Le monde de l’irréel semble avoir supplanté, de nos jours, le monde du réel. Les yeux rivés sur nos téléphones toute la sainte journée, on attend que le temps passe. L’essor démesuré ces dernières années de l’Internet et des réseaux sociaux soulève de nouvelles problématiques. Cet eldorado des années 2000 n’a plus le vent en poupe et fait l’objet des nombreuses critiques. Bien que son développement ne soit pas apparu comme une menace à sa naissance, mais plutôt comme le symbole d’un nouveau monde et des temps qui chantent, désormais, tout le monde déchantent. Le loup a enfin montré son vrai visage et nombre s’inquiètent du manque de réglementation et de l’étonnante liberté dont disposent les géants du numérique.
Paradoxe, sa force et sa faiblesse se concentrent autour d’une même caractéristique : l’accès à un contenu illimité, exempt de tout support matériel, sans aucune contrainte.
Dernièrement se sont développées des nouvelles pratiques obscures montrant les limites du système. Il ne sera question pour l’heure qu’une pratique en particulier. Trop de liberté tue-t-elle la liberté ?L’homme est capable du meilleur … comme du pire. Ceci témoigne du besoin urgent d’adopter une règlementation efficace et dissuasive concernant les pratiques sur le net.
Sans doute guidés par l’amertume post rupture et l’esprit de vengeance, certains ont jugé bon de poster des « vidéos ou photos érotiques, obtenues avec ou sans le consentement de la victime lors de la captation ou de l’enregistrement¹ » , à la vue de tous. Cette pratique se dénomme la revanche pornographique, ou dans sa version anglophone, le revenge porn. Malheureusement, ces détracteurs ne voyaient en rien leurs pratiques découragées à l’époque. Absence de réglementation dissuasive, anonymat facilité et reproduction illimitée des contenus aboutissent à toutes les dérives possibles. Tout est toujours plus facile derrière un écran. Un clic et puis s’en va. Retour à la vie réelle pour le détracteur, tandis que la personne attaquée subit des conséquences plus désastreuses sur sa psychologie. D’un clic, la réputation d’une personne peut être détruite. Des années de bons et loyaux comportements s’envolent en un instant. Et on sait la difficulté à faire disparaitre un tel contenu de la toile.
Ce nouveau type de vengeance a généré ces dernières années de nombreux contentieux, ayant abouti à une intervention nécessaire du législateur français. Ne dit-on pas pourtant qu’il est préférable de laver son linge sale en famille ?
I. Un nouveau texte pour une nouvelle infraction
Le 16 mars 2016² , la chambre criminelle de la Cour de cassation rendait un arrêt légèrement contestable sur le plan moral. Cependant, le droit ne se préoccupe pas de la morale. Des faits, que des faits pour seulement juger en droit. L’arrêt peut se concevoir comme une sorte de pied de nez au législateur afin de l’encourager à agir au plus vite, au travers de la loi. En l’espèce, un cas de revanche pornographique. Un ancien compagnon avait diffusé une photographie représentant son ancienne compagne, nue et enceinte, sur internet.
La solution retenue par les juges est pragmatique : « n’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement ». Sans infraction pénale prévue, point de sanction. Finalement, cette solution, bien que sévère pour la victime, découle du principe directeur en droit pénal : celui de l’interprétation stricte de la loi (en vertu de l’article 111-4 du code pénal).
A l’époque, l’article 226-2 du code pénal réprimait le fait de « conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1 ». L’article 226-1 du code pénal ci-mentionné, disposait quant à lui qu’est pénalement sanctionné « le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui (…) en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ».
De ces articles, en est déduit que « le consentement initial d’une personne à ce que des contenus érotiques ou pornographiques la concernant soient enregistrés vide de toute substance pénale la mise à disposition ultérieure de ces contenus sur internet³ » . C’est donc l’obtention de ce consentement préalable qui neutralise toute possibilité de sanction par la suite. Les juges acceptent même de le déduire des circonstances et de l’attitude de la personne.
