Un petit cognac ?

Si la France est un pays connu dans le monde entier c’est notamment au regard de son raffinement. Et quoi de plus raffiné qu’un alcool français ? Le champagne, le vin rouge, le rosé ainsi que le Cognac sont des trésors du patrimoine français qui font la fierté de notre pays et le plaisir des tables étrangères. 

 

En 2017, le Cognac fut le leader des alcools français exportés dans le monde, avec 197,4 millions de bouteilles vendues. Cet alcool du Sud-Ouest de la France, produit en Charente et Charente Maritime, est très apprécié des amateurs étrangers et notamment par des pays comme les Etats Unis et la Chine. La même année le taux d’exportation de cet alcool fut de 98%.

Cet engouement autour du Cognac et cette volonté de satisfaire le consommateur étranger créent des situations qui mettent en péril les producteurs charentais. Certains opérateurs semblent en effet vouloir profiter de cette appellation et se lancer dans la production de Cognac.

 

Source : Pixabay

 

La protection du Cognac en France et en Europe :

 

En France, le Cognac est protégé par son statut d’appellation d’origine contrôlée et d’indication géographique. L’INPI précise que l’IG, qui désigne le nom d’une région ou d’une ville réputée pour ses produits, est apposée sur ces produits afin d’y indiquer le lieu où ils ont été fabriqués ou cultivés. Quant à l’AOC, elle est utilisée “sur des produits qui présentent une qualité particulière, due exclusivement ou essentiellement au milieu géographique dans lesquels ils sont obtenus”. L’INPI précise de plus que “personne ne peut obtenir un monopole sur une indication de provenance ou une appellation d’origine contrôlée ou en faire un usage trompeur pour le consommateur”. Ces appellations sont ainsi un gage de protection pour le produit, et un gage de qualité aux yeux du consommateur.

L’AOC permet également, comme le souligne l’article L641-6 du Code Rural et de la pêche maritime, de circonscrire l’aire géographique de production, “définie comme la surface comprenant les communes ou parties de communes propres à produire l’appellation d’origine”, et de définir les conditions de production présentent dans le cahier des charges relatifs au produit concerné, afin de pouvoir accéder à la protection. A ce titre, l’appellation tient lieu de gage de provenance pour les consommateurs.

Notons à ce titre que le droit européen offre évidemment des solutions : elles sont transposées dans notre droit interne. Le juge européen tente d’ailleurs d’aider à la protection de cette indication géographique. Dans un arrêt en date du 14 juillet 2011, la Cour de justice de l’Union européenne affirme que le terme de Cognac est protégé en tant qu’indication géographique et ne saurait être alors utilisé pour désigner un spiritueux finlandais qui ne correspond pas aux exigences de l’indication en question.

Les juges étrangers participent également à cet effort : en décembre 2010, la Cour d’Ankara (Turquie) a donné raison au BNIC (Bureau National Interprofessionnel du Cognac) qui reprochait à un créateur turc d’utiliser le terme Cognac pour désigner une collection de vêtements. Le juge turc a pris en compte la notoriété du spiritueux pour justifier la particulière protection dont devait bénéficier le terme de Cognac, dépassant ainsi le principe de spécialité du droit des marques.

Concernant les domaines étrangers à l’alcool, la législation française interdit toutes personnes de baptiser sa marque de la même façon qu’une indication géographique ou qu’un AOC, qui constituent une antériorité absolue. Au regard de celle-ci le BNIC sera en mesure de s’opposer à l’adoption d’une marque quelle que soit la nature des produits ou services désignés par cette marque, c’est à dire même si celle-ci ne concerne non pas un spiritueux, mais une marque d’électronique. C’est ainsi que, par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 décembre 1993 les producteurs de champagne s’opposent à l’adoption d’une marque portant ce nom par la société Yves Saint Laurent.

 

Un spiritueux en proie à la contrefaçon :

 

La Chine, fervente amatrice de spiritueux, se présente comme une des puissances de la contrefaçon de Cognac. Cependant la France n’est pas en reste en ce qui concerne la commission de ce délit. La contrefaçon de Cognac peut prendre différentes formes. Elle s’entend aussi bien de la création d’un alcool intitulé Cognac qui ne répond pourtant en aucune façon au cahier des charges imposé par l’AOC, que de la récupération de bouteille de grand cru afin de les remplir avec un autre alcool. En tout état de cause s’il est compliqué de duper un expert en spiritueux, ce n’est pas le cas des simples profanes qui constituent la majorité des consommateurs de Cognac et qui sont les premières victimes de ce trafic.

