire de 2021 se sont appuyés sans surprise sur l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Cet article transpose en réalité l’article 5 de la Directive 2001/29/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Ainsi, au niveau européen il est prévu que « Les Etats membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants : (…) h) lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’œuvres, telles que des réalisations architecturales ou des sculptures réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics».
Il est aisé de constater que les fresques murales dans des lieux publics n’étaient pas envisagées, et pourtant le tribunal a par application souple de la loi, estimé que la « liberté de panorama » couvre « les graffitis (…) dès lors qu’ils sont situés en permanence sur la voie publique, pourvu, prévoit le droit français, que la reproduction soit le fait d’une personne physique, à des fins non commerciales ».
Reste que l’exception ne profite qu’aux personnes physiques, et non aux personnes morales tels que les partis politiques. La République en Marche aurait comme option l’évocation du droit de courte citation, que le tribunal retient d’ailleurs : « Encore que cette dernière [ledit parti politique] peut en tout état de cause revendiquer en l’occurrence le bénéfice de l’exception de courte citation […] ».
Un assouplissement de l’exception encore limité
Marie-Anne Ferry Fall, directrice de l’ADAGP (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques) a souligné cette acception de l’exception, qui résout « le problème épineux des réseaux sociaux », dont les utilisateurs risquaient d’être poursuivi à chaque partage de photographie d’œuvre de l’espace public.
Cette solution était réclamée, notamment par des associations comme Wikimédia, favorables au partage de contenus librement accessible en ligne. C’est ainsi qu’en 2015, cette association avait déposé un amendement dans le projet de loi participatif pour une République numérique, portée par la secrétaire d’État Axelle Lemaire. Votée en octobre 2016, la loi pour une République numérique déjà cotée, a adopté cette exception au droit d’auteur, mais limitée aux personnes physiques.
Pourtant, davantage d’assouplissements ont été réclamés en 2016, alors que la Commission a déposé un projet de directive portant sur « les droits d’auteurs dans le marché unique numérique », permettant « un plus grand choix et un accès amélioré, et transfrontière, aux contenus en ligne ».
C’était donc une occasion de rouvrir les discussions quant à la portée à donner à l’exception de panorama. Le Parti pirate (mouvement politique international), a avancé que du moment qu’une fresque est publique au regard de son emplacement, son auteur devrait « abandonner la suprématie » sur son œuvre d’un point de vue financier.
A l’inverse, l’eurodéputé Jean-Marie Cavada soutenait qu’il fallait « protéger la richesse culturelle européenne des plateformes en ligne, qui sont des tuyaux avec des besoins de contenus, mais qu’ils ne peuvent pas voler ». Le débat était donc vif et les avis divergents.
Finalement, c’est le 26 mars 2019, que la Directive sur le Droit d’auteur dans le marché numérique a été adoptée, mais tous les amendements relatifs à l’exception de panorama dites « extensive », donc couvrant les exploitations commerciales, ont été rejetés.
Ainsi, cette issue est-elle favorable aux droits d’auteurs. Elle permet de limiter la libre utilisation des œuvres de rues et surtout l’usage lucratif de celles-ci au détriment des streets artistes.
Emma MIQUEL
Sources :
- Cass. 1ère civ., 4 juill. 1995, n° 93-10.555
- Tribunal judiciaire Paris du 21 janvier 2021, n° 20/0848
- « Droit de panorama » : la bataille continue pour les artistes urbains », par Quentin Bas Lorant, publié le 09 juin 2017, Le Monde
- « Non, l’artiste C215 n’est pas ‘’En Marche !», par Fanny Delporte, Le Parisien, le 5 juin 2017
- http://- https://partipirate.org/