Cette sanction est pourtant à nuancer. Il faut avoir à l’esprit, qu’en dépit d’une sanction sur le plan pénal, les victimes n’étaient, déjà à l’époque, pas totalement démunies. Elles pouvaient tout de même, sur le fondement de l’article 9 du code civil, érigeant un droit au respect de la vie privée, obtenir le retrait de contenus, ou le versement de dommages et intérêts pour les préjudices subis. Cette possibilité de sanction s’explique notamment, du fait qu’un individu dispose d’un droit exclusif sur son image et par voie de fait sur son utilisation, peu importe son consentement lors de la prise des clichés concernés⁴. S’ajoute à cela, le « droit au référencement » de contenus présents sur les moteurs de recherche⁵ . Même si sa mise en œuvre n’est optimale et généralisée pour le moment.
Peut-être un mal nécessaire, cette décision controversée a amorcé la rédaction d’une loi dans une perspective de protection des victimes.
La loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique est ainsi venue créer un nouveau délit, dans le but de protéger les internautes contre « eux-mêmes ». Cette réglementation suit les traces d’autres pays s’étant doté des mêmes armes législatives, comme le Canada ou le Royaume-Uni, en 2015.
Désormais, le revente porn est encadré. La nouvelle incrimination, prévue à l’article 226-2-1 du code pénal, s’est inspirée de la logique civiliste de la protection de l’image : il faut dissocier fixation de l’image (prise de la photo ou enregistrement de la vidéo) de sa diffusion. Chaque étape doit faire l’objet du consentement de l’intéressé. En effet, à l’ère du numérique, la diffusion d’une photo sur internet ou les réseaux sociaux peut avoir bien des impacts.
Désormais, sera puni de deux ans d’emprisonnement et de 60.000€ d’amende, le fait de diffuser au public sans le consentement de la personne intéressée, un enregistrement ou un document (le plus souvent une photographie) à caractère sexuel (de paroles ou d’images) obtenu préalablement avec son consentement, ou par elle-même. Le lieu de l’obtention de l’enregistrement ou du document étant indifférent.
Le texte est assez large et n’est pas spécifique au cas du revenge porn : aucune motivation spécifique n’est à prouver. Les cas de vengeance, moquerie ou chantage sont tous pris en compte. Par ailleurs, aucune mention des moyens de diffusion, ni des personnes qui auraient accès au contenu, n’est faite : la simple diffusion dans un mail à une personne tierce suffit donc à caractériser l’infraction. Ce champ d’application relativement étendu symbolise la volonté de sanctionner à tout prix, tout acte qui viendrait nuire à l’intimité d’un individu.
Sans conteste, l’infraction prend son fondement sur la violation du droit à l’image reconnu à chacun. Ce droit se matérialise par le pouvoir d’autoriser ou d’interdire la prise et la diffusion de clichés de sa propre personne. Comme l’a rappelé la députée Hélène Conway, « on peut consentir à l’un tout en s’opposant à l’autre⁶ » . Chacun doit alors pouvoir être maître de l’utilisation faite de son image personnelle. Il en va, surtout dans ce type de situation, de la protection de sa réputation.
Pour éviter toute déconvenue, il sera alors plus prudent de recueillir le consentement de la personne intéressée de façon expresse avant une quelconque diffusion. Dans ce cas, l’écrit est la reine des preuves.
Mais, le fait d’autoriser la diffusion n’écarte-t-il pas l’hypothèse même d’une revanche ? Le propre de la revanche est bien de nuire à autrui. Or, il est peu probable qu’une personne autorise ce genre de manœuvres dans ces circonstances.
II. L’infraction de revanche pornographique : des contours à préciser
Cet encadrement donne lieu à quelques incertitudes.
Dans un premier temps, la mention du caractère sexuel est floue. Implique-t-il nécessairement la nudité ? La nudité revêt-elle automatiquement un caractère sexuel⁷ ? . La photo représentant une personne topless sur la plage remplit-elle l’exigence de ce caractère sexuel ?