 

Contrefaçon des bouteilles de Cognac :

 

Au-delà de l’alcool, les bouteilles elles-mêmes font l’objet de copies. En effet, le consommateur peut être facilement dupé grâce à ces dernières qui permettent théoriquement d’identifier facilement la provenance géographique du produit. Il est par exemple très facile d’imiter les étiquettes des bouteilles et notamment les polices d’écriture proches de celles des « véritables » maisons de Cognac. Tout y passe :  bouchons, étiquettes, capsules, … il est aujourd’hui de plus en plus facile de copier avec précision et qualité. C’est donc l’image de l’alcool en question qui est aussi utilisée par les faussaires. En dupant les consommateurs facilement, les contrefacteurs peuvent leur faire croire à un nouveau produit d’une même maison qu’ils connaissent déjà et surfer sur le succès du Cognac.

 

 

Comment la France, et plus particulièrement la Charente, peut lutter contre ce phénomène ?

 

 

Des collaborations internationales :

 

L’Union européenne, aidée du BNIC et grâce à une étroite collaboration avec l’AQSIQ chinoise (Administration Générale de la Supervision, de la Qualité, de l’Inspection et de la Quarantaine), a permis la reconnaissance par la Chine de l’indication géographique Cognac. Le spiritueux charentais a même été le premier produit non chinois à voir son indication géographique reconnue par la Chine. Depuis le respect d’un cahier des charges est nécessaire pour que les produits puissent revêtir l’appellation “Cognac”. La pression exercée par le BNIC a également permis de conclure des accords avec le Vietnam et la Russie.

Des solutions d’origine privée :

 

Toutefois, lasses d’attendre des avancés au niveau des normes, les producteurs de Cognac élaborent leurs propres solutions. C’est notamment le cas du groupe Rémy Cointreau, propriétaire du Cognac Rémy Martin. Le producteur utilise désormais des bouteilles connectées afin de lutter contre la contrefaçon de son alcool. Le bouchon de ces bouteilles est doté d’une technologie permettant de s’assurer de l’authenticité du spiritueux. Le consommateur peut alors, via l’utilisation de son smartphone, contrôler une possible ouverture préalable de la bouteille. L’ère du numérique semble ainsi offrir de nouvelles perspectives pour protéger le spiritueux charentais. Le groupe LVMH, plus précisément la maison Martell de Pernod Picard, a décidé quant à elle d’apposer des QR codes sur ses bouteilles, codes qui pourront être scannés par les consommateurs et qui renverront à un site qui authentifie le produit.

 

Mieux former le secteur des spiritueux à la lutte contre la contrefaçon :

 

Le BNIC a récemment assuré une formation auprès de douaniers hongrois pour permettre à ces professions spécialement chargées de lutter contre la contrefaçon et les trafics illégaux de mieux détecter les contrefaçons de Cognac. Le Bureau a notamment cherché à expliquer l’ensemble des règles en vigueur concernant la protection des indications géographiques et plus spécialement celles concernant l’alcool charentais. En présentant également les contrefaçons les plus courantes, les douaniers sont en principe informés pour mieux lutter contre ces dernières.

 

Les enjeux de cette protection :

 

L’enjeu de cette protection est d’abord économique. En effet comme il l’a été précédemment souligné, la France est le premier exportateur d’alcool dans le monde. De ce fait, ce marché a la part belle dans l’économie du pays et une telle contrefaçon pourrait avoir un impact important. Le consommateur international ne doit pas perdre confiance en le savoir-faire français. Il est ainsi nécessaire de tout faire pour protéger ces produits de nos terroirs. Certains pointent également du doigt l’inaction des pouvoirs publics, notamment des douanes, car si ces dernières ont pour mission de repérer et étouffer les trafics illégaux, y compris d’alcool, le manque à gagner concernant les bouteilles de Cognac ne serait que trop minime en comparaison à d’autres produits pour agir.

Au-delà des enjeux économiques de la contrefaçon de spiritueux, les inquiétudes de certains portent sur l’atteinte au patrimoine français. C’est notamment ce qu’affirme Aymeric de Clouet, expert en vin près la Cour d’Appel de Paris, dans un entretien au Figaro, en affirmant que “les grands crus incarnent l’image de la France”. Ainsi l’inaction des pouvoirs publics déjà mentionnée saurait traduire d’une « tolérance » de la contrefaçon du Cognac alors même que l’image de la France en termes de terroir est en jeu. A ce titre pourtant le législateur lui-même à l’article L641-6 du Code rural et de la pêche maritime semble reconnaître que la protection de tels produits par le biais d’appellations d’origines relève plus largement de la protection d’un terroir.

Aussi, il est certain que des inquiétudes tenant à des intérêts de santé publique existent : il s’agit en effet de s’assurer de la composition du produit que le consommateur achète et du risque qu’il peut avoir sur sa santé. Les consommateurs, qu’ils se trouvent en France, ou à l’étranger, doivent pouvoir avoir confiance en les produits de provenance française.

En outre il semble que la protection du Cognac, qui apparaît pour certains comme une protection “égoïste” des producteurs de ces régions envers leurs productions, est en réalité un enjeu national dont chacun devrait se soucier.

 

 

Laure Desquine & Vanille Duchadeau

 

 

Sources :

MasterIPIT