La réponse n’est pas évidente et devra être recherchée dans l’interprétation faite par les juges. Mais il est certain qu’une conception large serait préférable, afin d’inclure toutes les possibilités⁸ . Il serait en effet regrettable que certains cas soient exclus du fait d’un champ d’application du texte trop restreint.
De plus, cette protection n’est pas absolue. Cela est notamment dû aux problématiques actuelles liées à internet et aux réseaux sociaux.
L’anonymat est en ligne de mire. S’il permet de profiter d’une liberté d’expression maximale, sans peur des représailles, il entraine nécessairement des dérives.
Cela encourage par conséquent les vengeurs masqués à agir dans la pénombre de l’Internet. Bien sûr, il est possible de lever le voile sur l’identité des internautes, non sans peine parfois. Notamment quand il faut faire face à un manque de coopération des gérants du numérique.
Peut-être la protection nouvelle accordée aura tout de même le mérite d’aborder une visée dissuasive et préventive afin de calmer les ardeurs de certains.
Par ailleurs, la question de l’effacement des données sur le net pose également problème. La forme dématérialisée des contenus permet leur reproduction à l’infini. Ainsi, bien qu’une décision judiciaire ordonne la suppression d’un contenu précis, cette décision ne vaut que pour ce contenu en particulier. Certes, l’hébergeur devra le retirer, mais rien n’empêchera de diffuser à nouveau la même image ou vidéo sur d’autres sites hébergeurs, en masse.
Cette difficulté se couple au nombre incalculable de sites internet existants. Il est impossible de vérifier par soi-même le nombre de reproduction faite sur l’intégralité des sites disponibles. L’efficacité du retrait parait donc limitée : une sorte de remake 2.0 du mythe de Sisyphe.
Dernièrement, un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Bobigny⁹ a, pour la première fois, alloué des dommages et intérêts en matière de revenge porn, se fondant sur l’article 9 du code civil (droit au respect de la vie privée). En cause, une relation extra-conjugale où la maitresse de l’amant envoyait à lui, sa femme et sa sœur des photos de l’homme le dévoilant dans sa plus stricte intimité. Ici, la victime réclamait le versement de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, ainsi que le retrait des images litigieuses. L’homme invoquait notamment son droit à l’image pour justifier son préjudice. Le tribunal a fait droit à sa demande en soulignant qu’aucune preuve ne permettait de déduire son consentement à la diffusion des images en question. Ainsi, le principe général en matière de revanche pornographique se situe bien sur le terrain du droit à l’image.
Si le revenge porn ne tue pas, il est certainement nuisible. Prudence est mère de sûreté : certains souvenirs méritent peut-être de ne pas être immortalisés.
Philippine MILLET
[1] S. Prévost, « Couvrez ce cliché que je ne saurais voir », Dalloz IP/IT 2019, p. 62.
[2] Crim. 16 mars 2016, n° 15-82.676, Dalloz IP/IT 2016. 321.
[3] G. Desgens-Pasanau, « Le « revenge porn » n’est pas (toujours) une infraction pénale », Dalloz IP/IT 2016. 321.
[4] M. Sigot, « Le revenge porn », Dalloz IP/IT 2018 p.342.
[5] CJUE 13 mai 2014, aff. C-131/12, Google Spain c/ Agencia Española de Protección de Datos, AJDA 2014. 1147, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère.
[6] Sénat, Compte rendu analytique officiel du 29 avr. 2016, art. 33 quater, p. 36
[7] M. Sigot, « Le revenge porn », Dalloz IP/IT 2018 p.342.
[8] A. Serinet, « L’instauration d’une répression des atteintes à l’intimité sexuelle par la loi pour une République numérique », D. 2016. 171.
[9] TGI de Bobigny (ch. 5 – sect. 3), 20 novembre 2018